Pianiste et compositeur de trente cinq ans, Mathieu Lamboley a étudié successivement au Conservatoire régional de Paris et au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris – CNSMDP – où il finit son parcours musical brillamment avec 5 premiers prix : Harmonie, Contrepoint, Fugue et Forme, Orchestration, et Piano. Il sera notamment l’élève des pianistes Michel Beroff, Éric Lesage, Brigitte Engerer, Olivier Gardon, Yves Henry ou encore Denis Pascal. Pour la composition il recevra les enseignements d’illustres maîtres comme Thierry Escaich, Marc André Dalbavie, Jean François Zygel, Jean-Claude Raynaud ou DeCrepy.
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À la Guidhall School of Music of London, il étudie la direction d’orchestre avec Alan Hanzeldine et dirige à cette occasion diverses formations symphoniques. Il choisit de se perfectionner en orchestration avec Guillaume Connesson, ce qui lui donnera le goût et l’aptitude pour l’écriture orchestrale et lui permettra d’être notamment l’orchestrateur de compositeurs de musiques de film comme Grégoire Hetzel, avec Conte de Noël de Arnaud Desplechin. En 2004 il écrit sa première musique du film : Les Oreilles n’ont pas de Paupières d’Étienne Chaillou, film d’animation qui reçoit le Grand Prix pour la meilleure bande originale au festival d’Aubagne 2005. Cette date marque le début de sa carrière en tant que compositeur pour l’image.
Quelle est la première musique de film qui vous a passionnée ?
Le premier choc, il est très banal, c’est la musique de Star Wars de John Williams.
Ce n’est pas de votre génération ?
Non, mais quand on est ado, on a envie de partir dans les étoiles. J’ai vu les films bien sûr en DVD, il y avait de la musique tout du long, comme un space opéra. Comme j’ai une formation très classique, la musique ce n’était pour moi que Debussy, Ravel, la musique française. Je m’intéressais plutôt à la musique dite classique. Mon père est médecin mais aussi guitariste de jazz et quand j’étais ado on jouait les standards. Son style c’était Jim Hall. Je composais un peu, j’avais ainsi une culture plus large et mon père m’a conseillé de prendre des cours d’écriture. Je suis donc entré au conservatoire en écriture vers 18 ans. J’aimais faire de la musique française et j’adorais aussi écrire des chansons, faire des spectacles de cabaret. J’avais deux casquettes : le classique et la pop. Je ne me posais pas de question de savoir quel style de musique je voulais écrire. Je ne peux pas dire qu’à 15 ans je voulais être compositeur de musique de film, mais je me suis rendu compte que d’écrire en même temps pour le théâtre, pour la chanson et pour le cinéma c’était des supports qui permettaient de m’exprimer. Je ne prétendais pas devenir un compositeur de musique de concert.
Pour quelles raisons êtes-vous allé à Londres et aux États-Unis?
J’étais encore au CNSMDP et je suis allé à Londres pendant huit mois pour travailler mon programme de prix pour le piano et j’ai fait les options de direction d’orchestre. Ce n’était pas une grande formation mais j’ai appris les basiques, ce qui me permet aujourd’hui de diriger mes propres musiques. Aux États-Unis, j’ai fait un atelier, qui existe toujours, organisé par l’ASCAP (la Sacem américaine). Elle organise un workshop pendant un mois et demi ; on était dix compositeurs du monde pour composer une séquence musicale à la fin du stage sur un film préexistant jouée par un orchestre qu’on dirigeait dans un super studio à Hollywood ; et on avait des cours, des master classes, où on nous expliquait le business, le monde de la musique, aux USA. On a eu des rencontres, entre autres, avec Zimmer et James Newton Howard de Remote control qui nous donnaient des conseils.
Et quels étaient leurs conseils ?
Continuez ! On aime l’approche frenchy de votre musique ! Ce qui s’avère être vrai quand on voit la carrière d’Alexandre Desplat. J’ai rencontré un agent qui m’a dit qu’il y avait de la place pour les Français. Mais il fallait faire d’abord un succès qui soit français et qui marche aussi aux États-Unis !
Comment avez-vous rencontré des réalisateurs?
Par pur hasard, il y avait des petites annonces à la cafet’ du CNSMDP. Il y avait un réal qui cherchait un compositeur pour son projet de fin d’études aux Arts Déco. C’était en 2005, pour le film d’Étienne Chaillou Les Oreilles n’ont pas de Paupières, un film sur la musique. On s’est rencontré, il savait ce qu’il voulait, une musique de style viennois qui aurait pu être jouée dans un camp de concentration. Tout le film est sur le décalage entre cette musique entraînante, joyeuse et l’horreur qui se passait dans les camps. Je me suis inspiré de l’esthétique de l’époque romantique, du XIXème siècle. On commençait dans du Schumann et on allait vers des harmonies plus ravéliennes. Je n’avais pas de synchronisation à faire à l’image parce que lui recalait tous ses dessins.
Il était ravi de votre travail parce que vous avez retravaillé avec lui en 2008 et 2009.
Oui, et je vais travailler avec lui le mois prochain. Il s’est associé avec Mathias Thery et ils font du documentaire. Comme ils travaillent avec Les Films d’Ici, j’ai eu pas mal de collaborations avec cette société. Mes premières musiques étaient pour des documentaires.
Comment avez-vous rencontré Caroline Huppert pour qui vous avez souvent travaillé ?
Je l’ai rencontré parce que j’ai orchestré des musiques de Grégoire Hetzel qu’il composées pour elle. En 2011 il était très pris pour faire la musique du téléfilm Climats. Ellle s’est souvenue que j’avais travaillé avec Grégoire et elle m’a proposé de travailler pour elle.
Et vous avez composé ses deux suivants!
Oui, pour Djamila en 2012 et l’année dernière, pour Un Père Coupable.
Vous avez écrit un très beau thème dramatique pour Djamila, on n’aurait pu penser à du Ligeti…
C’est tout à fait inconscient, c’était pour la scène de torture. Caroline Huppert, dans la version finale, a décidé de mixer les bruits réels un peu devant alors qu’à la base elle avait une idée de ne mettre que la musique. On voyait souffrir Djamila ; pour moi ces voix étaient celles de la femme. J’ai voulu composer un morceau vocal qui symbolisait le cri et la souffrance qu’elle endurait. D’où une esthétique pas forcément tonale, plus sur la dissonance. J’étais un peu triste que la séquence ait été sous mixée ; on n’a jamais le dernier mot.
C’est bien dommage car c’est un beau morceau. Comment se comportent les réalisateurs avec qui vous travaillez ?
Globalement ils sont assez ouverts, ils savent à peu près ce qu’ils veulent au niveau esthétique. Chaillou et Thery sont très tatillons ; c’est à la note près qu’ils travaillent. Il y en a qui ont plaisir à venir collaborer au processus de création, ils sont partie prenante de la partition ; ce qui est intéressant et permet de se renouveler, de se mettre des challenges.
Vous avez collaboré à la musique du film Un Conte de Noël de Desplechin avec Grégoire Hetzel, un compositeur très à la mode en ce moment. Comment l’avez-vous connu ?
La première fois, j’avais 13 ans, il suivait un stage de piano avec mon professeur Yves Henri. Ensuite il a été professeur de solfège et moi j’étais en fin d’études au conservatoire du 6ème On se croisait souvent et il savait que je composais. Il m’a proposé d’être son assistant, j’ai collaboré sur pas mal de films avec lui.
Vous écrivez une musique à thème, assez lyrique, romantique, c’est de la belle musique, ce n’est pas péjoratif pour moi. C’est ce que vous aimez proposer ?
Oui c’est vrai, on me demande toujours un thème. Dernièrement j’ai répondu à un appel d’offre et j’ai été pris parce qu’il y avait un thème. C’est le prochain film de Pascal Chaumeil, le réalisateur de l’Arnacœur.
Vous aimez lire les scénarios en avance.
Oui j’aime les lire mais il m’est arrivé qu’on m’appelle, le film monté, sans avoir eu de relation avec le réalisateur.
Comment avez-vous fait pour travailler avec Gaumont ?
En fait j’avais travaillé pour un documentaire et la monteuse, six ans après, se souvenait de mon travail. Un jour, je reçois un coup de fil d’un réalisateur pour composer la musique de son film Brigitte Bardot, produit par Gaumont. Il faisait un petit casting, il y avait Grégoire Hetzel qui était en lice visiblement avec qui il avait envie de travailler, mais la monteuse lui a conseillé de travailler avec moi..
Il y avait peut-être aussi une question de budget ?
Vu la somme allouée je pense que Grégoire n’aurait pas accepté. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Quentin Boniface, le responsable de la musique de chez Gaumont. Il m’a dit que le budget était faible mais dès qu’il y aurait des appels d’offres il me ferait participer. Quatre mois après il m’a téléphoné et il m’a dit qu’il y avait un premier film que produisait Gaumont, Libre et Assoupi et que le réalisateur n’avait pas de compositeur. On était dix compositeurs au casting. On avait deux séquences à illustrer, mon pseudo était Batman pour qu’on ne sache pas qui on était et j’ai été choisi. Idem pour le film de Noémie Saglio et Maxime Govare Toute Première Fois, et pour le prochain film ce fut pareil.
Dans Bardot il y a du Delerue dans votre musique, c’est involontaire ?
Ah bon ? Peut-être la façon de traiter les cordes, très classique…
Y’a-t-il un réalisateur qui vous a appelé et qui vous a dit : j’aime ce que vous faite, travaillons ensemble !
Non, pas encore, je suis trop jeune dans le métier peut-être. Dans le documentaire ça m’arrive mais pas encore sur des longs.
Que vous a t-on demandé de composer pour le prochain film ?
Moi qui suis assez classique on m’a demandé de faire une musique assez rock donc je suis obligé de faire à la manière de, il y a des codes dans ce genre de musique.
Dans vos deux derniers films j’ai eu l’impression d’entendre la même musique ?
C’est amusant ce que vous me dites parce que pour Toute Première Fois la monteuse avait pris des musiques de Gaumont pour le montage en attendant les musiques originales. Elle avait monté les séquences avec la musique de Libre et Assoupi ! que je venais de composer. Après l’appel d’offre elle s’est aperçue que les musiques temporaires mises au montage étaient celles du musicien qui avait passé le casting ! Les réalisateurs bien sûr s’étaient attachés à ces musiques et donc voulaient le même style. J’ai essayé d’en sortir et j’ai amené les musiques vers un univers plus moderne.
La musique de Toute Première Fois est sortie en CD. Trouvez-vous judicieux qu’on les écoute hors de leur contexte ?
Il y a deux cas de figures : là il y a des chansons que j’ai composées, donc c’est super de pouvoir les écouter ; d’autre part, ce sont des petites pastilles que j’ai écrites, et qu’on peut parfaitement écouter sur un CD; il n’y a pas de grandes séquences musicales. J’ai écrit plus de musiques pour des séquences qui ont sautées au montage, et qui étaient plus décalées que celles qu’on entend dans le film. Il ne faut pas avoir d’ego parfois. Le groupe Nuit Blanche c’est moi aussi !
Nuit Blanche qu’est ce que c’est ?
Il se trouve que j’ai travaillé avec la chanteuse Lise Meyer et c’est un groupe qu’on avait créé. Lorsque j’ai écrit des musiques de film on m’a demandé des chansons. Donc on a écrit des chansons ensemble en anglais pour Macadam Baby puis pour Libre et Assoupi et pour Toute Première Fois ; et à côté on a écrit des textes en français pour un projet de disque qui va sortir début septembre.
N’est-ce pas compliqué d’écrire pour des comédies ?
Oui, car il y a beaucoup de dialogues et beaucoup d’effets. Il faut à la fois ne pas entrer dans le « mickeymousing » (musique qui souligne chaque événement du film par la bande sonore, NDLR), les synchros sur des vannes ça ne marchent pas du tout, et d’un autre côté il faut que la musique soit assez discrète et on n’a pas forcément la place pour un grand thème. Pour Toute Première Fois, là où je me suis le plus amusé à écrire c’était pour les séquences de Montmartre et celle du Jacuzzi ; là j’ai pu développer ma musique.
Est-ce que faire de la musique pour l’image c’est composer de la sous musique ?
Non, c’est de la sous musique si on se cantonne à faire du classique mis à l’image, avec trois harmonies simples. Mais si on se dit qu’il faut entrer dans un cadre stylistique qui nous est donné, entrer dans le son, mélanger les timbres, s’il y a une part de recherche compositionnelle existante et pas forcément formelle, c’est de la vraie composition musicale. Le support image induit une composition précise. Dans la pop, c’est au niveau du mix que la création va se faire. On n’apprend pas au conservatoire comment fonctionne un compresseur, tout ce qui a un rapport au son qui finalement change la couleur d’une pièce. L’œuvre c’est le résultat de ce qui sort du studio. La maquette ne donne jamais ce que sera le résultat, il faut que le réalisateur arrive à se projeter dans ce qu’on lui propose.
Écoutez-vous vos confrères ?
Oui, ça m’arrive mais je suis trop dans mon truc et je ne peux pas dire si je suis fanatique de tel ou tel compositeur. Je suis impressionné par la carrière de Desplat. Bon, Bernard Herrmann c’est la référence…J’aime ce que fait Grégoire Hetzel, Olivier Calmel,
Est-ce que vous voulez évoluer vers des musiques plus contemporaines, plus électro ?
Pas pour le moment. J’adore les cordes, les musiques lyriques. J’adore composer de la musique pour les comédies, mais j’aimerai aussi faire un vrai film romantique.
J’espère qu’un réalisateur vous lira !