LAURENT SAÏET
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C’est en fréquentant la Bibliothèque François Truffaut, au Forum des Halles à Paris, que j’ai rencontré Laurent Saïet. Il est responsable du département musiques de film. Comme je suis un fou furieux de ce genre de musique (voir sur le site les entretiens de compositeurs et les papiers sur les cd de musique de film), c’était tout naturellement que nous avons conversé autour des trois milles cd que possède la bibliothèque. Il m’a fait découvrir des musiques incroyables, mais aussi les siennes, car Laurent Saïet est compositeur de musique mais aussi pour des films. Voulant en savoir un peu plus sur lui et sur ses compositions, je lui ai proposé de faire un entretien car il venait de sortir un nouvel album, son huitième : After The Wave.
Comment êtes-vous devenu musicien ?
La musique c’est la première chose qui m’a capté dans ma vie. Mes parents écoutaient en boucle Léo Ferré, Les Beatles, Pink Floyd, ils m’ont raconté que vers trois ans j’écoutais très attentivement ces musiques et que je me balançais en rythme..
Vos parents étaient seulement amateurs de musique ?
Ils étaient dans les arts plastiques, la peinture, je parle d’eux au passé mais ils sont encore bien vivants et continuent à exposer ; mon père a arrêté la peinture et s’est consacré à l’écriture, je parle des Beatles parce qu’enfant j’écoutais en boucle l’album Sergeant Pepper, cette musique me fascinait. J’écoutais aussi le triple album de Woodstock, j’aimais tout le rock de cette époque, Jimmy Hendrix, et donc avant de devenir musicien j’ai écouté beaucoup de musiques des seventies. Vers 12 ans j’ai voulu faire de la guitare et je suis entré dans une école de musique parce qu’on habitait à la campagne .
Dans quelle région ?
En Dordogne à vingt-cinq kilomètres de Périgueux, là où existait une école de musique. C’est là où j’ai appris la guitare classique, le solfège, et comme je ne me débrouillais pas trop mal, mes parents ont eut l’idée de me faire intégrer les classes musicales, je suis donc monté à Paris pour suivre ces classes et passer mon bac musique. J’ai fait ensuite de la musicologie à la fac pendant trois ans, ce qui m’a fait apprendre l’écriture, hélas pas suffisamment pour devenir un vrai compositeur comme un Delerue ou un Morricone !
Vous vouliez devenir professionnel ?
Pas exactement, je voulais donner des cours mais à l’époque pas vraiment composer. Ce qui me parlait le plus c’était les compositions contemporaines pour la guitare.
Qui par exemple ?
Il y avait un compositeur cubain que j’appréciais beaucoup qui s’appelle Léo Brouwer et qui utilisait la guitare comme un instrument percussif. En 1981 j’ai eu la chance de rencontrer Marie-Thérèse Ghirardi qui faisait partie de l’Ensemble Intercontemporain, la guitariste de Boulez et qui avait du coup une bonne connaissance de ces musiques-là, et j’ai découvert que des compositeurs comme Britten, Henze, avaient composé pour la guitare.
Vous n’aviez pas envie comme tous les jeunes de jouer dans un groupe ?
Bien sûr que si. Dès les années 1982, 83 j’ai découvert tout un champ musical comme les musiques répétitives américaines, la new wave, la col wave, et donc j’ai monté un groupe et on a fait un album à la fin des années 80. C’est à partir de ce groupe que j’ai commencé à écrire.
Comment s’appelait votre groupe ?
Begin Says, nous étions quatre, il y avait un violoniste, un clarinettiste, nous chantions en plusieurs langues, on a fait des musiques pour des courts-métrages, des musiques de scène ; ensuite j’ai travaillé avec le saxophoniste Etienne Brunet qui venait du free jazz, cela a été utile pour moi dans l’idée d‘improviser sur des modes orientaux, notamment sur des musiques de l’Est ou indienne, c’était un groupe basé sur l’improvisation.
Et vous arriviez à gagner votre vie ?
Avec ce groupe on faisait pas mal de concerts et puis à un moment donné cela s’est arrêté et là j’ai monté un label qui existe toujours sous le mode associatif et qui réunit quelques compositeurs dont moi-même.
C’est donc Trace Label qui a produit votre dernier album.
Exact.
Mais on sait très bien que ce n’est pas suffisant pour gagner sa vie
Bien entendu
Vous aviez quel âge à ce moment là
La trentaine, j’ai donné beaucoup de cours de guitare, je faisais des animations et à un moment donné j’ai eu l’idée d’être bibliothécaire musical.
Cela demande une formation ?
J’ai passé les concours puis suivi des formations.
Deviez-vous savoir jouer d’un instrument, être musicien ?
Du tout, vous deviez connaître le monde des bibliothèques du point de vue théorique et avoir une culture générale.
Vous avez donc passé ce concours pour être au chaud et pouvoir continuer à composer de la musique.
C’est cela, j’aurai pu être intermittent du spectacle comme certains de mes amis, mais ce que j’ai observé autour de moi, c’est que la majorité d’entre eux, font plein de trucs qui les emmerdent pour vivre, j’ai fait un choix inverse, avoir un boulot alimentaire et me consacrer qu’à des projets qui m’intéressent.
Avez-vous fait plusieurs bibliothèques avant d’arriver à François Truffaut ?
Je suis là depuis 2008, j’ai dû en faire seulement deux.
En quoi consiste votre job ?
Et bien à conseiller les gens qui viennent et puis faire des acquisitions, on passe par des grossistes qui ont des contrats avec les bibliothèques, je n’ai pas de contact direct avec les distributeurs.
Mais est-ce que ce genre de musique vous la connaissiez au départ ?
Il y a une chose que je ne vous ai pas dite au départ c’est que le cinéma est ma deuxième passion. Si je n’avais pas été musicien je pense que j’aurais été cinéaste. En tant que musicien à une certaine période j’ai composé pour des films. Je me suis aperçu que j’avais certaines limites car je ne suis pas tout terrain.
C’est normal je pense non ?
Les grands compositeurs de film ont cette faculté de pouvoir écrire dans des styles totalement différents tout en restant eux-mêmes. Ils doivent s’adapter aux désirs du réalisateur et c’est un exercice très difficile à mener.
Il y a très peu de compositeurs de film dont leur musique propre, absolue, comme l’appelle Morricone, qui ont écrit des musiques intéressantes.
L’erreur que l’on fait par rapport aux musiques de film est de les considérer en dehors du film. Mon compositeur préféré de tous les temps c’est Bernard Herrmann, il a réduit à un certain système son travail de composition avec des cellules assez simples pour que sa musique existe en tant que telle, c’est aussi un maître de l’orchestration.
Morricone disait qu’un vrai compositeur c’est celui qui met toutes les notes sur les partitions.
Absolument c’est le même cas de figure qu’Herrmann et il a raison, Sarde par exemple et d’autres compositeurs célèbres, n’orchestrent pas, à mon sens l’arrangement, l’orchestration, font partie de la composition. Alors pour parler des musiques absolues d’Herrmann, de Delerue, de Williams, c‘est exact qu’elles sont assez académiques.
Revenons à votre création, vous avez composé une bonne dizaine de cd et chacun a son style. Je ne les connais pas tous, j’avais découvert à la bibliothèque vos musiques de films et dernièrement j’ai pu entendre votre dernier opus : After The Wave et là j’ai entendu de la bonne et belle musique de film sans image !
On me le dit souvent, précédemment j’avais fait un album dont l’inspiration était les nouvelles de Lovecraft, là je me suis dit je vais m’éloigner un petit peu du cinéma, et en retour on m’a refait les mêmes réflexions!
Ce qui est amusant c’est que je me suis retrouvé avec After The Wave dans une atmosphère à la Lynch, celle de Lost Higway, de Trent Reznor, une ambiance assez noire…
Cette impression que vous avez est ce que je cherchais à donner à entendre, mais ce qui est curieux c’est que je n’ai pas pensé au cinéma, comme quoi il y a un naturel qui revient malgré soi.
Mais ce n’est pas une musique descriptive qui dévaloriserait votre travail, on se raconte des histoires en l’écoutant.
En général, j’installe des atmosphères relativement sombres.
Seriez-vous un mec sombre ?
Dans la vie pas du tout mais j’aime explorer ce genre de terrain et puisque l’on parle de cinéma j’ai des affinités avec le cinéma noir.
Il y a dans cet album, des fulgurances inouïes de la part de vos collaborateurs
Ce qui m’intéresse lorsque je compose est de laisser les musiciens avec qui je joue apporter leur propre univers comme une sorte, effectivement, de collaboration.
Vous le dites justement et cela se ressent, ils entrent dans votre processus de création.
C’est exactement ce que j’ai voulu dans ce disque, les précédents étaient plus solo.
Alors lorsque l’on regarde votre pochette on est dans le totalement kitsch ! Le montage graphique est superbe !
Elle est très baroque
Désolé, pas du tout baroque, le baroque c’est le XVIIème siècle, là on est dans le kitsch XIXème à la Bouguereau, la femme nue, mis à l’envers, est celle de la Vénus de Cabanel ainsi que les angelots, il n’ y a pas plus pompier ! Vous jouez avec cette pochette sur l’humour, un deuxième degré qui incite à l’écouter, on sera étonné …
J’ai laissé Thierry Müller, le graphiste, délirer, comme pour les musiciens, j’ai été vraiment surpris en la voyant, ce n’est pas mon univers mais je l’ai accepté !
Elle est en total décalage avec votre musique
J’assume
N’est-ce pas le principe même d’un artiste ?
Justement on se sent toujours en décalage par rapport au présent.
On entend dans ce disque des instruments qui ont été à la mode dans la fin des années 60
J’ai utilisé dans cet album le mellotron, un instrument vintage qui était employé au départ pour faire des bruitages et que les groupes de rock comme les Beatles, les Pink Floyd ont utilisé, même le rock progressif. C’est l’instrument qui a précédé les samplers des années 80. Je l’ai utilisé sous une forme numérisée, comme il n’était pas très au point il y avait des déformations des sons, un défaut intéressant qui apporte une étrangeté qui me plait beaucoup et qui entre bien dans l’atmosphère musicale que j’avais envie de composer..
Est-ce que vous rencontrez des réalisateurs, des gens du métier, à la bibliothèque ?
On a surtout beaucoup de techniciens et des acteurs qui y viennent. Il est difficile d’avoir deux casquettes dans mon travail, une fois que je vous ai mieux connu, je me suis permis de vous indiquer que je composais aussi, mais ce n’est pas dans mon caractère.
Alors comment se faire connaître ? Votre musique est tout aussi intéressante ou plus que celle de Rob ou des frères Galperine pour citer des compositeurs français qui sont dans votre style.
Mes compositions ont des atmosphères plus anglo-saxonnes, en France les réalisateurs sont très traditionalistes.
Cela voudrait dire qu’avec tout ce que vous entendez, il y a peu de compositeurs français qui vous interpellent
Pas tellement, même un de ceux que vous citez.
Y-a-t-il un compositeur dernièrement qui vous a étonné ?
Oui, Geoff Barrow de l’ancien groupe de Portishead. Il avait composé la musique excellente de Ex Machina entre autres. Ce sont souvent des musiciens qui viennent d’autres univers, de la pop. Il y avait un musicien que j’appréciais dans les années 2000 et je ne sais pas ce qu’il fait maintenant c’est Mychael Danna, il composait pour Atom Egoyan.
Il avait reçu de nombreux prix pour la musique de Life of Pi d’Ang Lee en 2012, puis a composé avec son frère Jeff pour des dessins animés et dernièrement pour un film présent à Cannes Stillwater de Tom McCarty avec Matt Damon.
Je pense aussi qu’il y a de gros problèmes de budget pour la musique de film en France.
Oui c’est sûr, mais là avec After The Wave vous prouvez qu’on peut écrire de la bonne musique avec un budget assez réduit !
Il y a aussi ce problème avec les musiques temporaires mises au montage et que les réalisateurs demandent aux compositeurs de s’inspirer de ces tracks ! C’est comme si un producteur demandait au réalisateur de faire une scène à la manière d’untel ou d’untel ou demander à un chef opérateur de filmer comme un autre chef op !
C’est un problème insoluble
Je préférais la méthode Godard qui demandait des musiques, par exemple à Duhamel, et ensuite les triturait, les déstructurait, il en faisait ce qu’il voulait…
Alors être sans entrave, fait-il de vous un musicien heureux ?
Composer ça me rend heureux.
Combien de temps avez-vous mis pour composer After The Wave?
Exactement un an ; le confinement m’a aidé, j’avais du temps. D’habitude je mets plus de temps vu mon activité.
Comment vos collègues vous considèrent-ils ? Comme un bibliothécaire ou un compositeur ?
Les deux. Mais je pense qu’ils sont un peu gênés de me connaître avec ces deux casquettes. C’est normal.
Vos disques de musiques de film qui sont dans les rangements des cd, mettez-les-vous en exposition ?
Moi non, mais au début j’avais un collègue qui les mettait systématiquement !
Celui-ci ne pourra donc pas figurer dans vos bacs .
Non mais dans les autres bibliothèques pourquoi pas !
On va donc les inciter à le faire !
Ce sera avec plaisir (rires)
After The Wave est un album produit par Trace Label. Avec Laurent Saïet, mellotron, guitars, bass, keyboards, programmed percussion, strings & electronic instruments, Edward Ka-Spel, vocals, Thierry Müller, synthesizers, acoustic guitar, Paul Percheron, drums, Ben Ritter, vocals, clarinet, Quentin Rollet, alto, sopranino saxophone, monotron. Collages, Cover design by Thierry Müller
On peut trouver cet album sur le site de Bandcamp.
https://tracelabel.bandcamp.com/album/after-the-wave
Les autres compositions de Laurent Saïet peuvent être trouvées sur :
https://tracelab.com/laurent-saiet/
