Gilles Tinayre, compositeur de Musiques de Film
@DR
Gilles Tinayre, est un compositeur, arrangeur et orchestrateur prolixe. Après avoir beaucoup travaillé pour les autres, il a composé sous son nom des musiques pour des génériques, des séries, des unitaires pour la télévision, des publicités, des documentaires, des musiques de scène, des comédies musicales et même des habillages musicaux pour des parcs à thèmes, des parcs d’attractions.
Il est venu à l’écriture pour le cinéma par les arrangements ou les orchestrations qu’il réalisa pour The Lair of the White Worm de Ken Russell, Le Bâtard de Dieu de Christian Fechner, avec le London Philharmonic Orchestra. Après avoir écrit la musique de quelques films de moindre importance, il co-composé la musique de Chouchou , de Merzak Allouache, et participe à l’écriture musicale de plusieurs longs-métrages en tant qu’arrangeur, Les Parrains , Iznogoud , ou en tant que music-supervisor, Mercenaire . Il a écrit la musique du film de Philippe Dajoux La Belle Étoile , celles d’Avant-Poste d’Emmanuel Parraud, et de La Malette Rouge de Bernard Mazauric.
Il a été Président de l’Union des Compositeurs de Musique de Film (UCMF) et offre beaucoup de son temps pour pédagogiquement mieux faire connaître la musique de film surtout auprès des élèves des écoles de cinéma et des futurs compositeurs de musique.
Quelle est votre actualité ?
Je viens de finir de préparer un concert que nous allons donner pour le festival de cinéma de Rueil organisé par Yves Alion, le rédacteur en chef de l’Avant Scène Cinéma. Il y a là un but pédagogique. Au cours de ce concert, l’Orchestre du Conservatoire, gonflé d’une soixantaine de musiciens, jouera, en hommage à Francis Lai, ses grands thèmes sur des images des films de Claude Lelouch.
Un travail pas évident, je suppose ?
L’art de la musique de film est un art de synchronisation. Il faut que les ressorts musicaux correspondent aux ressorts dramatiques, aux gestes, aux mouvements. Donc la difficulté dans ce genre d’exercice est de trouver les bons rythmes, car ces musiques et ces images n’étaient pas à priori faites pour fonctionner ensemble. Ce qui est amusant c’est qu’on se rend compte de ce qu’est un vrai couple de cinéma. Francis Lai a le même rythme que Claude, ce qui nous permet de trouver des correspondances, même en décalant soit la musique soit l’image. Lai / Lelouch est un des plus vieux couples de cinéma, près de cinquante ans je crois. C’est Pierre Barouh qui les avait présenté pour Un Homme et une Femme.
Aviez-vous toutes les partitions pour faire cet hommage ?
Il a fallu les retrouver, réécrire à l’oreille certaines qui n’existaient plus et puis les réaménager pour le concert. Francis Lai, ne les trouvant plus, pensait que sa femme de ménage peut-être les avait mises à la poubelle ! Ce travail a été un grand plaisir surtout parce que je travaillais pour ce grand amoureux de cinéma et de musique qu’est Yves Alion.
Trouvez-vous cohérent qu’une revue de musique s’intéresse à la musique de films, plutôt qu’une revue de cinéma ?
J’ai été président de l’UCMF (Union des Compositeurs de Musique de Films) pendant trois ans et depuis dix ans je me préoccupe de la pédagogie de la musique de films. Pour moi, c’est tout à fait formidable qu’existe cette rubrique de musique de films dans la revue l’Éducation musicale. Je suis ravi de savoir qu’une revue de musique s’intéresse à la musique de films. Il y a une chose qui m’a toujours étonnée avec les gens de cinéma : lorsqu’ils parlent d’un compositeur, ils disent très rarement le compositeur mais le musicien. C’est assez symptomatique de cette zone très floue qu’il peut y avoir dans le monde du cinéma avec la musique. La musique ils en ont besoin, très souvent ils s’en méfient. C’est quand même de tous les langages cinématographiques celui qui a la puissance émotionnelle la plus forte. C’est vrai qu’on a tendance dans le monde du cinéma à ne pas trop parler de la musique de films. C’était une de mes préoccupations lorsque l’étais à l’UCMF. Je me suis aussi beaucoup occupé de pédagogie, pour que dans les écoles de cinéma il y ait des possibilités de toucher à la musique de films. On s’est tout de suite rendu compte qu’il y avait beaucoup d’écoles de cinéma qui n’abordaient pas la musique de films. Comment voulez-vous qu’un jeune réalisateur qui sort d’une école puisse savoir utiliser la musique si on ne lui a pas appris à quoi elle sert ! Savoir qu’elle peut sous-tendre une scène sans qu’elle soit trop présente, que ce n’est pas forcément que la chanson de Lara avec 120 musiciens, que c’est aussi un tendeur, un détendeur d’images, un noircisseur d’émotion, qu’elle peut donner un éclairage positif d’une scène… On a commencé à mettre des choses dans les écoles de cinéma et puis aussi dans les écoles de musique. Il y a une sorte d’élitisme dans les conservatoires vis à vis de la musique classique. Souvent, la musique de films est pour eux de la musique vulgaire, de la sous musique. Jusqu’à ce qu’enfin, le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris crée, l’année dernière, une classe de composition de musique de films, et là tout a changé.
Donc il va y avoir une génération de compositeurs formés par le Conservatoire.
Avant, il n’y avait pas de formation. On sait qu’Antoine Duhamel, grand compositeur dodécaphoniste a décidé de faire de la musique de film lorsqu’il a entendu qu’Herrmann avait écrit de la musique dissonante. Je ne pense pas qu’on puisse apprendre à faire de la musique de films. Les grands compositeurs ont avant tout le plaisir de voir une image, de voir un récit cinématographique. Avoir le sens de l’image cela ne s’apprend pas. Par contre, en apprenant, on peut faire gagner du temps, empêcher de faire des bêtises. C’est là qu’intervient la pédagogie de la musique de films. Pour les réalisateurs on peut leur ouvrir l’oreille, leur faire prendre conscience de ce qu’est la musique de films, leur faire mieux comprendre, et mieux savoir s’en servir.
Vous avez eu une expérience intéressante avec le film muet de Dziga Vertov L’homme à la Caméra ?
J’ai écrit une musique pour fanfare des Balkans, chœur mixte et chœur d’enfants. On a fait des concerts projection dans plusieurs villes de France et on continue.
Ce film, cet œil caméra, est un des piliers de l’histoire du cinéma. Y avait-il un challenge à composer de la musique sur ces images ?
Le challenge est en effet énorme car Pierre Henry avait déjà fait une musique, ainsi que Michael Nyman. C’est un film incroyablement tentateur pour un compositeur. Il est tellement rythmique qu’on meurt d’envie d’y poser une musique. J’y ai travaillé pendant un an, il fallait être très précis, être « cut au plan ». Sur You tube on peut écouter les différentes versions et c’est très intéressant. Je le fais voir pour les master classes et montre comment sur un film muet on peut avoir des points de vue musicaux différents. La musique imprime dans l’œil du spectateur des visions extrêmement fortes. Elle peut être dangereuse car elle peut complètement détruire un film. Il y a eu des expériences désastreuses dans l’histoire du cinéma. Il y a eu des compositeurs très célèbres dont la musique a été refusée au dernier moment avec des résultats catastrophiques. Gabriel Yared, oscarisé, a vu son score refusé pour Troy , par exemple, et remplacé par James Horner au dernier moment, qui n’a pu faire qu’une musique très médiocre. Celle de Yared est pourtant superbe (on peut l’entendre sur You tube).
Il y a de nombreux compositeurs qui ne font pas les arrangements, les orchestrations : n’est-ce pas curieux de leur attribuer la paternité des musiques ?
Les compositeurs ont toujours eu des assistants. En musique classique c’est un tabou. Il y a quelques compositeurs de musique de films qui écrivent tout. Ennio Morricone ne supporte pas de ne pas tout écrire ; pour lui le contraire est une hérésie. Il ne supporte pas ces compositeurs qui fredonnent un thème et qui sont arrangés par d’autres. Ces compositeurs qui font cinq à huit musiques par an, n’ont matériellement pas le temps de tout formaliser. J’ai fait plusieurs arrangements pour des compositeurs très connus. J’ai eu la chance de faire mes classes d’écriture et de savoir écrire pour un orchestre, mais il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir à faire des réductions d’orchestre et, là, j’ai confié le travail à un orchestrateur. Un arrangeur c’est celui qui amène une idée créative dans le projet musical. L’orchestrateur, lui, c’est quelqu’un qui adapte la base d’orchestration qui est fournie par le compositeur. Les arrangeurs déclarés ont une part de droit d’auteur à la SACEM, 1/12ème. Mais ce qui compte c’est le résultat. Aux États-Unis il y a énormément de gens qui travaillent pour un compositeur et cela donne une musique formatée qui plait aux producteurs.
Lorsqu’on regarde les génériques des films français on s’aperçoit qu’il y a de nombreux compositeurs dont on ne connaît ni le nom ni ce qu’ils ont fait. Peut-on vivre en tant que compositeur de musique de films?
Je pense que oui, car quand on parle de musique de films, on pense plus fiction pour le cinéma. Ce n’est qu’un tiers de la musique car il y a le documentaire, le reportage, la fiction télé, les séries…Il y a des gens qui gagnent bien leur vie en composant pour l’image ou même pour la variété. Mais ils n’ont pas la notoriété du compositeur de cinéma, et encore faut-il que le film soit un succès. Le public connaît peu les compositeurs. Le seul, à Cannes, à qui on a fait un triomphe en montant les marches, c’est Morricone. John Powell, pour la projection de Xmen était derrière l’équipe du film et personne ne faisait attention à lui, alors que c’est un grand compositeur (Antz, Volte Face, Shrek, Bourne Identity, Hancock, Ice Age….). Il y a quand même un point positif, c’est que le public adore la musique de films, et les concerts sont toujours très appréciés. On ne peut pas en dire autant pour les concerts de musique classique.
En complément Gilles Tinayre nous autorise à publier un texte qu’ il a écrit pour l’Avant Scène n°580 sur la musique classique et originale autour des choix emblématiques qu’a fait Stanley Kubrick pour 2001 Odyssée de l’Espace.
2001, Odyssée lyrique…
« Noir sidéral… Ré ré fa# la la…, la la…, fa# fa#…, Le beau Danube bleu, aimable pièce à faire tournoyer les couples et vaciller les femmes, est ici presque méconnaissable, revisité par Karajan qui malhérise l’œuvre à outrance… Pour nous livrer une interprétation ralentie, intériorisée, à contre-courant de la définition première voulue par Johann Strauss, qui n’en demandait certainement » pas tant… Pourtant, il s’agit bien d’une valse, qui garde ô combien son poids de sens premier – succès oblige – celui d’une danse, à ranger au rayon des musiques ludiques et futiles. Et qui vient puissamment frapper nos sens de spectateurs, lorsqu’elle est, dans 2001, associée aux images hyper technologiques des engins cosmiques cheminant dans l’astral. Un cocktail plutôt pernicieux qui fait vaciller l’image de l’omnipuissance du contrôle de l’homme sur ses joujoux technologiques. Formidable opposition entre l’ouïe et l’œil, la première se berçant de ce que le deuxième ne saurait admettre…Une combinazione chère à Kubrick, dont on sait qu’il n’accordait que peu d’importance aux mots, mais une attention extrême au choix des sons et des musiques de ses films. Pourtant, tout au long de sa période glorieuse, de 2001 (1968) à Shining (1980), il n’utilisera aucune musique originale dans ses films. Tout sera affaire de musiques préexistantes dont les choix, longuement maturés, jamais gratuits et souvent iconoclastes. Ces musiques sont à l’évidence l’une des plus grandes réussites de l’œuvre de Kubrick.
Retour en arrière : lorsque Kubrick et Arthur C.Clarke travaillent à l’écriture du scénario, ils se bercent des célèbres Carmina Burana du compositeur Carl Orff. Au point de songer tous deux à proposer au compositeur d’écrire la musique de 2001 . Mais celui-ci a 72 ans, et l’idée est abandonnée. En 1968, ils contacteront également les Pink Floyd, mais ceux-ci refuseront d’écrire la musique (Ils composeront pourtant en 1969 la bande originale du film More, de Barbet Schroeder. Roger Waters dira quelques années plus tard qu’il regrettait amèrement de ne pas avoir accepté l’offre de Kubrick. Le temps passe, le tournage commence, et les premiers rushes sont montrés à la MGM accompagnés de temp tracks (musiques temporairement posées sur l’image) de Mendelssohn (le scherzo du Songe d’une nuit d’été) et du compositeur Vaughan Williams. On engagera même peu après un compositeur, Franck Cordell, pour enregistrer quelques extraits de la 3ème symphonie de Mahler dont on pensait avoir besoin. Pour finalement en abandonner le choix. Au fur et à mesure du tournage et des previews à la production, Kubrick habille ses rushes d’autres temp tracks : Ainsi parlait Zarathoustra, de Richard Strauss, Atmosphères, Lux Aeterna et le Kyrie du Requiem de György Ligeti, ainsi qu’un extrait du ballet Gayaneh d’Aram Khatchaturian. Et finit par avouer à la MGM qu’il souhaitait utiliser définitivement ces musiques pour 2001. Ce n’était pas du tout du goût des producteurs, qui demandèrent alors à Alex North de composer la musique. Ce dernier, qui avait signé le score de Cléopâtre et avait déjà travaillé pour Kubrick en écrivant la musique de Spartacus, fut enchanté à l’idée de collaborer de nouveau avec lui. Néanmoins, imposé par la production, qui n’agissait ainsi que pour des raisons de marketing, il eut du mal à faire admettre à Kubrick qu’il était temps d’abandonner les choix temporaires auxquels celui-ci tenait tant. Alex North mit donc un soin tout particulier à garder dans son écriture les fondamentaux présents dans les musiques préexistantes choisies par le réalisateur. Installé à Londres, muré dans un appartement de Chelsea, travaillant d’arrache-pied malgré de graves problèmes de santé pendant plusieurs semaines de l’hiver 1967, il écrivit quarante minutes de musique qu’on enregistra début février dans des conditions très difficiles, Alex North devant se rendre au studio chaque jour en ambulance. Kubrick semblait satisfait du résultat…A son retour aux États-Unis, Alex North pensait néanmoins que tout ce qu’il avait écrit pour remplacer Ainsi parlait Zarathoustra ne pourrait pas satisfaire Kubrick . Le résultat fût pire que tout ce qu’il avait imaginé : lors de la projection en avant-première aux New-Yorkais le 1er avril ( !) 1968, pas une de ses musiques ne figurait dans la bande originale du film…Au-delà de l’anecdote, et du terrible camouflet infligé par Kubrick au célèbre compositeur, il faut se pencher sur les raisons qui ont présidé au maintien des choix premiers du réalisateur et aux vertus qui, incontestablement, en découlent. Dès la conception de 2001, Kubrick voulait que le film soit une expérience intensément suggestive qui ramène le spectateur à un niveau plus intérieur de connaissance, justement comme le fait la musique. Et la musique, il connaît… Dans son excellente étude sur la musique dans l’œuvre de Kubrick, Damien Deshayes rapporte que, dans l’âme, Kubrick était autant un musicien qu’un cinéaste. Il est un fait que dans 2001, à aucun moment le rôle de la musique n’est innocent, qu’elle y est systématiquement génératrice de sens. En osmose avec l’opinion de Michel Ciment, Un cinéma qui ne s’adresse à l’intellect que par le détour de la sensation, au conscient qu’après avoir mobilisé le subconscient. Les raisons qui ont conduit Kubrick à utiliser telle ou telle musique reste un mystère… Il semble que les choix du réalisateur découlent non tant d’une analyse techniquement élaborée que d’une recherche très personnelle d’affect, transmis, confié ensuite à celui du spectateur. Le film est construit comme un opéra. Séquences très longues, montées comme les tableaux d’une œuvre lyrique. Avec une incroyable ouverture, 2:50 de noir intégral avec Atmosphères de Ligeti, et un entracte de 2:20, identique dans sa forme. Et de très nombreuses plages de silence. Trois blocs d’essence et de style différents constituent la bande musicale du film : Ainsi parlait Zarathoustra, de Richard Strauss, dirigé par Karl Böhm, est le premier. Un deuxième bloc, qui réunit les musiques de György Ligeti, Atmosphères, Lux Aeterna et Requiem. Et un troisième, formé d’un extrait de la suite de ballet Gayaneh d’Aram Katchaturian, dirigé par Guennadi Rozhdestvensky, et du Beau Danube bleu dont j’ai déjà parlé. Dès les premières images (l’alignement des planètes et du soleil), apparaît Ainsi parlait Zarathoustra. On a beaucoup écrit sur les raisons de ce choix. Je retiendrai que Zarathoustra avait tout pour aiguiser l’intérêt de Kubrick : son sous-titre, l’ énigme du monde, et la note de Richard Strauss qui y est associée, nous avons été trop longtemps somnambules. Désormais, nous voulons rester bien éveillés…, la doctrine nietzschéenne (l’homme doit se dépasser pour devenir surhomme et tuer Dieu), la grandiloquence proche de Carl Orff, dont il avait choisi la musique au départ, la puissance symbolique de son écriture (en Do majeur, tonalité la plus basique qui soit, trois notes ascendantes sur les degrés fondamentaux de la gamme – tonique do, dominante sol, tonique do, sa puissance dramaturgique, et on ne le dit pas assez, la notoriété de l’œuvre auprès du public. Tout était réuni pour faire vibrer la corde sensible du réalisateur. On retrouvera notamment Zarathoustra sur la scène de la découverte de l’outil chez les primates, avec de belles et intéressantes relations cut au plan entre image et temps forts musicaux. Plus conventionnelles sont les utilisations faites des musiques de Ligeti, qui par leur texture atonale et arythmique, sont en rapport direct avec les séquences qu’elles habillent, avec pour objectif d’intensifier la perte des repères du spectateur. Le troisième bloc est plus surprenant : Gayaneh, comme Le Beau Danube bleu, remplissent à priori le même premier objectif, celui de lisser l’image d’un point de vue esthétique, mais le rapprochement s’arrête là. Car Le Beau Danube bleu va rajouter de toutes autres dimensions suivant les espaces que l’œuvre habille. Dans la première des séquences dans laquelle elle est utilisée, qui relie les plans des engins spatiaux dans l’astral, c’est un rôle perturbateur qu’elle endosse, pour les raisons évoquées en début de cet article. Pour la deuxième séquence où elle apparaît, Kubrick va faire jouer à notre mental un drôle de tour de passe-passe en transformant cette première mission musicale en un tout autre exercice : après quelques plans sidéraux, intérieur vaisseau – travail de l’hôtesse ; sans aucune pause, la musique endosse alors le rôle des pires musiques d’ascenseur, habillage sonore habituel des musiques pour lieux publics. Et ajoute une note d’humour d’un type tout différent, alors même que la musique n’a pas changé…Ce diable d’homme qu’est Kubrick est sans doute l’un des seuls à savoir jouer avec autant de brio ce genre de carte dans ses films. Et cette intelligence musicale devrait servir de modèle à bien des compositeurs en mal d’inspiration…Au fait, pour quelle invraisemblable raison Le Beau Danube bleu est-il arrivé sur le film ? C’est Andrew Birkin, qui était à l’époque coursier pour la production, qui le raconte : pendant le visionnage de rushes d’effets spéciaux, Kubrick, qui s’ennuyait ferme, entend, venant de la cabine du projectionniste, la valse de Strauss, que le technicien était vraisemblablement en train de recopier, pour habiller les bandes son d’attente des cérémonies d’avant-première. Un autre jour, alors que l’on visionne un plan de vaisseau spatial, la même musique se fait entendre. Kubrick s’adresse alors à ses proches et dit : ce serait une folie ou une idée de génie de mettre cette musique dans le film ?
C’était une idée de génie… ! »