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La petite cinquantaine, le regard bleu, perdu dans ses pensées, David Grimal accepta du côté de Ménilmontant un énième entretien le 21 juillet, à 14h ; il en avait un autre après le nôtre à propos de Beethoven et oui c’est encore son anniversaire !. Pour connaître la carrière de monsieur Grimal, il suffit d’aller sur Wikipédia où on apprend que ce violoniste a fait des études de violon – normal – a eu des professeurs célèbres – normal – a joué avec de grands orchestres – normal – qu’il a interprété le répertoire jusqu’à la musique contemporaine et qu’on a écrit pour lui – pas si normal – qu’il est professeur à la Musikhochschule de Sarrebruck en Allemagne etc etc…Á la moitié de son existence, en général, on fait son bilan, on se remet en question, on a des doutes et des convictions et c’est ce qui nous intéresse chez les artistes de sa trempe…et puis il y a toujours cette aventure utopique dissonante….
Ceci est une interview tout ce que vous direz etc etc…sera retenu contre moi…oui j’ai l’habitude nous a t-il répondu en se marrant …le petit dictaphone qu’il tenu dans sa main a enregistré ce qui suit…et on s’en doute ce n’est pas un violoniste à la langue de bois comme on sait les fabriquer chez nous…
Lorsque vous étiez petit, ado, aviez-vous des problèmes avec l’autorité ?
Non j’étais un enfant assez sage, après lorsque j’étais ado et que l’on apprend le violon à haut niveau, on n’a pas le temps de se rebeller, par contre j’ai peut être eu des problèmes avec un certain ordre, je n’ai jamais pu apprendre quoi que ce soit si je ne comprenais pas
Á propos de quoi par exemple ?
Sur tout, reproduire des choses machinalement parce que c’est comme ça, cela n’a jamais été possible pour moi, j’ai plus un esprit géométrique qu’algébrique !
Cela vient de votre famille ?
Non, il n’y a que des professeurs dans ma famille ; mon père est égyptologue, ma mère est prof d’anglais, soit certains sont dans des collèges, soit ils terminent à l’Académie, soit au Collège de France ou à la Sorbonne …
Un milieu intello universitaire en somme…
Ouais
Et vous, vous prenez-vous pour un intello ?
Je ne sais pas, en tout cas je ne me prends pas pour quelqu’un en général, je suis peut-être plus intello que la majorité des musiciens mais je ne le fais pas exprès !
J’ai réalisé pas mal de films dans les entreprises et souvent je m’apercevais qu’elles avaient des problèmes qui étaient surtout liés au patron, vous voyez où je veux en venir …
Oui, je vois où vous voulez en venir ; parfois c’est la faute du patron mais il y a aussi la conjoncture quand même, il y a des entreprises qui n’ont plus fonctionné parce qu’elles faisaient n’était plus utile et que le patron ne s’en n’était pas aperçu, peut-être que le personnel n’était pas prêt à faire autre chose; est-ce toujours la faute du patron, je ne sais pas…Mais quand ça marche est-ce la faute du patron ?
Au cinéma quand un film marche les acteurs pensent que c’est grâce à eux et lorsque le film ne fait pas d’entrée c’est la faute du réalisateur ! Est-ce que ce schéma peut être applicable au niveau des orchestres ?
Cela dépend des pays en fait. Il y a des cultures très différentes. Dans les cultures anglo-saxonnes, quelque soit le chef, les musiciens vont faire un très bon travail, parce qu’ils ont l’esprit d’équipe, le sens du collectif, et le chef n’est là que soit pour les galvaniser, soit pour être une excuse à leur incompétence, tandis que dans les pays latins effectivement s’il y a une histoire d’amour avec le chef, ils veulent bien faire un effort, et s’ils ne l’aiment pas ils vont le lui faire sentir en jouant mal. Je caricature à peine, c’est vraiment un phénomène culturel.
On pense cela pour les orchestres français, en France en Italie on veut être un soliste
Je pense que les jeunes générations ne sont plus ainsi, mais c’est le problème de fonctionnement des maisons. Prenez un jeune qui arrive avec ses illusions, ses envies, et mettez le dans un moule, au bout de dix ans, il prendra le plis en général.
Quand vous venez jouer en tant que soliste vous sentez cette différence?
Comme maintenant je suis invité pratiquement par des orchestres où il n’y a pas de chef, donc je n’ai plus de relation avec un chef d’orchestre. Lorsque l’on joue du Mozart c’est naturel de ne pas avoir de chef, bien que lorsque j’ai débuté comme soliste il y avait un, mais dans les grands concertos en général on joue avec un chef, donc ma relation avec l’orchestre elle est différente ; je ne suis pas l’alter ego des musiciens parce qu’on me donne un rôle, mais je fais le même métier qu’eux, un chef lui fait un autre métier ; d’ailleurs d’un point de vue économique il est dans un autre monde, il est quand même le seul qui ne joue pas d’un instrument au moment où le concert est donné et sur qui va reposer tous les phantasmes.
La plupart ont été des instrumentistes non ?
Souvent pas de bons instrumentistes, il faut quand même le dire. Giulini, un grand chef, était un altiste, on ne s’en souvient pas, Karajan jouait un peu de piano, Celibidache on ne sait plus…ce n’est pas le problème en fait, c’est une question d’organisation, les populations demandent de l’autorité, demandent le contrôle, d’être rassurées, je ne sais plus quel homme politique a fait cette réflexion : si vous demandez à un peuple qu’est-ce qui est le plus important pour lui, si c’est la sécurité ou la liberté il répondra la sécurité, donc d’une certaine manière, il y a une volonté de la part des gens d’être sécurisé, d’être déresponsabilisé, de ce point de vue là le fonctionnement d’un orchestre c’est parfait.
Tout cet avant propos bien sûr nous amène à l’orchestre Les Dissonances. C’est une dénomination très dure en terme de syllabes et puis c’est synonyme de désaccord, même de chaos ! Ce n’est pas très bon pour la pub !
C’est de la contre-pub ! (sourires) L’idée c’était surtout de se mettre en porte à faux par rapport à tout un fonctionnement mondial..
Il y a quand même derrière tout cela une idée de bizness non ?
Si j’avais voulu faire du bizness, je serais dans une autre position aujourd’hui, ou alors je suis vraiment très con ! C’est une possibilité qu’il faut envisager très sérieusement et que j’entrevois de plus en plus sérieusement ! Mais si j’avais voulu faire du bizness, je crois que je ne me serais pas pris de cette manière là, j’avais quand même une voie royale pour me faire un maximum de fric dans un minimum de temps.
En étant soliste ?
Oui en prenant une place que je n’ai pas prise, parce que ce n’était pas la mienne tout simplement, mais ce n’est pas si simple que cela en réalité, il faut regarder les choses de l’intérieur ; il y a le métier de musicien tel qu’on le phantasme lorsqu’on est jeune, tel qu’on le regarde quand on est dans le public et tel qu’il l’est quand on le pratique. C’est une vérité qui est valable pour tous les métiers, sauf que dans la société du spectacle, le contraste entre le phantasme de jeunesse, l’illusion publique et la réalité pratique, il est très grand, c’est une longue histoire ; les valeurs motrices du monde musical actuel ne sont pas des valeurs auxquelles je crois. C’est exactement comme pour le cinéma, il y a les industries qui ont leurs priorités, la musique classique est plus artisanale et en même temps plus ancrée dans l’histoire, on peut la comparer avec la littérature ; si on veut avoir ses livres dans tous les relais, il faut écrire du Musso ou du Levy, ce qui est quand même le degré zéro de la littérature, et lorsque l’on veut continuer à écrire on l’accepte pour d’autres raisons que d’être connu et vendu peut-être.
Comment peut-on jouer à l’infini, encore et encore, Beethoven ou Brahms aujourd’hui ?
Avec beaucoup de bonheur, c’est quand même génial…moi j’adore cela
Vous pourriez jouer le concerto de Brahms, ou la septième de Beethoven très souvent dans une année ?
Tous les jours non.
Il y a des solistes qui jouent le Sibelius quinze ou vingt fois dans l’année !
Même cinquante fois ! C’est cela l’industrie. Lorsque vous êtes dedans, vous êtes vendus dans le monde entier, on a investi sur votre image, on vous a donné une existence, vous avez un avatar qui a votre nom qui est partout dans le monde entier, et il faut lui donner vie et donc vous allez jouer absolument partout, parce que pour le faire vivre vous avez fait des enregistrements, il va falloir vendre ses œuvres, ses produits dérivés et c’est comme cela que ça fonctionne. Les Dissonances c’est tout le contraire et donc ça ne fonctionne pas en fait ! Ça survit ! Et c’est très bien parce que si cela fonctionnait d’après ces règles industrielles, on ferait tout le contraire de ce pourquoi Les Dissonances a été créé, c’est à dire ce que vous disiez, jouer la septième de Beethoven tout le temps..
Au départ en 2004, les musiciens étaient de tous âges, c’était un orchestre à géométrie variable… ?
Au départ ce n’était rien, j’ai réuni des gens, des potes musiciens,
Comme les baroqueux ?
Non c’était différent, les baroqueux c’étaient des gens radicaux au départ, comme les balbutiement des mouvements écolos, je suis allé chercher l‘élite de la jeune génération parisienne. Aujourd’hui cela va de dix huit à cinquante-cinq ans.
Il y a du renouvèlement ?
Oui, déjà au départ il n’y avait que 24 musiciens, maintenant il y en a 90, donc ça renouvelle, ensuite comme ce n’est pas un orchestre permanent donc personne n’est obligé de rester, il y a donc un turnover naturel, il faut le considérer comme un festival ambulant en fait, ce n’est pas institutionnel, c’est un délire qui n’aurait pas dû finalement durer, c’est une utopie qui existe encore. Mon idée de départ paraissait être une évidence, je disais ce matin à un copain que la connerie est tellement devenue la norme que toute pensée intelligente est devenue aujourd’hui une connerie !
C’est ce qui se passe dans toute la culture dans notre pays…
C’est évident qu’on s’emmerde aux concerts classiques, c’est évident que la plupart des musiciens d’orchestre souffrent et le disent, ils sont dépersonnalisés et donc pas très heureux, bon il y en a qui se trouvent très bien dans cette situation, ils disent souvent qu’ils sont là pour payer leurs crédits alors qu’ils pourraient vivre une aventure un peu plus différente ; lorsque l’on est soliste on voit bien qu’à partir de quarante quarante-cinq ans, il y a pas mal de dégâts, ceux qui restent ce sont ceux qui arrivent à prendre le pouvoir, qui font des amitiés politiques, ils vont là où il y a de l’argent, ils deviennent des people d’une certaine manière, on voit bien qu’on est dans un espace pas excitant et cela me paraissait intéressant d’essayer de faire autrement, de décloisonner, de faire que les musiciens se lâchent un peu et qu’ils puissent retrouver le goût d’une aventure artistique, un défi, de les déprofessionnaliser, les déverticaliser, les déformater, cela me paraissait la chose à faire mais j’étais naïf en fait…
Le regrettez-vous ?
Pas du tout !
Vous en avez fait peut-être le tour ?
J’ai fait le tour de certaines choses oui, j’ai fait le tour des dysfonctionnements institutionnels à répétition, des compromis permanents, surtout intellectuels des décideurs, oui en fait j’ai fait le tour, oui c’est normal. Alors est-ce que j’ai fait le tour des Dissonances peut-être, mais j’aimerais en fait que les valeurs progressistes d’aucuns appellent de leurs vœux pour un monde en transformation et puissent trouver un peu d’espace et je trouve que c’est bien difficile.
Il y a deux ans j’étais allé interviewer François-Xavier Roth à Laon où il faisait une expérience incroyable avec son orchestre et de très jeunes musiciens dans une région où le vide culturel est abyssale, connaissez- vous cette expérience ?
Ce que fait François-Xavier Roth, il continue le travail d’un chef d’orchestre, la règle du jeu ne change absolument pas, en revanche ce qu’il a fait et est très intéressant, c’est de systématiser le travail sur les instruments d’époque et d’avoir un orchestre qui est capable de jouer et du baroque et du répertoire classique. Les instrumentistes ont joué le jeu et il a réussi à créer une aventure collective créative et passionnante par ce biais là, mais il n’a pas changé la règle du jeu de la séparation des pouvoirs, même s’il a redonné du jus, redonné de l’élan et a fait travailler toutes une génération de musiciens, il a créé une maison pour des gens qui n’entraient pas dans les trois ou quatre orchestres parisiens.
Comment définissez-vous alors cet ensemble de musiciens des Dissonances?
Ce n’est pas un orchestre, c’est un big band comme dans le jazz, de Miles Davis !
Demain j’ai envie de jouer un concerto pour hautbois comment je fais dans votre big band ?
C’est ce qui s’est passé parce qu’on a joué le concerto de Strauss en ouverture de la saison dernière, je n’aurais jamais joué ce truc là, ce n’est pas terrible comme œuvre, mais il l’a joué génialement bien ! J’étais heureux de lui offrir ça !
Il aurait pu jouer les Métamorphoses de Britten !
Il aurait pas eu besoin de nous, il aurait pu les jouer en bis au lieu des conneries qu’il a choisies !
Ça sera écrit !
Il le sait je le lui ai dit ! (rires)
Alors l’existence après la covid de cette utopie comment la voyez-vous ?
On est dans un pays qui protège ses artistes, on a de la chance, on a une ministre et un premier ministre qui aiment la musique classique, donc c’est une bonne aubaine, j’avoue ne pas savoir comment on va exister, on verra, de toute façon on fait peu de chose, trois ou quatre projets par an, c’est suffisant, et on les joue trois ou quatre fois c’est déjà pas mal,
Économiquement est-ce rentable ?
Mais non ce n’est pas rentable ! Chacun vit de son côté, je suis connu un peu partout, donc j’ai suffisamment de travail et puis je suis professeur en Allemagne. Ce que je fais avec Les Dissonances intéresse des orchestres et puis je joue aussi de la musique de chambre dans les festivals.
Dans la musique de chambre il y a un vrai travail de groupe
Oui mais il y a un âge où il n’y a plus besoin de parler, on joue, on s’écoute, on s’apprécie, c’est très naturel ; les grands débats c’est pour la jeunesse, lorsque l’on joue avec de bons musiciens il y a une alchimie qui se fait par la culture, c’est comme dans le jazz, on s’écoute, d’ailleurs dans Les Dissonances on parle peu aussi.
Avez-vous un agent ?
L’agent ne fait pas le bonheur, non j’en ai plus !
Lorsque vous jouez avec d’autres orchestres comment se déroule votre présence parmi les musiciens.
En général nous interprétons une symphonie et je suis au milieu des musiciens et puis je joue un concerto ; je passe une semaine avec eux et c’est génial !
Pensez-vous que tous les concertos peuvent-être interprétés de cette façon ?
On pourrait, j’ai fait le Berg avec Les Dissonances c’était très compliqué, mais on l’a joué beaucoup mieux qu’avec les grands orchestres et les grands chefs avec qui je l’avais interprété ! Tout est une question de désir. Si vous êtes dans un groupe où les gens on envie, alors ce n’est plus : j’accompagne un mec que je ne connais pas, le concerto de Berg j’en ai marre, je ne le comprends pas, je vais suivre le bras et puis on ira boire une bière une fois terminé ! C’est comme cela que ça se passe en général ; il y a l’autre attitude : c’est moi qui le joue et c’est aussi mon truc ! Souvent les instrumentistes à vent avec qui je joue et qui ont l’habitude d’accompagner le concerto, me disent que cela leur fait du bien de jouer de cette manière, sans chef, et ils le redécouvrent, tout dépend de l’investissement des musiciens.
Ils se sentent plus concernés
Ils n’ont pas le choix, s’ils ne sont pas concernés, ils n’y arrivent pas ! Et si ça ne marche pas c’est de leur faute ! Le premier violon a un rôle immense et c’est cela qui est passionnant, c’est la dilution du pouvoir, moi sans eux je ne suis plus rien, c’est cette solidarité, cette convivialité, cette amitié, qui se met en place est c’est fantastique. On a dans Les Dissonances un contrebassiste solo qui vient du Concertgebouw d’Amsterdam, il l’a quitté il y a vingt ans, il ne le supportait plus. C’est un grand prof, il forme tout le monde, il a une contrebasse magnifique de Montagnana. C’est lui qui m’a demandé de venir, on était dans un festival, il avait vu des films sur Les Dissonances, il ne faisait plus d’orchestre, il se proposa alors de venir faire un essai ; on a joué le concerto pour orchestre de Bartók, c’est un gros machin, la première lecture c’était le bazar, lui venait quand même d’un orchestre où la première lecture était nickel, je le regarde et je me dis il va partir, à la pause, au bout d’une heure et demie, où tout le monde se cherche et cela commençait à prendre forme, je lui demande comment il va et s’il reste à la deuxième partie ? Il me répondit ça sonne tout comme un orchestre et c’est génial car chacun trouve son espace, tu es obligé d’aimer la personne avec qui tu joues sinon ça ne peut pas marcher. Il ne nous a plus quitté ! C’est amusant non ?
Il y a des orchestres célèbres qui pourraient jouer tout seul non ?
Bien sûr, la question est de savoir comment ils vendraient les concerts. Le problème de l’industrie c’est qu’elle a besoin d’une tête d’affiche pour vendre le troupeau derrière. Il y a quelques dream teams, comme le Berlin pour qui les salles sont prêtes à payer trois fois plus que pour n’importe quel orchestre, il y a cette espèce de maison, symbolique, qui est le mieux qui existe sur la Terre pour la musique classique, mais cela ne veut absolument rien dire si on réfléchit, je veux dire que l’organisation du monde telle qu’elle est vue par le marketing, sur le modèle des grandes enceintes sportives pour les grandes salles de concert c’est purement de la connerie, c’est aussi con que de faire la guerre ou d’importer des tomates de pays où il n’y a pas d’eau, mais bon c’est le monde dans lequel on vit et il ne faut surtout pas dire que ce n’est pas bien. Vous pouvez faire jouer, même par un orchestre de jeunes qui n’ont pas d’expérience, le Sacre du Printemps sans chef, cela sera extraordinaire si vous savez leur montrer le chemin et s’ils ont envie de le prendre, on le sait, la grandeur d’un concert de musique classique ne réside pas du tout là où le marketing vous explique où il se trouve. Pour moi un bon concert c’est un concert où je vais être en haleine, surpris, ému, où je vais en sortir avec l’envie d’y retourner et de jouer du violon, il se trouve que pour moi ce n’est pas corrélé ni aux nombres de décibels que je vais recevoir, ni au prestige des gens que je vais voir sur le plateau, c’est l’expérience inverse, j’ai vu des choses extrêmement bien rodées mais où il n’y avait aucune place pour la fragilité, c’est là où cette crise que nous venons de vivre est salutaire car elle a permis de se recentrer.
Ce n’est pas très encourageant tout ce que vous dites ?
La place de la musique classique dans le monde est très proche du pouvoir et de l’argent c’est là que ça se passe, à l’intérieur du système, là où il fait bien chaud et où on est bien protégé par la couche de cholestérol, donc il ne faut pas attendre de subversion ou de courage intellectuel de la part des musiciens. Quand le Titanic coule ils continuent à jouer ! C’est un signal un peu triste et c’est ce que vous sentez dans mon énergie, alors qu’il pourrait se réinventer en souplesse et en intelligence en remettant les musiciens et la musique au centre, en leur demandant ce qu’ils veulent faire, en recréant des espaces de convivialité, de rayonnements et de créativités comme ils en existent dans le théâtre, dans les arts plastiques, pourquoi notre milieu est-il condamné à la naphtaline ou à la momification ? Il semble que la seule survie choisie, sont ou bien les logiques industrielles comme on vient de les évoquer, ou alors les logiques institutionnelles qui consistent à dire ne faites pas trop compliqué pour que les gens viennent ; qu’est ce qui va rester…rien en fait !
Vous parlez aussi des compositeurs ?
Je parle de notre art, de la qualité de sa vitalité, de la capacité de créativité des compositeurs et des interprètes à générer de nouvelles découvertes, ce que Jordi Savall Herreweghe, Harnoncourt ont fait, ils sont des interprètes ; il y a la partie de la création, et je vous l’accorde, il y a un divorce énorme entre la musique contemporaine et le public, divorce dont les responsabilités sont partagées on va dire, il y a un divorce entre l’éducation, la société numérique, et ces arts qui semblent désuets ; la question qui se pose est de savoir à quel endroit on peut les placer, on ne peut pas demander à une industrie de faire des efforts puisque ses priorités sont de maintenir son industrie, c’est au pouvoir politique de savoir s’il veut répondre aux inquiétudes populistes locales puisque tout est décentralisé ; il n’y a plus de Ministère de la Culture, c’est terminé, ce sont les maires qui décident de savoir ce qu’ils vont mettre, pour faire plaisir à la frange d’extrême droite qui va prendre le pouvoir, on est quand même dans un moment assez effroyable avec ce qui est en train de se passer entre le commerce et la politique populiste pour la musique classique, qui, encore une fois, est une expression d’une continuité historique proche des élites, qui est quelque chose de compliqué et tant mieux ; à l’instar de la poésie, de la littérature, ou de la philosophie, on peut se demander quel est l’avenir de cette forme d’expression humaine, si elle doit être justifiée d’un côté par la rentabilité et de l’autre par l’électoralisme, voilà la question que je pose !
On ne va pas terminer sur cette note terriblement pessimiste, vous n’êtes pas drôle monsieur Grimal !
Ce n’est pas moi qui ne suis pas drôle, ce sont les augures de Cassandre ! Est-ce celui qui porte le message qu’on va tuer ? (rires) C’est le message qui est compliqué !
Quand on me parle de Cassandre je pense à Berlioz !
Tous les goûts sont dans la nature (rires), je n’aime pas trop Berlioz.
C’est parce que vous le connaissez mal !
Exact! Mais voilà, ce sont ces questions que je me pose aujourd’hui !
Compliqué en effet, allez une dernière question : cet orchestre utopique il espère bientôt rejouer quand même ?
Il fait un petit week-end de concerts à côté de Paris au Musée de Port Royal des Champs, chez les Jansénistes ; j’espère qu’on pourra le faire le 29 et 30 août, histoire de se retrouver et de voir comment cela va sonner !
La vie est quelques fois faite d’espoir cher David Grimal !
Pour tout savoir sur Les Dissonances :
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