©F.Ferville
C’est après une éblouissante, époustouflante création pour deux pianos – Bertrand Chamayou et Jean-Frédéric Neuburger – intitulée Mineral pianos, à l’auditorium de Radio France le 13 octobre 2019, que j’ai voulu en savoir plus sur ce jeune compositeur. Honte à moi j’avais déjà entendu une de ses œuvres qui m’avait fait grosse impression pendant le festival Présences : Why so Quiet ; il y avait tellement de déchets que j’aurai dû m’en souvenir ! Ces dernières œuvres, Michèle Tosi grande spécialiste de la musique d’aujourd’hui en parle bien mieux que quiconque.
Rendez-vous pris, cet homme jeune, banal dans sa tenue, un brin timide dans son comportement, me donna rendez-vous chez lui ces jours-ci. Il habite dans un banal appartement, décoré banalement, dans un quartier banal à souhait d’une cité de l’Ouest de Paris. Il est plus thé que café. Mais détrompez-vous derrière ses banales lunettes, il y a un regard bleu clair qui montre une détermination sans faille et une sorte de force intérieure tranquille s’en dégage. On ressent qu’à chaque question que je vais lui poser, il y aura une réponse franche et l’humour ne sera pas absent. Tout ce que j’apprécie pour passer une heure sympa. Une heure pas plus car il y a les deux enfants à aller chercher à l’école. Comme par hasard l’enregistreur ne fonctionne pas…ce faux départ a détendu l’atmosphère…on peut y aller ceci est une interview…
Si je vous dis Angèle, Mat Pokora, ça vous parle ?
Oui ce sont des chanteurs de variétés, mais je ne pourrais pas chanter leurs chansons.
Vous avez 39 ans alors si je vous dis Nirvana, Guns and Roses…
Alors oui, oui Radio Head aussi, Guns and Roses pas trop, des choses plus anciennes, comme Pink Floyd ça bien sûr.
Vous étiez un jeune de votre époque alors…
Pas complètement mais c’est ce que mes copains écoutaient alors j’en faisais autant, mais ce n’est pas ce qu’on entendait à la maison, …
Je vous pose ces questions parce qu’un compositeur de musique dite moderne, pourrait être déconnecté de la musique dite populaire.
Moi j‘écris de la musique classique d’aujourd’hui
Quand on entend classique on pense Mozart, Haydn
Est-ce qu’il y a une telle différence avec ce que je compose?
C’est moi qui vous pose des questions…
Je vous renvoie la question (rires)
C’est à vous d’y répondre cher Yves
Je ne pense pas qu’il y ait une telle différence. Pour quelqu’un dans la rue ou dans un concert, est-ce qu’il y a une vraie différence entre Beethoven et un compositeur d’aujourd’hui ? Pas aussi grande qu’on veut bien le croire.
Lorsque vous aviez 15 ans pouviez-vous écouter Donizetti, Bellini et Nirvana en même temps ?
Donizetti j’ai très peu écouté, plutôt Beethoven ou Stravinsky, l’un n’empêche pas l’autre, oui la cohabitation est possible, c’est comme lire Jules Verne en même temps que Proust.
Dans une interview vous dites que lorsque vous étiez tout jeune vous aimiez faire de l’improvisation.
Mes frères et sœurs jouaient du piano et comme ils devaient le travailler, je ne voulais pas en faire et vers sept huit ans j’ai eu le déclic et du jour au lendemain j’ai passé des heures et des heures sur le piano, j’improvisais puis j’ai voulu noter ce que je jouais et je regardais les manuscrits, j’allais à la bibliothèque, à Brest où nous habitions, et je fouillais pour trouver des partitions de Beethoven et j’essayais de retrouver ce que j’entendais sur les 45 tours. Je me suis rendu compte que Beethoven avait une écriture impossible. Il n’y avait pas de médiathèque, il fallait acheter les partitions alors j’ai demandé à mes parents celles des trente deux sonates de Beethoven ! Le premier volume je l’ai reçu à un anniversaire et le second bien plus tard. Il fallait les chercher, aujourd’hui on les télécharge, à tord peut-être…
Peut-on aussi télécharger vos partitions?
Non, il faut soit les demander à mon éditeur, soit à moi directement.
Sur votre site on voit que vous avez eu des prix dont j’avoue ne pas connaître les intitulés, à part Pierre Cardin. C’est important les récompenses ?
On est content, on reçoit un peu d’argent ce qui n’est pas négligeable, mais je pense qu’il ne faut pas trop les prendre au sérieux et ne pas trop se pencher sur comment et pourquoi ils vous sont accordés.
Vous ne pensez pas que c’est votre talent qui est récompensé ?
Ce n’est pas à partir de prix que je vais juger le talent de quelqu’un !
Comment juge-t-on le talent de quelqu’un aujourd’hui ?
C’est au concert qu’on peut se forger un avis ! Lorsque j’entends la musique de mes collègues je suis souvent subjugué d’émerveillement …Je suis terrassé par des chocs sublimes.
C’est ce qui m’est arrivé en entendant vos œuvres en concert ! Arrêtez de faire des compliments dans le vide, dites moi au moins un nom..
Avez vous entendu l’opéra de Francesco Filidei, l’Inondation ? Il a un talent énorme !
Avec un nom comme le sien, il doit aussi avoir un ego énorme ! (rires)
Il y a de nombreux compositeurs italiens, mais lui il est le meilleur, il y a aussi Ondrej Adamek, il est Tchèque, est passé par Paris et vit à Berlin aujourd’hui ; eux deux sont assez connus maintenant, ils ont la quarantaine.
Aujourd’hui peut-on être connu lorsqu’on est jeune ?
Dans le milieu de la musique moderne, oui, il y a des gens qui ont été connus à trente ans
Comme vous ?
Je ne sais pas si je suis vraiment connu, non, il y a des gens qui ont un nom bien plus important que le mien, plus jeune, mais ça ne me pose aucun problème, la seule chose qui m’importe finalement c’est d’avoir un nom suffisant connu pour que les projets m’arrivent et lorsque j’ai une idée, je ne sois pas face à une porte close.
Vous voulez dire que ce que vous composez l’est à partir de commande ? On vous dit écrivez-nous un quatuor pour dans quinze jours et vous vous mettez à la table ?
Pour dans quinze jours c’est non ! Oui c’est exact, on me passe des commandes.
Je pensais que les grands compositeurs pouvaient écrire rapidement un chef d’œuvre ?
C’est peut-être pour cela que je ne le suis pas encore (rires)
Vous manquez d’égo, il faut en avoir pour exister dans ce milieu !
Oui il faut qu’il soit surdimensionné ! Mais, il faut savoir bien le placer je crois ! En fait c’est exactement cela, on m’appelle, on me dit on aimerait bien un quatuor pour dans un an, un an et demi, et voilà, c’est génial ! Et si c’est pour un musicien que je connais c’est super et si c’est un musicien que je ne connais pas je vais apprendre à le découvrir !
Seriez-vous le Dutilleux d’aujourd’hui car pour écrire trois notes il mettait trois ans…
Et il avait peut-être raison ! Il y a à peine quelques jours je lisais ; à la fin des Mémoires d’Hadrien de Yourcenar, un carnet de notes et je me suis rendu compte qu’elle avait écrit son roman sur cinquante ans ! Elle raconte qu’entre vingt et vingt cinq années elle a écrit quatre versions, elle ne les a pas gardées, puis elle s’est interrompue pendant dix ans, elle a réécrit une nouvelle version et elle en a gardée qu’une phrase et on se rend compte que le temps de l’œuvre est un temps immense ; vous dites en quinze jours, moi je dis c’est en six mois, un an, qu’il faut pour pondre de la musique.
En combien de jours Mozart pour la Flûte ?
Pour l’ouverture en une nuit (rires)…et je crois qu’en trois semaines pour l’opéra mais c’était énorme; Bach composait une cantate chaque semaine, mais là ce n’est plus des compositeurs, ce sont des génies, on est dans un cadre à part je pense…
Vous n’avez pas d’ego, vous n’êtes pas un génie, alors qui êtes-vous Yves Chauris !
Je suis quelqu’un qui essaye de faire de la belle musique !
Vous pensez faire de la belle musique ? Qu’est-ce pour vous de la belle musique !
Elles sont terribles vos questions ! (rires)
Non c’est juste une interview avec quelqu’un que j’apprécie et que j’ai envie de mieux faire connaître ! Alors de la belle musique ?
Une musique profonde, je réponds peut-être à côté…Une musique qui a une exigence, une nécessité, une musique qui ….
Excusez moi de vous interrompre, mais quand j’écoute du Charles Trenet c’est de la belle musique pour moi…ce n’est pas ce que vous avez envie d’écrire…
Non, c’est de la belle musique c’est vrai…pourquoi est-ce différent? Parce que ce n’est pas de cette façon là que je m’exprime..
Je me souviens avoir interviewé le claveciniste Gustav Leonhardt qui m’avait dit que les chansons de variétés étaient de la musique écrite comme au XVIIIème siècle…
Oui en un sens, on comprend ce qu’il veut dire, avec le formatage, la basse continue, les instruments, les harmonies et c’est une musique relativement facile à écouter.
Alors la vôtre n’est pas facile à écouter ?
Non c’est une musique exigeante à écouter, je n’écris pas pour qu’elle soit diffusée dans un salon, quand on lit ou quand on cuisine, non non…moi j’écris pour le concert où les gens sont là parce qu’ils ont voulu être là, et ils écoutent, ils sont assis, regardent, car la dimension visuelle est importante aussi, ils sont là parce qu’ils ne font que cela surtout !
Donc je ne peux pas être en cuisine et écouter en même temps votre musique, comme j’aime le faire…
C’est peut-être possible, chacun fait ce qu’il veut, mais je n’écris pas pour ce moment là ! J’écris vraiment pour le concert ! Je trouve ce moment beau quand il y a une personne qui est là pour jouer et une pour écouter…Il y a une vie, c’est pour cela que j’écris très peu de musique avec l’ordinateur, l’électronique, parce qu’il me manque toujours le lien vivant.
N’est-ce pas le problème de la musique classique d’aujourd’hui qui est si peu écoutée ? Chez moi je peux écouter Beethoven, Berlioz, en faisant mon ménage, chanter Mozart …
Oui parce que vous êtes accoutumés, habitués,
Je suis désolé je peux écouter votre pièce Why So Quiet dont je suis un fana en faisant des pâtes… ça vous dérangerait!
Ça ne me dérange pas non plus mais quand je compose je ne pense pas que quelqu’un fera la cuisine en écoutant ma musique, je compose pour vous quand vous serez assis dans une salle de concert !
Mais je l’ai déjà fait, c’était formidable, c’est à dire je ne peux pas réécouter vos œuvres à la radio ou sur un cd ?
Dans l’idéal c’est seulement pour le concert, quand j’écris je ne pense qu’au concert…
Vous avez un super ego, tant mieux, alors ce n’est que de la musique de concert et qui ne peut pas être mise en conserve !
Beinh je n’espère pas !
Mais n’est-pas comme cela qu’on peut se faire connaître à la plupart des gens..
Oui mais on la fait connaître sous un jour un peu biaisé je trouve ! On sait très bien quand on écoute, vous vous faites vos pâtes, d’autres lisent leurs emails…
Et qui écoutent votre musique et qui prennent du plaisir et votre musique devient célèbre et vous devenez un compositeur hyper célèbre!
Si cela fait venir les gens aux concerts c’est parfait ! Si les gens se demandent où je suis joué la prochaine fois pour y aller…tant mieux !
Et oui c’est ainsi ! Si je n’étais pas venu au concert je ne vous aurais pas connu c’est un fait, mais la diffusion de votre musique est importante aussi grâce à la radio, aux cd…,
Alors je vais vous offrir un disque de ma musique !
De la musique en conserve, beurk (rires)
A écouter exclusivement en faisant vos pâtes ! (rires)
Il y a sur votre site une phrase d’un ou d’une critique, Michèle Tosi je crois, qui dis que vous êtes le poète de l’immobile. Qu’en pensez-vous ? Moi j’avoue ne pas comprendre cette définition…
Cela vient qu’à un moment je me préoccupais du fait de la mobilité et de l’immobilité en musique, une musique qui avance et qui s’arrête, en tout cas se suspend ; on sait très bien que la musique est un art du temps, c’est à dire que le temps défile ; dans une œuvre il y a un début, une fin, une chronologie, un avancement ; j’ai cherché à suspendre cet avancement du temps, c’est sûrement cela qu’a voulu dire Michèle…
Je ne connais pas toute votre musique, mais il y a souvent des cassures, des ruptures
Il y a des musiques qui se raréfient et qui disparaissent…
Ce qui est étonnant c’est que vous faites des gestes très mobiles en vous exprimant..
J’ai bien la conscience que le temps avance …
Il y a un paradoxe, le poète j’en conviens mais l’immobilisme ???
C’est créer l’illusion que le temps s’arrête…
Il y a un compositeur très célèbre qui a écrit une œuvre qui s’appelle Le Temps Suspendu qui est aussi le titre du documentaire que j’ai réalisé sur lui…
Je n’ai pas l’exclusivité de cette recherche, mais là on revient à l’image de l’auditeur qui est dans la salle de concert, il reste là pendant dix à quinze minutes et il faut lui faire sentir que le temps s’arrête…
S’il bouge sur son fauteuil c’est que ça ne marche pas…avez-vous entendu ces silences, là où vous avez piégé le spectateur, et là oui il y a du suspendu…
Malheureusement je suis très sensible à la réception du public ; lorsque je suis au milieu de lui, les gens ne me connaissent pas, j’écoute ma musique mais je ne peux pas faire abstraction de ceux qui m’entourent et je me souviens de mon voisin qui s’est frotté la main sur son pantalon et à la fin quand on vient me parler de l’écoute impressionnante du public, j’ai du mal à percevoir ce moment magique.
Vous n’arrivez pas à entendre ce silence ?
Je suis tellement focalisé sur les interprètes, je me dis quelle chance d’entendre ma musique, j’ai passé un an à la composer et là ils sont en train de la jouer, cela va durer vingt minutes…
Et ce n’est pas exactement ainsi que vous l’aviez écrite..
Ce n’est jamais comme on l’imagine, mais c’est assez beau, on a toujours une écoute idéale, fantasmée, on écrit sur son papier avec quarante, soixante portées, on écrit chaque instrument, on peaufine chaque ligne et on l’entend de façon intérieure, dans sa tête et quand je laisse une part d’aléatoire ou de d’incontrôlé, elle est suffisamment cadrée pour que cette part sonne comme je le veux. Quand j’étais enfant j’improvisais, j’écrivais, je ne me posais pas de question, plus le temps passe, moins j’écris ce que j’improvise, j’improvise toujours autant, mais je l’écris de moins en moins, c’est l’expérience, il y a des filtres qui font que les choses s’écrèment et ce qui va rester sur une improvisation de deux heures ce ne sera qu’un accord, un rythme, une couleur ; c’est ce que je voulais dire en parlant d’exigence ; c’est très facile d’écrire ce qu’on improvise, ce qui est le moins, c’est de sélectionner, de rejeter, de filtrer.
Dernièrement on a entendu une de vos œuvres jouées par deux de vos amis
Oui de très grands amis.
Comment s’est passée l’organisation, la mise en place, leur faire sentir tout ce qui existe dans cette composition, cette création ?
Quand j’ai écrit Minéral pianos je connaissais les interprètes, j’avais donc une image de leur présence sur scène, de leur façon d’appréhender le clavier.
Ils ont une façon différente ?
Bien sûr.
Aurait-on pu inverser les pianistes ?
Oui mais cela aurait été un peu différent.
Donc il y a de l’interprétation.
Bien sûr, d’ailleurs ce sont eux qui ont choisi leur partie, ils ont été libres, j’ai composé en pensant à leur association …
Combien de temps avez-vous mis pour l’écrire ?
C’est un cas très particulier parce qu’en fait c’est une pièce que j’ai écrite en 2011, que j’ai retravaillée pour l’occasion, mais dont le matériau provenait de 2003 qui était une sorte d’esquisse pour deux pianos…
C’était la première fois que vous écriviez pour deux pianos ?
Oui, j’avais trouvé six accords et en lisant Yourcenar j’avais la justification, on a le droit de remettre sur le métier cent fois sa pièce s’il le faut..
Là on est chez Boileau ! Beaucoup de compositeurs le font…Donc de ce petit matériau vous en avez fait cette superbe composition.
Par rapport à 2011, j’ai réduit, j’ai consolidé, j’ai fractionné et recristallisé
Avec minéral cela va très bien…
C’est exact, surtout avec un papa géologue…
On n’a pas encore parlé de l’intime …
Non (rires) Alors quelques jours avant le concert on s’est réuni tous les trois, ils ont joué la pièce, il faut s’imaginer dans le Marais un hôtel XVIIème magnifique avec deux grands pianos sublimes dans une salle parfaite…
On est très excité non ?
Oui on est en transe, au lieu de la jouer par petits tronçons comme on devait le faire, ils l’ont interprétée en entier, il y avait une énergie incroyable, ce n’était pas encore prêt mais elle était transcendée par l’instant. Il y avait quelque chose de magique, même pour le piano, parce que pour l’orchestre c’est affolant, on écrit à la table ou on s’aide avec le piano, c’est transcendé par la masse, cent personnes sur scène qui obéissent à une partition qu’on a mis plus d’un an à composer, c’est délirant, avec le piano la distance est moins grande parce qu’on peut expérimenter soi-même, mais avec la relation des deux pianos, des deux interprètes, avec les échanges, la complémentarité, tout se met à vivre et cette toute première lecture, même si elle était imparfaite était un choc bien plus que le concert, même si l’interprétation était bien plus aboutie.
A partir de cette première lecture avez-vous modifié des choses ?
Très peu, c’est après le concert, dans l’édition de la partition qu’il y aura quelques modifications
La version que nous avons entendue sera unique mais pas définitive
Non cela se joue à très peu, ce sont seulement quinze mesures qui sont légèrement retouchées. En la réécoutant sur le disque…
Donc en conserve…
Donc en conserve (rires), à froid, et d’une façon très critique, en me disant là ça ne va pas, là ce n’est pas si grave, là il faut faire quelque chose et j’ai donc retouché une petite section.
Est-ce qu’il y a d’autres pianistes qui veulent la jouer ?
Je sais que Jean-Frédéric et Bertrand la rejoueront et il y a des pianistes qui ont lu la partition, parce que l’enregistrement n’est pas encore disponible, et qui vont sûrement l’interpréter.
Et l’interprétation sera sûrement différente
Je l’espère.
Votre pièce s’appelle Mineral pianos est-ce à dire qu’il y aurait un lien avec votre père ?
Oui bien sûr, mon papa est géologue, minéralogiste, et lorsque j’étais enfant je l’accompagnais sur le terrain ; lui cherchait des choses très précises et moi je furetais et j’ai ainsi appris la minéralogie.
C’est pour cela qu’il y a des pierres dans une petite vitrine…
Oui ce n’est que la partie visible, c’est une passion que j’ai un peu mise de côté, mais qui par la force des choses est toujours présente. Lorsque je suis au bord de la mer et lorsque je vois des galets, des pierres, je ne peux pas m’empêcher de les examiner.
N’y aurait-il pas une portion de cette minéralité dans la composition, mis à part le titre ?
Pour moi la façon dont j’utilise le piano, il y a un côté cristal, ce n’est pas un piano percussion, ce n’est pas un piano aquatique comme l’ont fait certains compositeurs du passé, c’est un piano cristallisation, il y a des sortes de molécules qui cristallisent.
Vous n’avez jamais eu envie de vous servir du clavecin ?
J’aimerais bien, mais autant j’adore cet instrument pour la musique baroque autant je ne sais pas comment je pourrais l’utiliser. Dutilleux l’a utilisé dans sa deuxième symphonie et bien d’autres.. Il faudrait que je trouve une porte d’entrée ou soit l’intégrer dans une œuvre, je ne sais pas encore.
Questions stupides pour terminer : musique tonale, atonale, une opinion ?
Ces conflits sont vraiment inintéressants, ce sont des épiphénomènes ; il faut écrire la musique qu’on a envie et être exigeant avec soi-même, c’est ce que je peux reprocher à beaucoup de compositeurs qui écrivent de la musique tonale, je ne sens pas l’exigence.
Pour vous ce sont des feignants ?
Je ne le dirais pas de cette façon là, mais souvent c’est de la musique qui vient directement de l’improvisation, le compositeur ne s’est pas réellement posé la question à savoir si c’est cette musique dont il a besoin, est-ce qu’il ne faut pas chercher plus loin, quelque chose de plus intéressant, de plus neuf…
Les minimalistes par exemple ?
Non au contraire, avec des accords très utilisés ils ont trouvé des choses radicalement nouvelles. Mais quelqu’un qui compose lui aussi avec des accords très utilisés mais qui s’inscrit dans un discours, une forme, des couleurs, eux aussi très utilisés, là je suis plus septique, où est l’intérêt d’écrire ce genre de musique.
Ne revient-on pas à ce que vous appeliez la belle musique ?
Aller un petit peu plus loin, fera que l’oreille se tendra et elle se concentrera sur ce qu’elle entend.
Est-ce qu’il faut donc écrire une musique qui doit choquer ?
Le mot est un peu fort et surtout dévoyé, la musique doit frapper plutôt que choquer.
Ben a dit si tout est art pourquoi continuer ? Là votre table avec votre théière c’est ce que l’on voit aujourd’hui à la Biennale de Venise. Un avis là-dessus ?
Ma table avec ma théière ce n’est pas frappant pour moi, la musique doit frapper, sauf si à partir de cette théière je trouve un son qui peut-être intéressant.
Comme a fait Ligeti avec des assiettes, le bottin, des objets usuels…Autres questions stupides, quand vous aviez 15 ans quels sont les compositeurs contemporains que vous admiriez le plus ?
A 15 ans c’était des compositeurs du passé, mais ensuite, quand j’ai découvert Messiaen ou Dutilleux, vers 18, 20 ans, aujourd’hui ce serait Hughes Dufourt. Je pense que c’est une des personnalités de cette génération, il a 75 ans, qui aura une grande importance. Il s’est positionné sur la question du temps, sur la question du timbre, il a proposé quelque chose de radical et de neuf. Il a des idées et il les exprime, il cherche toujours, dans une direction qui est la sienne.
L’école de Vienne ça vous parle ?
Ce n’est pas une musique où je me sens proche.
Adès ?
Il y a quelques jours j’ai écouté une pièce pour piano dont j’ai oublié le titre, qui est un chef-d’œuvre. C‘est une pièce que j’aurais aimée composer, il a fait mieux que ce que j’aurais écrit et c’est merveilleux.
Nous sommes au mois de novembre 2019, hier vous m’aviez dit que vous étiez sur la table, qu’écrivez-vous ?
Il y a plusieurs choses, de gros projets, des projets plus modestes mais tout aussi intéressants, un projet pour voix et orchestre…
Avez-vous déjà écrit pour la voix ? C’est compliqué non ?
C’est difficile mais très excitant, j’y réfléchis sérieusement, mais je ne peux pas trop en parler. Les textes sont trouvés, c’est très compliqué par rapport aux droits…il y a aussi une pièce pour orgues, un instrument que j’adore.
Est-ce que vous êtes aussi froid que les pierres que vous aimez ?
La pierre n’est pas froide, elle vient du magma, des roches en fusion..
Seriez-vous donc un volcan qui bouillonne de l’intérieur ?
De temps en temps par parcimonie dans mes pièces j’explose. La pièce que vous avez entendu pour orchestre, Why so Quiet, vous ne pouvez pas la targuer de froide ! Si on le sent dans ma musique c’est le principal !
Encore une question stupide, s’il y a le feu chez vous quelle seule partition vous emporteriez… ?
Ce n’est pas la dernière parce que je pourrais la réécrire, mon deuxième quatuor je pense
Il est en conserve ?
Il est sur internet, Why so Quiet peut-être, non plutôt mon deuxième quatuor, encore faut-il que je retrouve la partition.
Et l’œuvre du répertoire que vous pouvez écouter et réécouter
Tiens je n’aurais pas dit cela il y a quelque temps, mais c’est Brouillards dans les Préludes de Debussy, une pièce que j’aurais vraiment pu écrire…en toute modestie, un petit peu différemment… Je n’ai jamais trouvé l’interprétation que j’entends en lisant la partition ni en me la remémorant…c’est tout le problème de l’interprétation…avant je vous aurais répondu Symphonies d’instruments à vent de Stravinsky, mais Brouillards est encore plus proche…c’est la brume lorsque je prends mon bateau et que je longe les côtes bretonnes, de cailloux en cailloux…
Hélas on a du s’arrêter là, c’était l’heure d’aller chercher les enfants à l’école, la maman est au bureau… Il n’est vraiment pas banal Yves Chauris !