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[ENTRETIEN] : GUILLAUME LOIZILLON

Avec Guillaume Loizillon nous nous sommes rencontrés il y a fort longtemps sur un documentaire à propos de la manière d’interpréter la musique baroque. Guillaume est un artiste protéiforme qui est ouvert à toutes sortes de genres musicaux, de la pop la plus radicale, de la musique la plus improvisée ou la plus classique à celle des plus expérimentales. Ses talents il les a mis au service de jeunes et futurs musiciens. Son grand défaut c’est son humilité et son humour féroce !  Comme il vient de juste prendre une semi-retraite institutionnelle et qu’il vient de sortir un nouvel album indéfinissable comme les précédents, il était temps qu’un Loizillon rencontre un Loison ou vice versa !

Un nom d’un compositeur ?

Quelconque ?

Que vous aimez, sans réfléchir !

Sans réfléchir, Debussy

On va être copain ! Et pourquoi Debussy ?

Debussy, d’obédience dite classique et en même temps rupture avec le classicisme, une musique thématique, oui, mais déjà des couleurs sonores, des aplats, des trames, des textures, qui pour moi sont importantes et c’est aussi de la musique écrite, instrumentale, et moi qui compose de la musique électronique cela me sidère toujours d’arriver par l’écriture, cette écoute intérieure qu’entendait Debussy quand il écrivait sa musique cela m’impressionne toujours.

Je ne peux pas écouter la Mer sans avoir des frissons ! On lui reprochait à propos de cette œuvre qu’il se répétait !

Les grands compositeurs ne se répètent pas, il peaufine un langage qui à un moment donné devient le leur. On ne peut pas dire que Jean Sébastien Bach se répète, c’est toujours la même chose, mais cela ne tient pas la route, pour sortir de la musique dite classique occidentale, le blues par exemple, il y a trois accords mais il n’y a pas un bluesman, j’allais dire sérieux qui ressemblent à un autre.

Vous parlez du blues, de la musique classique, intéressez-vous à toutes les musiques ?

Je pense, je l’espère, je crois ; oui oui je m’intéresse à toutes les musiques, cela ne veut pas dire que je les aime ; ayant été, je dis étais parce que c’est fini depuis quelques semaines, professeur je me faisais un réel devoir de ne pas forcément introduire mes goûts ; la question du goût m’intéresse beaucoup, mais ce n’est pas si important que cela, à part pour moi.

Mais un goût c’est jouissif non ?

C’est jouissif et en même temps il y a de l’aliénation dans le goût ; il faut s’en méfier et puis il évolue, il y a l’anecdote quand on est petit garçon, il y a le grand frère qui vous dit arrête d’écouter ces âneries, écoute ça, c’est mieux ! Un bon critique c’est quelqu’un qui avec le temps se pose la question du pourquoi un écrivain, même un autre critique aime quelque chose, et voilà ce qu’il a entendu effectivement. Le goût ce n’est pas un mégalithe qui vous tombe dessus.

Un des fils de Bach, je crois que c’était Jean-Chrétien, trouvait que la musique de son père avait vieilli.

Au moment où il l’a dit c’était peut-être vrai,  elle a peut-être vieilli à un moment, mais par la suite elle a carrément rajeuni ; c’est intéressant cela dépend de la durée sur laquelle on l’envisage, est-ce sur la durée de la vie d’une personne?; le fils de Bach pouvait estimer que la musique de son père avait vieilli, parce que c’était le fils de son père parce qu’il y avait deux ou trois décennies de différence, maintenant il y a trois siècles et ça marche moins…

Je vous pose toutes ces questions parce que vous êtes un compositeur mais aussi vous êtes un pédagogue.

Oui oui mais j’ai passé, c’est pareil je parle au passé, de longues années à enseigner à l’Université, en Conservatoire à faire des interventions, et je ne me suis jamais imaginé, il y a de cela très très longtemps, composer de la musique, faire de la musique oui et enseigner j’ai toujours trouvé que c’était important, cela m’a toujours plu, ce n’est pas par dépit, par défaut, c’est vraiment par choix.

Dans votre famille y avait-il des instituteurs, des professeurs ?

Non pas du tout, je sors d’un milieu, on va dire de moyenne bourgeoisie, j’avais un père militaire, un grand père que je n’ai pas connu, qui était chanteur à l’Opéra de Lyon, mais je n’ai pas d’antécédent direct avec la musique.

La musique faisait-elle partie de votre enfance ?

Oui, nous avons beaucoup voyagé, on habitait à Berlin en 1964 et on avait beaucoup de disques à la maison car mon père achetait des disques américains au PX. Mes premiers souvenirs de disques c’étaient des 33tours où il y avait marqué stéréo dessus,  c’était des orchestres de baloches américains mais avec de la musique d’Irving Berlin, des choses comme cela, et j’ai beaucoup aimé ces disques, nous avions les premiers Chuck Berry, on ne les trouvait pas en France, avec ma mère c’était la musique dite classique plutôt Stravinsky, Debussy…

Pour le peu que je connaisse votre musique,  vous êtes plutôt dans le style musique d’aujourd’hui, qu’on nomme électro-acoustique, dans la mouvance qui a commencé dans les années 50 c’est cela ?

Cela vient et de ma formation, parce que quand en 1975 au-delà de jouer du piano dans les groupes de jazz rock, au Conservatoire, je suis allé à  l’Université de Vincennes, on ne disait pas Paris 8 à l’époque, c’est là où j’ai été prof après, et il y avait les premiers essais de musique électro-acoustique par ordinateur. L’origine de cette musique date quand même de 1947- 48,  et cela m’a très très vite intéressé et j’ai aimé très rapidement cette manière de conceptualiser,  faire de la recherche, et je suis entré à corps perdu dans ce monde-là. La musique dite électro-acoustique on la faisait avec des Revox, des paires de ciseaux, ça m’a très vite passionné bien que j’aie toujours fait de l’écriture ; je crois que ce que j’aimais dans cette musique c’était le travail sur le son et le fait qu’on pouvait la pratiquer, j’allais dire tout seul, ça pouvait ressembler à de la musique d’atelier au sens de peintre, on pouvait produire sa musique….

Vous avez débuté avec les 6,25 et les ciseaux ?

Absolument !  j’ai vu arriver en 75 et au milieu des années 80…

L’Atari ?

C’est ça et puis même au niveau des enregistreurs, les DAT, qui était un très mauvais support, on pourrait faire une histoire des supports ; une anecdote en partant à la retraite j’avais une masse de bandes magnétiques de trente ans et de DAT de quinze ans. Toutes les DAT on des trous de son alors que les bandes magnétiques, j’en ai sorti une avec Barney Wilhem sont parfaites !

C’est le problème de l’archivage, c’est ce qui arrive avec le 35mm et les disques dur 4K. Les films sur disque dur on ne sait pas combien de temps on pourra les garder ainsi. On fait des reports en 35mm pour archiver !

L’INA, il y a une quinzaine d’années, passait son temps à faire des copies de copies de numérique et on faisait à tout hasard des reports sur bande magnétique, l’archivage devient un vrai problème.  Les Umatic, les BVU, avec des documents exceptionnels sont en loques

Ce n’est plus que de la neige ! Revenons au compositeur, avez-vous commencé très tôt à composer ?

Bon j’ai un parcours classique, conservatoire, c’est vrai qu’en tant que pianiste le fait de pas être trop mauvais en improvisation ça m’a joué des tours comme interprète, parce que lorsque je jouais du Mozart n’étant pas un excellent lecteur, lorsque je lisais do sol mi sol, on n’a pas mal de chance chez Mozart d’avoir après si sol ré fa, ou il passait à la dominante etc etc… et sans le formaliser comme cela, un jour je me suis fait avoir avec un doigté très simple qui ressemblait à du Satie, et donc j’inventais des accords que Mozart n’avait pas écrit ! J’anticipais un peu trop ce que le compositeur avait bien dû écrire…je pensais à autre chose parce que je ne lisais pas très bien, j’inventais

Vous faisiez du Jacques Loussier ! Avez-vous gardé des compositions de cette époque ?

Ce n’est pas impossible

Quand êtes-vous devenu un compositeur dit sérieux ?

Les années 76-77-80 ce sont des années d’explosion où j’ai appris à connaître Cage, Boulez, mais c’était en même temps les Clash, les Sex Pistols, il y avait une sorte de tiraillement dans ces mondes-là. C’était les années où tout le monde avait son groupe

Étiez-vous Punk ?

Non j’ai aimé ça mais quand ce mouvement a explosé j’étais cagien, autant j’ai aimé ces musiques-là, à un moment donné je n’étais pas un rocker, je me suis beaucoup penché sur ces musiques, ce n’était pas une musique d’inculture, pas du tout, c’est une vraie culture cette musique pop, elle s’alimente autrement que celle que j’ai reçue.

Vous auriez pu être à l’IRCAM ?

J’y suis allé, mais je suis revenu à des conceptions plus pop culture. J’ai quand même fait ma thèse sur ce qu’on appelle la synthèse sonore qui est un sujet un peu pointu, à mon jury il y avait Jean-Claude Risset (compositeur-chercheur 1938 – 2016), des gens qu’on appelle des compositeurs de la musique contemporaine.

Quelle différence faites-vous entre la musique contemporaine et la musique d’aujourd’hui ? 

Bonne question ! C’est un sujet que j’ai abordé avec les étudiants ; finalement ce qu’on appelle la musique contemporaine au sens académique du terme, c’est une musique extrêmement datée, contemporain cela voudrait dire musique qui se fait maintenant, dans ce cas Beyoncé c’est de la musique contemporaine !

Boulez c’est de la musique contemporaine mais pas d’aujourd’hui ?

Musique contemporaine cela fini par vouloir dire musique d’une certaine époque, d’un certain style,  grosso-modo la musique savante occidentale, des années 50 aux années 2000. Maintenant effectivement je ne sais pas si Philippe Hurel, des gens comme lui, on dira musicien contemporain,

La musique spectrale de Muraille est-ce d’aujourd’hui ? 

(rires). Elle serait charnière entre contemporain et aujourd’hui, Muraille et compagnie se sont les élèves de Boulez et Stockhausen..

Etes-vous à la charnière où vous vous sentez plus des affinités avec la musique contemporaine ?

La musique contemporaine je l’ai beaucoup fréquentée, je me sens de moins en moins d’affinité avec ça mais en même temps il y a des choses…

Voulez-vous dire qu’elle vieillit mal ?

C’est difficile à dire parce que cela correspond à des époques, ce que j’ai vécues…. quelqu’un comme Stockhausen ce n’est pas véritablement un personnage qui m’intéresse avec son côté mystique, mais sa musique c’est vraiment bien,  Stimmung c’est magnifique, que m’importe si c’est de la musique contemporaine, moderne ou pas moderne, après il y a des pièces plus intéressantes que d’autres. J’ai été amené, je suis amené à parler de John Cage au kilomètre, ça m’intéresse plus que ça me plait. Pour aller vite, par contre je trouve cela passionnant ; si on va plus loin, plus ancien, Varèse je trouve cela superbe,  je l’écoute volontiers, et pour l’écouter il n’y a pas besoin de se justifier !

Est-ce qu’à l’époque on écoutait beaucoup Varèse ?

Je ne sais pas, mais Ionisation ne me pose aucun problème à l’écouter spontanément sans avoir besoin d’un  support théorique, esthétique, pour dire c’est intéressant,  c’est bien tout simplement.

Dans les jeunes compositeurs, pour le peu que je les connaisse, il y a des trucs qu’on faisait il y a 20 ans et qui existent encore et qui sont des clichés dans la construction de leur musique… 

On trouvera toujours cela. La dialectique de la musique c’est compliqué de rester dans un langage et en même temps inventer à l’intérieur de ce langage, c’est ce qu’il y a de plus difficile, toutes les musiques ont des trucs…

Par exemple faire juste un souffle avec une embouchure, le saxo avec le bruit des clefs, le faire encore aujourd’hui c’est quand même cliché non ?

En soit par forcément si c’est bien fait, mais cela le devient comme des trucs, on appelle cela les modes de jeux, cela s’enseigne, cela s’écrit, c’est un risque on le fait parce qu’on l’a appris à le faire, c’est difficile de se départir de formules qu’on a apprises, appliquer une formule même théorique ne suffit pas, dans une création artistique absolue rien n’est une garantie

Lorsque l’on est professeur, comme vous l’avez été , est-ce complexe de simplement écouter les  musiques de vos jeunes élèves,

Pas forcément, parce que le but lorsqu’on enseigne la musique, en fait je l’ai toujours vu comme cela, ce n’est pas de se reproduire, mais c’est de tenter avec la personne que l’on a en face de soi, quoiqu’elle fasse, de la chanson à la musique la plus expérimentale qui soit, entrer à l’intérieur de son propre langage, à le découvrir, y travailler au mieux.  Cela a toujours été mon objectif,  ça ne veut pas dire que j’y arrive, qu’il faut mettre entre parenthèses ses goûts, mais on n’est pas là pour juger à priori la personne qu’on a en face, de juger son niveau de technicité. Quelqu’un qui fait du rock ou du hip-hop peut avoir une très forte connaissance de son langage qui n’est pas du tout la même que quelqu’un qui va écrire pour un orchestre. Cela m’est arrivé de dire à quelqu’un qui fait du hip hop d’aller écouter quelqu’un qui travaille de manière orchestrale et vice versa de dire à celui qui travaille l’orchestre, de se libérer un peu de son papier et de son crayon et d’écouter dans la rue les bagnoles qui passent,  je dis ça parce que cela m’est arrivé de le dire.

Y’a-t-il des jeunes qui s’en sortent ?

Oui, je pense à Jérémie Label, que j’ai eu en musique électro-acoustique, j’ai eu un étudiant qui vient du conservatoire de  Ramala en Palestine joueur de oud de très haut niveau, de plus en plus au fur et à mesure des années, j’ai eu des gens de très bon niveau de technicité dite classique, pour qui passer du jazz à la musique électro-acoustique, très contemporaines, ne posaient pas de problème, c’est très américain mais on voit bien qu’en France c’est de plus  en plus vrai, .

Si je comprends bien vous êtes dans une sorte de melting pot musical ? Il n’y a pas de genre ?

Il y a des genres, mais si j’ai affaire à quelqu’un, j’essaye, si je le peux, car il y a quand même des choses qui m’échappent, non seulement de lui ouvrir toutes les portes et d’en faire quelque chose, après je ne dis pas que j’y arriverai ; si  quelqu’un arrive en me disant qu’il est spécialiste de yakakou japonais, je ne sais pas ce que j’aurais à lui dire, je ne suis pas absolument tout terrain, mais dans mon panel assez vaste, je me sens capable de parler dans de nombreux domaines.

Cela fait 30 ans que vous faites les disques ?

Alors le premier début dans les années 70 j’ai participé à des disques underground et puis oui il y a trente ans j’ai rencontré quelqu’un, décédé aujourd’hui, qui se faisait appeler Hector Zazou, et il m’a fait rencontrer, un collègue, Claude Micheli, et moi, un musicien africain Bony Bikaye, un musicien zaïrois, et j’ai fait un disque au synthétiseur électronique mélangé avec du chant africain, c’est le premier disque que j’ai fait, avec un label en Belgique qui s’appelle Crammed disque c’est un vinyle qui a été réédité en cd puis réédité en vinyle en 2017 avec une presse internationale qui disait qu’on était pionnier dans le genre !

Donc votre musique vous la nommez électro- acoustique ?

J’ai fait de la musique électro-acoustique, j’allais dire de bon ton et je continue à en faire ; j’ai travaillé des musiques semi-improvisées, j’étais un cagien plus théorique que pratique, J’ai travaillé avec Merce Cunningham…

Racontez-nous cela, c’est passionnant !

C’était en 2005, c’était très intéressant de parler avec lui, c’était pour une sorte d’happening, un event à l’Opéra de Paris, cela s’est passé de manière un peu étonnante, c’est grâce à un compositeur ami, américain, qui s’appelle Tom Jonson qui avait donné mon nom au directeur musical de la compagnie Merce Cunningham Danse Compagny, Takehisa Kosugi, c’était après Cage, c’était le début des mails, il était d’une subtilité totale, le message disait nous venons à Paris, nous allons faire un event, pouvez-vous préparer, une vingtaine de minutes de musique de votre choix, nous nous insérerons dedans ! Il y a eu un percussionniste qui a participé qui était le batteur de John Zorn, Kosugi était au violon,  on me proposait un cachet de 1000 dollars pour deux soirs ! Pour faire régner l’indétermination cagienne, il y avait de la structure ! Je ne sais pas ce qui se passait sur scène, j’étais dans la fosse d’orchestre,

Mais votre musique ils l’avaient tout de suite acceptée ?

Ils l’ont découvert à mon avis le soir de la représentation, vous faites ce que vous voulez, mais est-vraiment ce qu’on veut quand on écrit pour Cunningham après Cage ? Comme le disait mes collègues lorsque l’on est dans la fosse d’orchestre de l’Opéra de Paris on n’est pas là pour faire de la théorie musicologique, on joue ! J’ai fait ma pièce…(rires)

C’était électro-acoustique ?

C’était totalement électronique, j’avais apporté beaucoup de matériel et les Américains encore plus !

Bon c’est bien pour son cv non ?

Cela ouvre des portes intellectuelles, de réflexions. En tant qu’enseignant Cunningham/Cage cette association est vraie mais Cunningham a fait des chorégraphies sur des musiques plus classiques.

Continuez-vous à composer aujourd’hui

Oui, de plus en plus et je reste attiré au-delà même de la musique, par la pop culture. Que veulent-elles dire et pas simplement au niveau de la forme.  J’ai toujours trouvé que le dimensionnement social de la musique et aussi intéressant que la musique dite contemporaine, de recherche, tout ce qu’on veut etc, avec l’expérimentation sonore, le travail du son, les textures. Dans le cadre d’une musique plus pop je trouve ce dimensionnement passionnant.

Ces musiques de recherche ne sont-elles pas plus intéressantes dans une écoute en direct que par le truchement d’un disque ou d’autres moyens numériques ?

Très probablement, justement en tant qu’amateur de disques, c’est pour cela que j’aime le disque de rock, de jazz, des choses comme cela, parce que ce sont des disques. Un morceau de jazz enregistré c’est un moment du morceau, un disque pop enregistré, les Beatles par exemple, c’est l’œuvre en elle-même; une œuvre de Berio, de Boulez, ont un rapport à l’enregistrement qui est presque du même ordre que la musique pré-phonographique, dite classique, qui a une existence hors de l’enregistrement. Pour la musique électro-acoustique c’est différent c’est une musique de support, mais effectivement ce n’est pas une musique de disque et c’est ce qui m’a intéressé dans les musiques expérimentales. Le disque s’avère impuissant à certaines formulations, à la spatialisation, c’est un peu comme le cinéma en salle et à la télé. Une pièce de Stockhausen où il y a quatre orchestres qui nous entourent, ce n’est pas audible en disque.

Alors ce que vous venez d’écrire pour votre dernier disque est-ce que ce que l’on entend n’est qu’une partie de votre composition ?

C’est un disque très pop, ce n’est qu’un disque et on se pose la question pour les concerts à venir sur la manière de l’interpréter ! J’ai mis deux ans pour le faire, avec des aller et retour de musiques jouées par des musiciens. Les processus font partie intégrante de cet objet. Que dois-je faire en direct avec ce qu’on a créé ? Je ne sais pas ! Depuis pas mal de temps je fais ce qu’on appelle des installations sonores, la dernière c’était au mois d’août au parc floral de Paris, cela consiste à pendre des micros dans les arbres. Mais ce genre de musique n’a aucun sens en disque.

Je me souviens de la Tragédie de l’Écoute, œuvre de Nono où Abbado dirigeait quatre orchestres par vidéo. On était allongé dans des transats dans le lieu même où Vivaldi faisait ses concerts à Venise. C’était pareil avec Diatop de Xenakis à Cluny et avec les lasers.

C’était des objets sonores qui ne pouvaient pas passer le cap du direct, la pop par contre a créé des œuvres qui étaient des disques où le disque était premier par rapport au direct, exemple les Pink Floyd, même les Beatles, ces derniers ont arrêté de faire de la scène pour ne se consacrer qu’à l’enregistrement.  La musique électro-acoustique schaeferiène et compagnie elle n’existait que sur le support, mais ils n’ont eu de cesse, et cela se comprend très bien, à tenter d’inventer des formes concertantes, des orchestres de haut- parleurs, cette idée où il n’y a rien à voir juste qu’à entendre, cette idée d’acousmatique…

C’est l’immersion aujourd’hui ?

Ce sont des vraies questions et je n’ai pas vraiment de réponse à cela. Au conservatoire lorsque j’avais des étudiants, on se posait la question sur des pièces acousmatiques, c’est-à-dire sur support figé, sur bandes, de les mettre en concert. Je vois dans les jeunes compositeurs que la musique en direct est importante. Stockhausen a été un des pionniers de ces choses-là.

https://www.youtube.com/channel/UCZyHVKXK70hQ5fV_SkYkpOA/featured

En revenant à votre dernier opus, vous avez créé il y a quelques années un label

Tras label oui qui au départ est une maison de disques. On a produit 58 cd, on a fait de la poésie sonore et au fur et à mesure le système a évolué, on se pose pas mal de question, de manière étonnante on s’est associé en coproduction avec quelqu’un qui fait plutôt de la musique improvisée, mais lui il fait du vinyle. En parlant business on fait de moins en moins de cd et on est sur des sites de téléchargement, les gens achètent de la musique au titre, par forcément l’album, on se pose la question à chaque fois sur le mode de reproduction et de distribution de nos compositions.

La pochette de ce 58ème album est assez étonnante, et ce qui est marqué sur le carton m’a fait beaucoup rire, est-ce une réelle provocation de votre part ou est-ce parce que le carton était ainsi dans la poubelle !

La scène représente un bout de mannequin qu’un magasin a mis dans une poubelle, c’est une scène réelle, on ne l’a pas mise en scène ! C’est dans la poubelle jaune en plus !

On voit donc un cul, sans aucun doute féminin, et il y a marqué en attente de rendez-vous ! Ce n’est pas dans la mouvance féministe ce genre de pochette (rires)

On m’a fait déjà la réflexion, alors au niveau visuel, je n’ai touché à rien, c’était ainsi dans la poubelle ! Vous avez devant vous tout mon local poubelle !

Et alors le titre Collapsus ?

On a commencé juste avant la pandémie, on parlait à l’époque de la collapsologie, la science de l’effondrement, le collapsus, et de pénétrer résolument dans le monde de la pop culture. Le texte a été envoyé aux collaborateurs pour qu’ils s’en imprègnent. Je ne voulais pas faire un disque post apocalyptique, le style étant, avec beaucoup d’humour, ambiante carbonique techno.

Avez-vous calculé le CO2 en faisant ce disque ?

Ce serait une excellente idée à rajouter sur la pochette, il est encore temps de le faire (rires)

Le format est lui aussi original

Lorsque l’on fait des cd, le plus économique c’était le boitier crystal. On en a fait et on trouvait cela très moche. Après il y a d’autres formats relativement cher, Trace label est un groupe de copains professionnels et on vient tous de l’underground des années 70-80, on a des collections d’époque et on s’est fait faire un gabarit, c’est la taille d’un DVD qui nous convient assez bien.

http://loizillon.paris/collapsus/jukebox.html

Alors dans le disque il y a des morceaux avec des langues que l’on ne comprend pas.

J’aime bien en tant qu’auditeur ou spectateur lorsque l’on ne maîtrise pas tout.

Vous voulez dire que la musique de la langue est plus importante que la langue elle-même !

Effectivement il y a du japonais que je ne comprends pas, il y a aussi deux langues africaines incompréhensibles pour moi, il y a de l’anglais, de l’allemand, J’aime ce mélange de langues.

Ce qui est dit sera-t-il traduit ? Chacun donc comprendra la langue qu’il parle ou qu’il a appris, vous auriez pu faire tout en yaourt ?

Je suis quand même au courant du sens des textes. Tout n’est pas encore sur le site dont la valeur carbone de cette chose-là ! (rires)

La question banale et subsidiaire, des projets en cours ?

Je continue au conservatoire de Gentilly, la classe Arts Sonores est au Lavoir Numérique, un lieu qui ressemble à la Gaité Lyrique à Paris, lieu de créations numériques. On fait des choses sur le net et cela me passionne bien. Il y aura des dates précises qu’on vous communiquera. Les installations sonores continuent, avec Jazz Nomades en particulier. Le 8 décembre on a un concert Trace au Générateur à Gentilly, mais pour l’instant rien n’est bien défini.

On va vous suivre à la trace donc !

Pour en connaître un peu plus sur Guillaume Loizillon : https://loizillon.paris/

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