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Compositeur autodidacte, atypique, la quarantaine, passionné de musiques en tout genre (il a écrit, entre autres, pour le tour de chant de Jean Claude Dreyfus), de jazz en particulier, Frank Sforza est, à force de conviction, un compositeur reconnu dans le monde du court-métrage. Souvent récompensé il est aujourd’hui dans plusieurs commissions pour l’aide aux courts-métrages. Il nous a reçu dans son studio.
Comment devient-on compositeur de musique de film ?
Dans mon cas c’est plutôt comment on devient musicien, car j’ai commencé très tard à faire de la musique, à dix neuf ans. J’avais écouté Jean Jacques Goldman qui avait un super saxophoniste, Philippe Delacroix Herpin, dit Pinpin. Sur « Petite fille » il a fait une impro qui m’avait impressionné. Comme j’ai raté mon bac, mes parents m’ont demandé ce que je voulais faire à la rentrée. Je leur ai dit saxophone et ils m’ont dit ok !
Vous étiez dans un milieu musical ?
Pas du tout, mon frère est auteur de textes de chansons. On est d’origine italienne, mon père, livreur de vin, adorait la musique. On écoutait RTL, Luis Mariano, Enrico Macias. Je me suis fait ma culture musicale, avec la bonne variété française, Brel, Brassens, Goldman…
Vous aviez une petite idée de ce que c’était de faire de la musique ?
Rien, je ne savais même pas ce que c’était une clef de sol ! Comme j’avais des parents extraordinaires, mon père m’a acheté un saxophone et j’ai pris des cours. Dès que j’ai mis mon saxo à la bouche, je suis né une seconde fois.
Et le conservatoire municipal suffisait ?
Pour avoir une bonne formation, ça ne suffisait pas, et j’étais trop vieux pour y rester. Il y avait l’École Normale de Musique de Paris, avec concours et six ans d’études payantes.
Et votre père a suivi ?
Il m’a dit si tu veux le faire, OK on te suit. Mais à une condition : tu vas jusqu’au bout, sinon, c’est dehors ! Et j’ai fait les six ans. Un seul prof était intéressant et il m’a sauvé, c’est Jacques Desloges avec qui je suis toujours en contact.
Et vous en êtes sorti à 25 ans ?
Oui, pour faire de la musique à l’armée, pendant mon service militaire ! Dans une fanfare ! C’était n’importe quoi, avec un chef qui se prenait pour Karajan ; mais je continuais à prendre des cours avec Monsieur Desloges au Conservatoire de Versailles. J’ai fait aussi l’école bidon de jazz où il y avait de bons musiciens qui venaient cachetonner mais qui n’étaient pas pédagogues. Monsieur Desloges, lui, était un vrai pédagogue ! En France, on ne peut pas commencer à faire de la musique à 18 ans et de plus en vouloir faire son métier ! Je me suis enfermé pendant six ans à faire du saxo huit heures par jour! J’ai pris des cours privés avec Monsieur Desloges pendant quelques mois et il m’a fait le plus beau compliment qu’on pouvait me faire : « Maintenant avec toi on peut faire de la musique »
Et votre rencontre avec Jean Louis Chautemps ?
Compliqué car la France entière venait à Bagneux et il ne recevait que le Lundi. Il m’a pris et il a dit : « il faut désherber » ! J’ai pris six mois de cours et j’ai adoré. Le problème c’est que je joue du jazz comme j’ai envie, et les professeurs n’ont jamais accepté. Moi, ça ne me posait pas de problème. Bon je n’ai pas appris grand chose avec lui, mais c’était bien.
Qu’est ce qui vous avez donné l’envie d’écrire de la musique de film ?
C’étaient les dessins animés à la télé Il était une fois l’homme avec la Toccata et Fugue en ré mineur de Bach. Je crois que c’était là le déclic !
Qu’avez-vous fait avec ce bagage musical ?
Comme je composais pour moi et que je ne savais pas comment faire pour écrire pour d’autres, je suis allé à l’École Louis Lumière. Sur un tableau j’ai vu qu’il existait une maison du film court donc je suis allé voir cette maison, je me suis inscrit, j’ai pris le numéro de téléphone des réalisateurs et je les appelais tous et j’ai investi dans un studio.
Et votre premier court ?
En 2000, pour Pascal Vignes, il n’a pas continué dans le cinéma. Je lui ai composé le générique de fin.
Et pour les arrangements ?
J’écoute la musique qui me plaît sur CD que j’emprunte à la médiathèque et avec les partitions j’essaye de comprendre comment a écrit le compositeur. La journée j’écris et la nuit je lis les partitions ! C’est ainsi que j’ai découvert Bach, Bartók, Stravinsky, Mahler…
Vous en êtes où aujourd’hui ?
Aujourd’hui j’en suis à plus de cent courts-métrages, cinq longs et une pièce de théâtre.
Et ces réalisateurs de courts ont-ils réalisé des longs-métrages ?
Certains m’ont rappelé pour d’autres courts mais aucun n’est passé au long et beaucoup ont laissé tomber. Je suis très fier de la musique que j’ai écrit pour Sinister Attack From Mysterious Planet X en 2001, réalisé par Stéphane Bonnici, pour laquelle j’ai eu un prix. C’est dommage qu’il ait arrêté, parce qu’il avait vraiment du talent.
Votre premier long-métrage est Vénus et Fleur . Comment rencontre-t-on Emmanuel Mouret ?
Un copain me dit qu’il y a une rencontre avec un directeur de casting, et que lors de cette rencontre il y a deux réalisateurs, Jean-Claude Brisseau et Emmanuel Mouret. Je ne savais pas qui était Mouret. Je grave quand même deux CD. Je me fiche des directeurs de castings qui étaient là pour les comédiens, et à la fin de la réunion je donne mes CD. Brisseau s’en fout. Je trouve les coordonnées de Mouret qui faisait son premier long Laissons Lucie Faire, il sortait de la FEMIS, il n’a pas eu de succès. Je lui téléphonais de temps en temps. Il me dit qu’il n’a pas mis de musique dans son nouveau film Vénus et Fleur , puis me rappelle pour me demander de faire quand même de la musique. C’était une belle rencontre, une belle musique pour harpe. Je ne savais pas si c’était jouable. J’ai pris rendez-vous avec un professeur qui m’a dit qu’il n’y avait pas de soucis, et on l’a enregistrée. C’est un très joli film.
Vous avez continué à travailler avec lui ?
Cela a bien commencé. Je ne sais pas si on continuera. J’ai fait en 2006 Changement d’Adresse . Il ne s’investit pas trop dans la musique, c’est bizarre pour un auteur. No comment !
En 2002 vous composez pour la Gueville A l’Abri des regards Indiscrets pour Hugo Gélin.
C’est un coup de chance. Je répondais à toutes les annonces. Si on cherchait une blonde, j’étais la blonde! Hugo Gélin cherchait des figurants. Moi je me présente pour la musique, il me dit pourquoi pas, je lui envoie un CV. Cela ne colle pas. Six mois plus tard je le rappelle et là il me dit qu’on pourrait se voir ! Et je me retrouve avec tout le cinéma français ! Gélin, Nanty, Russo, Breitman, Morel, J’écris une musique de cirque et c’est pour moi un de mes plus beaux souvenirs ! J’ai reçu pour ce film une de mes plus belles récompenses, mieux qu’un César ! J’allais souvent sur le tournage. J’ai entendu Jean Pierre Cassel qui sortait de sa loge en sifflant la musique que j’avais composée !
Et depuis ?
Beaucoup de musiques, mais plus de long-métrage. Chansons, théâtre. Ce n’est pas par volonté mais par opportunité. C’est très cloisonné. Les réalisateurs, les boîtes de productions, pour qui j’ai travaillé, ne sont jamais passé au long. Ce sont des milieux différents. Le court-métrage n’a pas de public. Ils ne passent que dans les festivals. C’est un monde en circuit fermé, subventionné.
Quel est le réalisateur avec qui vous avez les meilleurs souvenirs ?
C’est un réalisateur avec qui je viens de faire un nouveau court-métrage : Le Risque Zéro de Philippe Lacoueille que j’ai connu il y a plus de dix ans. On a travaillé en amont, puis pendant le montage. Il habite Angoulême et venait une fois par semaine à Paris pour qu’on travaille ensemble. Pour lui la musique c’est aussi important que la lumière, les décors, les costumes.
Et pour les contacts comment faites-vous ?
Je prospecte tous les jours, je continue à aller à la FEMIS, je prends rendez-vous avec les boîtes de productions.
Votre prochain court-métrage ?
L’adaptation du Corbeau de Poe en images de synthèse de Vijay Ravindirin.
Et comme musicien ?
Je n’ai pas envie d’avoir une vie de musicien. J’adore écrire de la musique, je m’épanouis dans la composition, mais le saxo c’est pour moi rien que pour moi.