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[ENTRETIEN] : Takis CANDILIS

Réalisateur de cinéma, Takis Candilis devient en 1984 producteur dans différentes sociétés audiovisuelles (Prony, Tara Productions, Caméras Continentales, Ellipse, Hamster Productions). En 1999 il entre à TF1 comme directeur de la fiction, devient directeur général adjoint chargé de la fiction et des flux, puis président de TF1 production. En 2008 il rejoint le groupe Lagardère. En 2010 il est nommé Président Directeur Général de Lagardère Entertainment qui regroupe les activités de productions et de distributions audiovisuelles de Lagardère Active, soit plus de 18 sociétés. Lagardère Entertainment est la première société de production audiovisuelle française par son chiffre d’affaires. La musique classique ou celle pour la fiction a toujours accompagné ses diverses activités

Dès le début de votre carrière vous baignez dans la musique

« J’ai fait effectivement beaucoup de productions autour de la musique. J’ai commencé dans le documentaire puis dans la captation de spectacles vivants et notamment d’opéras. C’était il y a longtemps et pour les premières expériences qui se sont faites de captations et de recréations de spectacles en haute définition. Je me souviens qu’on a tourné au Mariinsky à Saint Saint-Pétersbourg, pour faire d’affilé deux opéras et deux ballets. On amenait les caméras, tout le matériel technique et souvent on travaillait en coproduction avec les compagnies de disques, Deutsche Gramophone, EMI, Sony Classical… J’avais fait toute la série des Mozart avec John Eliot Gardiner. Pour Philips, on a tourné avec Valery Gergiev, et fait des recréations avec Kent Nagano. A l’époque, on créait pour le laser Disc, l’ancêtre du DVD, ainsi que pour la télévision. Grâce à des obligations de productions, ces programmes se trouvaient être diffusés souvent à des heures impossibles. Par exemple, j’avais produit la captation de Pélléas et Mélisande, mise en scène de Peter Stein, dirigé par Boulez et tourné à Cardiff dans des conditions homériques. Le seul coproducteur que j’avais trouvé à l’époque c’était TF1. Pour faire ses quotas de diffusion, elle avait passé cet opéra en trois fois une heure, la nuit entre deux heures et trois heures du matin ! On produisait aussi, bien sûr, pour le disque. Chaque artiste que l’on filmait était affilié à une maison de disques. On côtoyait pour le son les plus grands ingénieurs du son de ces compagnies. C’était une époque bénie où l’on faisait des réunions à l’un ou l’autre bout de la terre avec les chefs d’orchestre concernés par les projets, soit à New York soit à Tokyo. Les réunions techniques se passaient ainsi selon l’emploi du temps de ces chefs. Il y avait de l’argent à l’époque. Aujourd’hui, via une filiale du groupe qui s’appelle Telmondis, nous sommes le plus gros producteur de ce type de spectacle. Nous avons un accord d’exclusivité avec Valery Gergiev. Je suis allé à l’inauguration du nouveau théâtre Mariinsky qui jouait la Khovantchina et j’ai rappelé à Valery qu’il y a vingt ans j’avais produit déjà sa Khovantchina au disque. 20 ans après je la reproduisais. On s’est congratulé en souvenir de cette époque, et bien sûr la vodka et le caviar ont été de la fête. C’était donc une de mes activités. L’autre c’était de faire des films autour de la musique mais pas en captation, en documentaire. Quand enfin j’ai commencé à produire de la fiction, j’ai utilisé de la musique pour être un élément dramatique du récit.

Vous aviez des relations avec des compositeurs ?

Je connaissais évidemment quelques compositeurs de musique, mais en tant que producteur je laissais plutôt le réalisateur choisir sa musique : ça tenait souvent à des relations assez intimes qu’il entretenait avec un musicien. J’écoutais, je donnais mon avis, je regardais, mais disons que j’étais plutôt un go-between entre le point de vue de la chaîne et le point de vue des talents. J’étais le liant. Le diffuseur ne me faisait pas de remarque au sujet de la musique. En tant que producteur, face au diffuseur, je n’avais pas ou peu de dialogue sur les éléments techniques de la dramaturgie, que cela soit de la précision d’un scénario, de telles ou telles directions artistiques prises ou de tel ou tel découpage, et encore moins sur la musique. Le résultat pouvait être quelquefois « Oh, il y a trop de musique » ou bien « y’en a pas assez ».

Quand vous vous êtes retrouvé à TF1 y a-t-il eu un changement d’attitude ?

Lorsque je suis arrivé à TF1, j’ai convoqué tous mes collaborateurs et je leur ai dit : j’ai été producteur, je sais qu’il y a une chose qu’on fait. Une fois qu’on a signé un contrat avec la chaîne pour nous le travail est terminé, après on se débrouille, tout le boulot a été fait en amont. Moi je leur ai dit que je voulais qu’on fasse l’inverse. Le jour où ont a signé avec nous, c’est à ce moment là que le boulot va commencer. Je veux que vous regardiez tous les rushes, tous les castings, tous les costumes, qu’on parle de la lumière, comment on va éclairer, quel va être le son, comment va-t-on utiliser la musique. J’ai organisé mes équipes pour être plus présent. Cela était très décrié. Je l’assume totalement, mais c’était un moyen de créer. Dans les émissions de flux il y avait une couleur TF1, il y avait une lumière, une brillance. Généralement il y avait du bleu. Si vous regardez la 2 c’est plutôt du rouge, c’est chaud. La Une c’est plutôt du blanc, du bleu, c’est brillant, un peu froid mais clinquant. Je voulais retrouver au niveau de la fiction cette couleur TF1, des nuits qui n’en étaient pas, des sons qui étaient plutôt claquants, des rires plutôt scintillants. Et au niveau de la musique c’était la même chose. Je voulais un vrai accompagnement musical. Et quand on a commencé le dialogue avec les producteurs qui étaient nos premiers interlocuteurs, on s’est aperçu malheureusement que quelquefois ils démissionnaient ou qu’ils n’avaient pas le temps. Alors on a été obligé d’entrer en direct. Plus vous demandez, plus vous exigez. Donc on s’est retrouvé à faire les castings, je voyais les costumes…. On m’accusait d’avoir dit à des gens qu’un sac de cette couleur, ça ne marchait pas ! Certes, mais dans un film tous les éléments concourent à donner des informations sur le caractère des personnages. A l’époque, j’ai côtoyé un certains nombres de musiciens qui venaient me faire écouter leur musique. Je leur demandais de me faire une maquette, de me donner la couleur, la thématique, le thème. Là on rentrait dans une logique avec un thème principal, des thèmes par rôle avec des tendances plus ou moins dramatisées selon tel ou tel personnage.

Il y a une différence de conception musicale entre un unitaire, une série, un feuilleton ?

La série ou l’unitaire c’est le même problème. La musique d’un unitaire peut rester dans la tête toute la vie ou va ruiner tout le film. Morricone n’a pas fait de séries et pourtant toutes ses musiques sont emblématiques de ses films. On les écoute ad libitum sans jamais s’en lasser.

J’ai rencontré des compositeurs très intelligents. Notamment un avec qui j’ai fait faire 60% des musiques de TF1, c’était Frédéric Porte. Entre la série, récurrente, et l’unitaire il y a le feuilleton, et c’est vraiment là le lieu où on peut décliner intelligemment et sans overdose la musique. Le générique est hyper important comme la couleur qu’on va donner aux épisodes, avec évidemment là une capacité de développer une partition musicale sur cinq ou six fois 90 minutes. Au début, selon les moyens qu’on donnait au compositeur, c’était avec un orchestre français, puis les coûts nous ont obligé à aller à Sofia ou à Prague. Puis, la technique évoluant, les compositeurs travaillaient avec leur matériel, puis on a mélangé les cordes et les samplers. Avec un unitaire on réduisait le coût de la musique, dans les séries il y avait une réutilisation de la musique. Dans le feuilleton c’est là où il y avait les budgets les plus intéressants qui permettaient de mélanger l’orchestre, la création musicale. Un feuilleton c’est la compilation de six unitaires. Pour tenir, il faut inventer des personnages et c’est tous ces personnages qui vont permettre de créer les rebondissements, les croisements. Autour de tous ces personnages il faut créer un univers musical. Il y a un côté épique dans le feuilleton, qui permet d’exprimer des envolées lyriques, dramatiques, etc…C’est là où j’ai pris le plus grand plaisir : permettre à des gens de s’exprimer sur ces durées là. Des durées qu’on n’a nulle part ailleurs.

Exemple ?

Je me souviens très bien de « Le Bleu de l’Océan », une mini série en 5 épisodes de 100 minutes, réalisée par Didier Albert il y a juste 10 ans. C’était un feuilleton à cheval sur deux genres. On sortait des feuilletons classiques initiés par De Givray. Moi j’ai voulu renouveler le genre. Je faisais référence au best seller de l’été où l’on voyait sur la plage des gens qui lisaient Barbara Cartland ou du polar. Je me suis dit mélangeons les genres, mélangeons la saga et le polar. On a fait un essai qui était « L’Eté Rouge ». On a eu un énorme succès. Sauf qu’un feuilleton ça se prépare un an à l’avance. On avait donc lancé le deuxième feuilleton suivant. On m’avait dit on tente le polar et si ça ne marche pas on revient au feuilleton plus classique. Sauf que le succès du premier nous a fait changer d’idée, et qu’il fallait remettre du polar. Comme on avait déjà tourné une partie, on a crée la dimension polar par du montage en retriturant l’histoire et beaucoup par la musique. Je réécoute la musique des compositeurs qui avaient fait Navarro, Serge Perathoner et Jannick Top, et je leur demander de « repolariser » la musique. Cela a fait un feuilleton hybride qui a été un assez gros succès. La fois d’après on est parti dans « Zodiac », « Le Maître du Zodiac »…et là on est entré dans la grande musique lyrico-policière. Au fur et à mesure de rencontres avec des musiciens je me suis aperçu qu’il y avait des compositeurs qui pigeaient plus que d’autres. Moi je ne sais pas lire la moindre partition, mais ce que j’essayais de faire c’était de renforcer les situations dramatiques et les sentiments des personnages et comment ils les expriment. Je disais au compositeur : voilà, il faut que tu me fasses pleurer, là je veux quelque chose de plus en longueur, là quelque chose de plus rapide. J’ai trouvé des musiciens qui comprenaient ce que je leur disais et rapidement, indépendamment de leur qualité, et d’autres qui étaient plus lents. Les grands moments musicaux pour moi sont plus dans les feuilletons que dans les unitaires ou dans les séries. Il y a plus la place de développer de longues thématiques musicales.

Vous avez eu les résultats que vous escomptiez ?

Je suis assez fier de la musique de « Zodiac », de « Mystère ». Claude Michel Rome, le réalisateur avec qui j’ai beaucoup travaillé, a des rapports privilégiés avec les musiciens qui réagissent aussi vite que lui, dont Frédéric Porte. En télévision il faut être très réactif, on n’a pas le temps. La musique hélas arrive souvent au dernier moment, elle est rarement utilisée au moment du tournage. Nous imposions dans notre découpage une surutilisation des plans. Je vois souvent sur le service public qu’il y a des plans larges avec toute une situation qui se fait : c’est une chose qu’on n’aurait jamais faite. On aurait demandé au metteur en scène de la découper pour pouvoir redonner du rythme à la scène, probablement par peur d’un zappage éventuel.

Il y a eu des chansons ?

Il y avait toujours une chanson de générique final pour tous les feuilletons.

Quels sont les feuilletons qui vous laissent de bons souvenirs ?

Beaucoup : « Méditerranée », « L’Eté Rouge », les «  Zodiac », « Dolmen ». C’étaient des évènements que les gens attendaient. On pouvait faire du marketing. Aujourd’hui à la place du feuilleton il y a la série en huit ou dix épisodes. On voit bien que la transposition du feuilleton d’été est devenue la série à l’américaine qui est reprise par Canal, par Arte et par d’autres.

Aujourd’hui que vous êtes redevenu producteur, cette expérience vous permet de produire de manière différente ?

Chez Lagardère il y a une vingtaine de sociétés qui ont leur propre identité. Je laisse quand même tous les producteurs s’exprimer. Il y a des moments où je m’investis plus, sur des séries importantes comme « Borgia ». Pour le choix du musicien j’ai demandé qu’on contacte Cyril Morin avec qui j’ai beaucoup travaillé sur TF1. Il a fait la musique pour la première saison. J’aime beaucoup ce qu’il fait au cinéma. Dans « Samasara », par exemple, il a une capacité à trouver des couleurs musicales assez exceptionnelles. La difficulté de « Borgia » c’était de ne pas tomber dans le cliché. L’autre difficulté c’est que la main est celle du show runner. Sur « Borgia » il y a quatre ou cinq réalisateurs, les auteurs sont six ou sept, et le choix final est donné par le show runner. C’est une organisation à l’américaine. Il y a des patrons pour tous les services.

Je suis désolé, mais à l’inverse des grandes séries, le générique dans « Borgia » est pratiquement inexistant, on ne s’en souvient pas.

Oui, il y a beaucoup de musique dans « Borgia » mais il n’y a pas de thèmes, et moi j’ai un vrai problème. Le générique est important et il fallait trouver cette couleur qui est aussi essentielle que les dialogues. La thématique est importante, c’est un signal sonore. Or dans le cas présent il n’est pas reconnaissable, mémorisable. Pour Cyril ça été compliqué. Pour la saison deux ils ont fait un casting, ils ont changé de compositeur, et ont demandé à Éric Neveux. Il a fait aussi un bon travail, mais je trouve de la même manière qu’il n’y a pas de thématique qui prenne de l’importance. Ce n’est pas dû au musicien, la musique d’Éric est très jolie, mais elle est noyée par l’image, par la dramaturgie, et ça ce n’est pas normal parce qu’elle doit être un des éléments dramatiques et non un accompagnement. La saison trois est en tournage. Pour la saison deux on a changé de générique. Ce qui fait que pour certains la musique n’est qu’un support, quelquefois un cache misère, et pour d’autres un élément plus indispensable. C’est très compliqué de faire comprendre la musique qu’on désire. Sur tous les autres aspects techniques on peut mieux se faire comprendre. Avec la musique c’est compliqué. On peut dire j’aime, j’aime pas. C’est tout l’art du metteur en scène de pouvoir être en phase avec son musicien. Peut-être est-ce un problème de culture.

Depuis trente ans vous faites ce métier avec passion, vous êtes aussi un amateur de musique dans le sens premier du terme : quelles réflexions avez-vous sur ce métier ?

Lorsque j’ai commencé comme producteur de fiction, je travaillais avec un monsieur à TF1 qui s’appelait Claude de Givray. C’était l’école Truffaut, une personne qui avait une énorme culture cinématographique. Quand j’allais le voir, on parlait trois heures de cinéma avec des références qui étaient assez simples, des films des années 50, 60,70. J’avais des collaborateurs qui étaient de cette génération là. Aujourd’hui, il y a des gens qui ne sont pas nés avec le cinéma comme média, mais avec la télévision. Allez leur parler de la nouvelle vague, du cinéma américain, de la beat génération, même du cinéma des années 70, Monty Hellman par exemple ! Ce sont des gens qui n’ont pas cette culture. Le cinéma tel qu’il est produit aujourd’hui est dans sa très grande majorité un cinéma de marketing. Ce n’est pas un jugement de valeur : il a simplement une autre fonction. Cette perte d’analyse et de culture fait que le dialogue est encore plus difficile à obtenir et que souvent on a quelqu’un dans une chaîne qui va vous dire j’aime ou j’aime pas, sans aucune analyse critique. Et qui au sujet de la musique va vous regarder comme s’il n’avait pas entendu celle qui était sur une scène qu’il venait de regarder, et vous dira oui, oui c’était bien. Est-ce un bien, un mal je ne sais pas…mais il existe un manque

Citez-moi les compositeurs de musique pour la télévision que vous aimez

Frédéric Porte, Cyril Morin, Didier Vasseur, le compositeur de « Julie Lescaut », et aussi les deux de « Navarro » Serge Perathoner et Jannick Top. Serge avait fait le superbe générique d’Ushuaïa.

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