Un livre de Laurent Van Lancker
Collection Nouvelles écritures de l’anthropologie
Les Éditions Presses Universitaires de Lyon
juillet 2025, 272 pages
Disponible aussi au format numérique sur OpenEdition
S’immerger dans d’autres cultures par le cinéma !
Laurent Van Lancker est cinéaste et professeur d’anthropologie audiovisuelle à l’université d’Aix-Marseille où il est titulaire d’une chaire d’excellence A*Midex et où il a créé un groupe de recherche sur les formes narratives alternatives en anthropologie audiovisuelle (ANFAA).
L’HISTOIRE En tant que cinéaste et anthropologue, Laurent Van Lancker s’emploie à transmettre une expérience vécue. C’est tout l’objet de l’ethnographie cinématographique, que l’auteur renomme ici cinéthnographie, afin de souligner que l’expérience sensorielle vient, dans la rencontre avec l’Autre, avant la mise en mots, en sons et en images.
On peut ainsi considérer ce livre comme un carnet de notes, articulant théories et pratiques contemporaines, qui accompagne des courts ou longs métrage (co)réalisés par Laurent Van Lancker, œuvres accessibles via des liens placés tout au long de l’ouvrage. C’est donc un voyage à la fois audiovisuel et textuel au cœur de la cinéthnographie qui est ici proposé, à travers ses composantes, à travers les approches sensorielles qu’elle souhaite mettre en avant, à travers une démarche collaborative sans laquelle elle perd tout son sens. C’est enfin une invitation à penser différemment lancée à toutes celles et ceux qui s’intéressent à l’anthropologie audiovisuelle, au cinéma documentaire et, plus globalement, à la question de la représentation dans l’art et dans les sciences humaines et sociales.
L’AVIS
Avec Cinéthnographies, Laurent Van Lancker propose un ouvrage singulier : ni manuel, ni essai académique, ni récit personnel, mais un espace hybride où le film documentaire rencontre l’anthropologie dans ce qu’elles ont de plus vivant. Traversé par une seule question, posée non comme une méthode mais comme une exigence : comment filmer avec, et non sur, les autres ? L’auteur y rassemble une série de réflexions nourries par des années de terrain, de pratiques collaboratives, de projets menés en milieux fragiles ou précaires — prisons, camps de réfugiés, quartiers oubliés — où le cinéma devient outil de dialogue, d’écoute et de co-écriture. Il ne s’agit pas d’imposer une vision, mais d’inventer des formes partagées, un cinéma qui se fait avec ceux qui y participent, dans l’incertitude de ce qui sera produit. Van Lancker écrit : « Ce qui m’importe, ce n’est pas ce que je filme, mais comment je filme avec. Le dispositif compte autant que le résultat. C’est dans le processus que quelque chose de juste peut advenir, parfois. Ce n’est pas l’objectivité qui est recherchée, mais une forme de justesse relationnelle. ».
Le livre refuse les grandes théories générales au profit d’une attention concrète aux pratiques. On y trouve des carnets de tournage, des dialogues avec des participants, des réflexions sur les effets du cadre, sur le rôle du silence, sur la place du réalisateur — non plus maître d’œuvre, mais facilitateur d’un récit collectif. Cette posture engage une éthique : celle d’un retrait relatif, d’une vigilance constante aux déséquilibres, aux rapports de pouvoir, à ce que le film fait aux gens, et à ce qu’il leur permet. Si l’on pense forcément à Jean Rouch pour l’invention d’un cinéma ethnographique participatif, Van Lancker s’en distingue par une conscience aiguë des enjeux contemporains — postcoloniaux, sociaux, politiques. Là où Rouch gardait une part d’expérimentation parfois ludique, Van Lancker inscrit ses pratiques dans un contexte où le cinéma devient aussi un outil de résistance, voire de réparation, les films deviennent des lieux d’élaboration politique et sensible. Là où Rouch apparaissait encore comme le catalyseur – certes ouvert – de ses dispositifs, Van Lancker s’efface au profit des processus collaboratifs. Cinéthnographies s’adresse aux cinéastes, aux chercheurs, aux artistes, mais pourquoi pas à tous ceux qui croient encore que le film peut être une forme d’engagement – modeste, concret, profondément transformateur. Passionnant !