Auditorium de Radio France
Concert du samedi 19 septembre 2020 à 20h
Camille Pépin : Avant les Clartés de l’Aurore
Igor Stravinsky : Messe
Serge Rachmaninov : Concerto pour piano n°3 en ré mineur opus 30
Anna Vinnitskaya, piano
Chœur de Radio France
Johnny Esteban, ténor
Matthieu Cabanes, ténor
Patrick Radelet, basse
Martina Batič chef de chœur
Maîtrise de Radio France
Sofi Jeannin chef de chœur
Orchestre Philharmonique de Radio France
Kristi Gjezi, violon solo
Mikko Franck, direction
Quel étrange spectacle de voir tous ces musiciens, choristes et le chef d’orchestre masqués en noir sur le plateau de l’Auditorium de Radio France. On se croirait dans un film à la Kubrick, assister à une cérémonie funèbre ! Le premier étonnement passé, place à la musique. Pour l’œuvre de Camille Pépin, 12 musiciens éparpillés sur le plateau, masque pour les percussions et cordes, trompettes au balcon entourées des jeunes choristes présents pour l’œuvre suivante, la Messe de Stravinsky.
Avant les Clartés de l’Aurore est un vers de Pouchkine qui a inspiré la jeune compositrice. C’est une commande de Radio France. Œuvre descriptive, sorte de poème très visuel, aux accents debussystes et japonisants, matinée du Steve Reich asiatique, elle est très agréable à écouter, une belle introduction au concert. Il y a aussi un peu de Stravinsky, ce qui permet de faire le lien avec la deuxième œuvre proposée : Messe.
Écouter une messe dans ce lieu est toujours étrange, surtout que celle-ci, composée par Stravinsky, suit parfaitement la liturgie chrétienne. Le compositeur lui-même avait du mal à l’entendre ailleurs que dans une église. Il aurait été déçu que la création ait été donnée en 1948 au théâtre de La Scala à Milan. Après avoir fait abstraction du texte du Kyrie, grâce aux talents des chœurs, des solistes et des instruments à vent du Philhar, on s’est laissé prendre par les accents stravinskiens plus près des polyphonies de la Renaissance que de ceux qu’il avait composés pour la Symphonie de Psaumes dans les années 30.
Bon le public, ne n’y trompons pas, était venu pour le tube : le Rach 3 ! Le plateau s’est rempli de ces masqués aux armes de Radio France ! Anna Vinnitskaya elle aussi le portait mais pour jouer l’enleva. Ce concerto est devenu le cheval de bataille dans tous les concours de piano (plus de 20%, le Tchaïkovski est toujours en tête). Il y a des tas d’histoires qui tournent autour de ce concerto. Rachmaninov l’aurait écrit pour s’offrir la Mercedes Lorelei, une voiture de grand standing peu courante en Russie. Lorsque le compositeur le joua à New York en 1909, épuisé par sa performance, il ne put offrir un bis ; Josef Hofman, célèbre pianiste qui était le dédicataire ne l’a jamais interprété, trop difficile. Vladimir Horowitz l’aurait joué devant le compositeur et celui-ci subjugué par son interprétation le lui aurait dédié (difficile de se faire une bonne idée par rapport aux enregistrements que l’on peut trouver sur le marché). Le concerto a aussi été popularisé par le film Shine en 1996, portrait du pianiste australien David Helfgott jouant l’œuvre la plus difficile au monde lors d’une compétition au Royal College of Music d’Angleterre. On ne peut pas dire que cette interprétation laisse un souvenir impérissable. La technique du piano a évolué et tous les pianistes de renon ou pas, l’ont enregistré. Ce concerto avec des nuances, des restrictions, des versions, fait qu’il est difficile sans la partition originale de dire qui joue le concerto écrit par Rachmaninov. Alors la version de madame Anna Vinnitskaya ? Elle était impressionnante par l’énergie qu’elle a mise et la force avec laquelle elle attaquait les notes. Une vraie lionne ! Alors est-ce qu’elle y a mis beaucoup de sentiment, pas trop à notre goût. Le romantisme n’est pas trop son truc (son bis debussyste l’a prouvé). Dés le premier mouvement, dans le faux air folklorique, elle était comme on dit vulgairement au taquet. Elle en avait sous les doigts et jusqu’au bout elle n’a pas faibli d’un iota. Une version plus contemporaine du Rach 3 ? Pourquoi pas, le public l’a suivi, lui a fait un triomphe. Anna Vinnitskaya est une grande pianiste et le Philhar avec Franck ont suivi ce qu’elle proposait. Le reste n’est plus que discussions de salon. Les concerts sans entracte, plus courts, c’est une belle idée, mais sûrement pas rentable pour les institutions privées. Heureusement nous avons Radio France ! Alors allez écouter de la musique partout où elle se donne, les musiciens ont besoin de nous, allez aux expositions, allez au cinéma et sortez Masqué !