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[ENTRETIEN] : CYRILLE AUFORT

CYRILLE AUFORT, compositeur de Musiques de Film

 ©DR

 Titulaire de plusieurs Premiers Prix du Conservatoire National de Musique de Lyon et de Paris, Cyrille Aufort, à peine quarante ans a tout d’abord composé de la musique pour des documentaires et des courts-métrages. Il a fait ses premières armes dans le cinéma en qualité d’orchestrateur. Il a collaboré avec Alexandre Desplat (Otage), Yvan Cassar (Massaï, Quartier VIP, l’Odyssée de l’Espèce), avant de se voir confier la composition de la musique originale de longs métrages, Ombline, de Stéphane Cazes,

L’âge de Raison de Yann Samuell, 9A de Reza Rezaï ou Hell de Bruno Chiche, et de téléfilms tels que La Maison Tellier d’ Elisabeth Rappeneau. Il a composé pour le magnifique documentaire de Jacques Perrin L’Empire du Milieu, une belle composition musicale. C’est parce que nous avons apprécié la musique de l’Homme Idéal (Cf. NL de 4/2015), que nous sommes allés le rencontrer dans son petit studio en banlieue parisienne, surplombant le parc de Sceaux. Il nous a reçu de manière décontractée entre deux compositions.

Quelle est votre actualité ?

Juste après L’Homme Idéal je viens de finir la musique du film de Luc Jacquet qui s’appelle La Glace et le Ciel.

Après La Marche de l’Empereur il doit aimer les terres glaciales ? Comment l’avez-vous rencontré ?

Je cois que c’est par le supervisor musical, Varda Kakon. J’ai fait des essais sur ce qu’il m’a donné et puis ça lui a plu.

Quelle est l’histoire ?

C’est l’histoire de Claude Lorius, glaciologue français, qui a mis en évidence le lien entre la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre et l’évolution du climat.

Est-ce un film écolo ?

Oui et non.

Un biopic alors?

Il y a beaucoup d’archives. Le film raconte sa vie à partir de sa première expédition en antarctique jusqu’à ce qu’il découvre le taux de CO2 et d’autres gaz dans les carottages et leurs rapports avec les variations climatiques ; ça remet au centre ces gens qu’on n’entend pas souvent, qui sont des scientifiques, et qui ont passé 50 ans de leur vie sur ce problème. Enfin un vrai film écologique.

Que pensez-vous du pouvoir de cet intermédiaire entre le réalisateur et le compositeur qu’on appelle supervisor musical et dont on ne connaît pas trop ni son origine ni ses talents?

On pourrait appeler cela un producteur musical. A la base c’est aider le réalisateur, qui n’a pas forcément une idée musicale, à trouver la bonne personne ; ensuite il gère la production musicale.

C’est comme le directeur de casting ; il faut être bien avec lui pour qu’il vous propose.

Il y a des réalisateurs qui ne savent pas à qui s’adresser, qui ne savent pas quel type de musique il faut pour leur film. C’est un conseiller, il donne des idées de compositeurs, puis après il y a toute la production musicale dont s’occupe le supervisor. La musique est un domaine très particulier, il y a les questions de droits, de cessions, celle aussi de trouver un orchestre….Chez les américains ça existe depuis longtemps.

Comment vous l’aviez rencontré ?

Elle avait apprécié la musique de Splice et c’est à cette occasion qu’on s’était rencontré.

Votre parcours s’est fait à travers des supervisors ?

Non, chaque rencontre est unique. Il y a des gens qui appellent mon agent, d’autres qui vont sur mon site et quelques fois des appels d’offre. C’est très varié.

En lisant des interviews que vous avez données, on voit que vous avez toujours voulu écrire de la musique de film ; Y’a-t-il des musiques ou des compositeurs qui vous ont impressionné ; ne me dites pas John Williams !

Je suis venu à la musique de film par l’orchestre ; avant d’entrer au conservatoire, quand j’ai décidé de faire des études d’écriture, ce qui attirait le plus mon oreille c’était l’orchestre. J’ai fait un peu de violon et le 2ème Concerto de Prokofiev. C’est là où j’ai découvert l’orchestre. La première musique de film qui m’a marquée c’est Alexandre Newsky. Je devais avoir 17, 18 ans, c’est mon premier coup de cœur ; très musique classique.

Vous avez travaillé quand même pour la variété ?

Effectivement, quand j’ai quitté le conservatoire, les premières choses que j’ai faites sont des arrangements pour la variété.

C’est une bonne école, non ?

Très bonne parce que vous devez vous intégrer dans un discours qui est présent, avec une chanson qui est là, avec des accords qui sont là, une mélodie, et il faut arriver à se placer dans le peu de place qui vous reste. De plus, les chanteurs n’aiment pas se trouver avec un langage très classique ; donc ça apprend à se casser la tête pour trouver des solutions. Et puis j’ai appris mon métier au studio.

A un moment vous avez eu des velléités de composer.

Cela c’est fait petit à petit.

Si on écoute vos musiques on peut dire que vos arrangements ont une pâte classique. On retrouve cette manière d’écrire dans, par exemple, la Maison Tellier ou dans le dernier film qui vient de sortir Un Homme Idéal.

C’est difficile d’avoir du recul sur son travail, je suis incapable de vous répondre. J’écris ce que j’entends. Après, bien sûr, il y a une discussion avec le réalisateur ; je ne commence jamais en me souvenant de ce que j’avais fait avant.

Est-ce que vous composez toute la partition, comme un vrai compositeur ?

J’écris tout, mais si demain je suis débordé je prendrai un orchestrateur. C’est un problème de timing. Ce qui a changé par rapport aux années 70, c’est qu’il y a l’informatique. Aujourd’hui vous faites des maquettes qui vont se rapprocher, avec des faux sons d’orchestre, un petit peu plus du produit fini enregistré. Et donc aujourd’hui, par rapport à il y a vingt ans, le réalisateur peut écouter et mettre son nez dans la musique, ce qui n’était pas possible avant. Je ne sais pas ce que pouvait faire écouter Jerry Goldsmith au réalisateur de la Planète des Singes avant que cela soit enregistré ; c’est une musique très abstraite. Si je devais donner ma musique à un orchestrateur, il y aurait toutes les lignes pour les instruments, tout y serait. Les compositeurs sérieux donnent des choses complètes. Cela n’empêchera pas l’orchestrateur de mettre ses idées, car c’est très frustrant. Souvent les orchestrateurs mettent ce qu’on appelle des « you parts », des choses qui sont d’eux, et ils mettent en face un petit trait qui veut dire que ce sont des choses optionnelles, non prévues par le compositeur.

Goldsmith c’est quelqu’un que vous appréciez ?

Ah oui, c’est idiot de le dire : c’est mon idole. C’est vraiment un des compositeurs de cinéma pour qui j’ai le plus d’admiration. Ce n’est pas seulement un compositeur, c’est un film maker, un homme de cinéma ! Il a écrit des choses incroyables, il a tout balayé avec une inventivité stupéfiante. La place de la musique dans la Planète des Singes est impressionnante. Je l’ai découvert avec Alien, puis j’ai écouté beaucoup de ses musiques, Papillon, Capricorne One. Il y a toutes les époques, il y a tous les grands thèmes chez lui. Il a ce savoir faire orchestral qu’ont tous les gens de cette époque là, des compositeurs assez incroyables. Avec Basic Instinct c’est lui qui a amené cette esthétique qui a été pillée pendant des années, ce truc un peu modale, assez simple, assez chromatique dans la ligne mélodique ; mais à l’image c’est assez fascinant. Il a touché à tous les genres, avec du jazz, des synthés, Chinatown, Tora Tora….

Vous avez une belle culture cinématographique ?

Non, j’ai des lacunes, mais j’adore le cinéma des années 70, Peckinpah, Friedkin, les films de Pakula The Parallax View, Klute, Les Hommes du Président, j’adore ce style de film.

Vous écoutez vos confrères ?

Ah oui, oui, lorsque je regarde un film je suis très attentif à la musique et j’apprécie les bonnes idées. J’achète beaucoup de musique en CD ou par internet. Si je trouve une musique de Goldsmith, que je n’ai pas, j’achète quel que soit le film !

Ils vont inspirent, ils vous donnent envie d’écrire ?

Me donnent envie certainement, m’inspirent inconsciemment peut-être.

Cette normalisation de la musique aux États-Unis n’est pas très inspirante quand même ?

Oui, il y a cette musique Blockbuster, mais Hollywood fait aussi un autre cinéma. Desplat a un réel talent : Imitation Game, je l’ai beaucoup apprécié.

Il y a une différence entre l’orchestrateur et l’arrangeur.

Effectivement l’orchestrateur c’est celui qui reprend les sketches et doit faire le vrai score pour qu’il soit joué par les musiciens ; l’arrangeur est quelqu’un qui à partir d’une partie de piano va arranger, orchestrer bien sûr, mais c’est lui qui va écrire les lignes de contrechants, qui va choisir les timbres. Il y a effectivement des compositeurs qui ne donnent que le thème et c’est l’arrangeur qui fait tout.

On ne citera pas de nom. Sur Royal Affair, comment s’est passée votre collaboration avec Gabriel Yared ?

Superbe film ! On s’était rencontré plusieurs fois, il aimait bien ce que j’avais fait pour L’Empire du Milieu et il avait un problème de planning. Il a écrit les thèmes principaux, moi j’ai fait des thèmes annexes et puis on s’est partagé les différentes séquences sur le film. Quand il a proposé mon nom à la production il se trouve que le réalisateur avait vu Splice une semaine avant ; donc il a dit oui tout de suite.

Splice a été pour vous une belle expérience…

Oui, Oui, j’ai eu une très jolie relation avec le réalisateur Vincenzo Natali. C’était passionnant d’écrire le score pour ce film ; ce qui est intéressant dans ce métier ce sont les rencontres humaines variées. Il faut essayer de pénétrer l’univers du réalisateur, comprendre ce qui l’émeut et puis aussi l’entraîner sur mon terrain.

Vous avez composé surtout des musiques romantiques, dramatiques.

Effectivement les films auxquels j’ai participé ne sont pas des comédies. J’aime le post romantisme, Rachmaninov c’est tout ce que j’affectionne. Peut-être que ça se retrouve inconsciemment dans ma façon de traiter les lignes. Le réalisateur de l’Homme Idéal me disait souvent : c’est trop fleur bleue ; pour lui ça voulait dire romantique. Vincenzo me l’avait fait remarqué en revoyant le film après coup.

Ce sont des musiques qui sont très présentes.

C’est vrai qu’elles le sont. Dans Splice il y a beaucoup de musiques. Dans L’Age de Raison elles sont un peu plus derrière. Mais effectivement dans la plupart elles le sont.

Avec votre musique pour L’Homme Idéal avez-vous eu des retombées ?

C’est un peu court, le film est sorti il y a à peine un mois. A part vous et vos confrères qui ont apprécié mon travail, professionnellement pas encore.

Vous êtes arrivé au début de la production ?

Non, le film était en montage, comme souvent d’ailleurs. Yann Gozlan est un féru de musique, il adore les grands scores, on a beaucoup de points communs, c’est assez rare qu’un jeune réalisateur ait cette culture. Il déteste ce qui est un tripatouillage de sons, il voulait du langage ; c’est quelqu’un qui apprécié Komeda, la musique de Rosemary’s baby. Il adore Goldsmith. Je ne connais pas beaucoup de réalisateurs qui citeraient Komeda (NDLR : mort à 37 ans, compositeur jazzman qui a écrit toutes les musiques des films de Polanski). Il avait envie de quelqu’un qui écrit de la musique et non qui bidouille les sons. Lorsqu’on a peu de temps, comme sur ce film, il faut que le réalisateur vous fasse confiance. C’est son deuxième film et à un moment c’est le stress ; elle échappe totalement au réalisateur. Les trois premières séquences que j’ai faites c’était toutes les grosses ellipses, les ostinatos quand il écrit le livre, le sostinato lorsqu’il a le succès. Cette pulsation lui a plu, ensuite je suis entré dans les morceaux de tension. On a eu beaucoup de discussions, beaucoup d’essais, que j’ai remaniés car il les trouvait trop romantiques pour le coup ; il voulait une vraie descente aux enfers, que la musique appuie sur ce style.

Y’avait-il des musiques pour le pré montage ?

Peu, il y avait des musiques de Prisoners, mais il en était très détaché. J’espère qu’on retravaillera ensemble.

 En 2010 vous êtes allé à Aubagne, vous aviez été choisi pour animer la master class. Comment se passe ce genre d’événement ?

Quand on m’a présenté le projet, c’était assez obscur pour moi : il y a une dizaine de musiciens à chapeauter et en dix jours il faut faire un ciné concert de 45 musiques, une composition collective. Je trouvais le projet amusant sans comprendre comment cela pouvait se faire. Et finalement il y a un truc qui se passe avec les jeunes étudiants, chacun apporte ses idées et il y a une musique qui se construit sur dix jours C’est crevant parce qu’il faut monter un programme mais c’est assez passionnant.

Vous avez encore des contacts avec ces étudiants ?

Avec quelques uns, Fabien Cali par exemple : il vient de composer la musique du documentaire Terre des Ours de Vincent Remy Boubal qui fait beaucoup de choses à la fois pour la télé et le cinéma.

Un agent c’est important pour un compositeur ?

C’est essentiel ; c’est important pour moi de ne pas parler d’argent avec les productions ; et puis si vous n’avez pas d’agent vous passez votre vie au téléphone au lieu d’écrire de la musique ou d’attendre un projet. Et puis il gère vos contrats.

Vous avez fait des musiques pour l’image, qu’on trouve en CD chez Cézanne music Library.

Ce sont des musiques des téléfilms, ils les remixent, c’est un travail de librairie.

Pour terminer parlez-moi de votre collaboration avec l’orchestre de Basse Normandie ?

J’écris pour un ciné concert une fois par an, l’orchestre joue en direct face à un film muet. C’est du boulot mais c’est super, ça donne une certaine liberté de création, on est seul face à des images, on n’a pas le réalisateur sur le dos, on fait ce qu’on veut, on invente. Il ne faut surtout pas faire du mickeymousing. C’est très agréable à écrire, j’en ai fait plusieurs, j’ai fait des Chaplin et le plus long que j’ai composé c’était Le Vent de Victor Sjöstrom ; il y avait une heure seize de musiques, un vrai mélo !

Cyrille gentiment m’a raccompagné en voiture à la gare et on a continué à parler de cinéma et de musiques de film. Un vrai fondu du Septième art ce talentueux compositeur !

 

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