Maison de la Radio et de la Musique
116 Avenue du Président Kennedy
Paris 75016
Festival Présences jusqu’au dimanche 7 février 2021
Concert du jeudi 4 février 2021 à l’Auditorium à 20h
ÉRIC TANGUY
Strange Times, pour orchestre
(commande de Radio France – création mondiale)
PASCAL DUSAPIN
Outscape, concerto pour violoncelle et orchestre
(version révisée – création mondiale)
NINA ŠENK
Beyond, pour clarinette solo
(commande de Radio France – création mondiale)
PASCAL DUSAPIN
Extenso, solo pour orchestre n° 2
ARMAND ANGSTER clarinette
VICTOR JULIEN-LAFERRIÈRE violoncelle
ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE
KRISTIINA POSKA direction
L’Orchestre National de France était au grand complet ce jeudi dans l’Auditorium. Toutes les cordes étaient masquées et les vents cachés derrière des panneaux transparents pour : protéger des sons trop violents mais aussi pour protéger contre la covid 19. Et les sons violents il y en a eu de nombreux dans les œuvres proposées.
Le concert a commencé par une œuvre d’Éric Tanguy, une création mondiale, STRANGE TIMES pour orchestre. Éric Tanguy s’exprime : « …Je n’ai pas pour habitude de donner, par le titre, des indications autres que poétiques, car j’aime l’aura singulière du mystère des mots ; mais la situation d’enfermement que nous avons tous vécue de mars à mai aura très certainement et particulièrement influencé le contenu émotionnel de cette pièce, achevée quelques jours avant le premier déconfinement. En des temps si étranges, j’ai pu mesurer à quel point l’écriture m’avait permis de vivre dans l’espoir de jours meilleurs et d’un retour du partage de la musique au concert. Commencée dans une joie sonore intense, l’œuvre s’achève presque soudainement, après avoir exploré ses multiples variantes musicales, par une coda elliptique très douce et apaisée. ». Commençant dans un tonnerre instrumental, de manière modale, c’est ensuite une sorte d’apaisement qui s’ensuivit, une composition descriptive, poétique, rythmique, mélodique et surtout terriblement tourmentée. Avouons-le c’est la seule composition de la soirée qui nous a vraiment impressionnée. Dans cet Auditorium vide de public, chaque instrumentiste de l’ONF devait sûrement ressentir ce qu’il interprétait sous la baguette très directive de Kristina Poska. Nous, spectateurs-auditeurs privilégiés nous avons reçu cette composition en pleine poitrine ! De la poésie il y en avait mais le contexte n’était pas à la rêverie. C’est une très belle œuvre qu’a offert à Présences ce très grand compositeur. On aurait voulu après cette exécution l’entracte.
À peine les partitions changées, Victor Julien Laferrière est venu prendre place avec son violoncelle pour interpréter OUTSCAPE un concerto pour violoncelle et orchestre composition de de 2015 et revisité en 2019 de Pascal Dusapin. Ce dernier donne quelques indications sur cette création : « … J’ai aimé ce mot – Outscape – car il est au fond comme un résumé de l’histoire de mon travail ; fuir ailleurs pour comprendre et discerner, tenter de voir et d’entendre plus loin. C’est ainsi que ce concerto s’est inventé de lui-même, en d’incessants allers et retours entre un violoncelle au devenir orchestre et un orchestre au devenir violoncelle. Chacune de ces forces musicales désire aller vers l’autre, se confondre avec cet autre- là , connaître et devenir sa différence, s’échapper, revenir, engendrer un avenir musical renouvelé. Dans Outscape, je n’ai jamais eu le sentiment d’opposer le soliste et l’orchestre, mais plutôt de les guider l’un vers l’autre. Au début d’Outscape, tout semble simple, le violoncelle chante une note grave, c’est un do dièse. Immédiatement, la clarinette basse entonne cette même note, c’est un écho, comme l’ombre de la note. En s’imitant l’un et l’autre à tour de rôle, le violoncelle et la clarinette basse puis tout l’orchestre vont apprendre à chanter et se déployer ensemble, imaginer de multiples voies pour fuir et inventer ensemble une autre nature »… Après ce début calme, on se met à rêver à l’écoute de ce concerto assez classique dans sa forme mais il y avait comme un hiatus, un assemblage entre le violoncelle et l’orchestre qui ne fonctionnait pas, une volonté sûrement assumée par le compositeur, l’orchestre et le violoncelle n’étaient jamais ensemble, chacun suivait son chemin, comme dit la chanson…Il faut reconnaître que certaines parties du violoncelle sont assez complexes à interpréter, très physiques, Dusapin aime offrir des difficultés aux instrumentistes solistes et Victor Julien Laferrière s’en est sorti avec brio. Une composition qui après celle de Tanguy ne supportait pas la comparaison. Peut-être aurait-il plus astucieux de commencer le concert par ce concerto…
Après l’entracte Armand Angster, à la clarinette basse, a interprété BEYOND pour clarinette solo de Nina Šenk, une commande de Radio France, une création mondiale. « Le monde moderne nous enjoint de tout diviser en deux catégories, le bon et le mauvais, le noir et le blanc. Les médias exercent un pouvoir important de manipulation du public sil’information ou tout autre contenu est présenté ainsi. Les détails, le contexte, les différents niveaux de lecture, la complexité elle-même sont ainsi ignorés, tout tend à être présenté de manière aussi simple (et controversée, et pouvant entraîner la discorde) que possible. Avec Beyond, j’ai essayé d’exprimer l’idée selon laquelle il nous faut toujours regarder au-delà des grands titres, au-delà de la version sommaire qu’on nous donne d’une histoire, regarder ce qu’il y a derrière, chercher le vrai contenu, les différentes lectures possibles, et essayer d’éviter d’être manipulés par ce qui se répand trop rapidement. Ma pièce exhorte également aux interactions humaines : il est plus facile d’étiqueter les gens qui ont différents points de vue que de prendre le temps de regarder sous (et au-delà de) la surface. Beyond est un ensemble de dix variations mais qui ne doit pas être envisagé d’une manière classique, horizontale. Chaque niveau (variation, addition) devrait être compris d’une manière verticale, une nouvelle couche prenant place sous la dernière, qu’il s’agisse d’une addition au même contenu ou d’une vue différente du même matériau. Ainsi, la pièce, écrite horizontalement, devrait être écoutée et comprise verticalement ». C’est ainsi que s’exprime Nina Šenk (né en 1982 en Slovénie).
©DR
Qu’elle écoute un jour Eric Dolphy ce magnifique solo de 7 minutes sur God Bless The Child à la clarinette basse (1961), on pourrait appliquer ses intentions sur cette improvisation. Sans commentaire sur cette composition à part l’interprétation solide de ce superbe clarinettiste.
Le concert s’est terminé avec EXTENSO solo pour orchestre n° 2 de Pascal Dusapin. Qui mieux que le compositeur peut parler de son œuvre : « Au début des années 1990, je désirais m’échapper des durées toujours associées aux commandes pour orchestre, c’est-à-dire entre dix et vingt minutes. Comme personne ne me commandait de forme symphonique plus longue, je décidai de prendre mon temps. Je rêvais d’une forme vaste et complexe constituée de sept épisodes autonomes se régénérant d’eux-mêmes, fécondant d’autres possibles et proliférant sur les interstices laissés entrouverts par les flux précédents. Le cycle des sept solos pour ce grand instrument seul qu’est l’orchestre commença en 1991 avec Go pour s’achever en 2008 avec Uncut. Pendant toutes ces années, mon chemin a été jalonné de bien d’autres compositions qui toutes ont déversé un peu de matière dans ce cycle. Le contraire est aussi vrai. Des bouts de « ceci » se sont retrouvés « là », des miettes de « ça » se sont répandues « par-ci », métamorphosant sans cesse l’allure générale de ce cycle. Le titre Extenso s’amuse avec le mot extension et l’expression latine in extenso qui signifie « en entier, dans toute son étendue ». Mais ici il s’agit surtout d’ex-tendre la forme en prélevant un peu de la substance mélodique de Go. Cette matière est dépliée, puis courbée et repliée par fronces successives jusqu’à la totale transformation de ses caractéristiques originelles. Froncer, c’est plisser en contractant. La fronce est ici associée aux principes de reproduction et d’hybridation. Pour la composition des autres solos, je retournerais souvent vers Extenso, afin d’y déraciner quelques fragments et de les replanter ailleurs. Mais eu égard à la forme de Go, les mouvements topologiques du début d’Extenso s’incarnent dans la matière musicale de façon divergente. À l’inverse de ce qui se passe dans Go, la note de départ jouée par les violons, à l’unisson encore, va immédiatement choisir de se déployer sur la presque totalité du registre de l’orchestre et réduire progressivement son ambitus en le comprimant. Extenso commence par dérouler un espace harmonique constitué par des lignes mélodiques qui s’affaissent graduellement et s’enveloppent en répétant leurs identités premières. Cette matière va doucement se renverser et se courber jusqu’à une position harmonique verticale par blocs d’accords vers le grave de l’orchestre, puis se transmuter ailleurs, jusqu’à la fin, en d’incessants mouvements reptiliens. Le principe variant est celui du retournement. La forme se retourne. C’est comme un objet en trois dimensions qui à chaque instant de son inversion change de sens et d’identité. Ce procédé va devenir presque une manière dans le solo n° 4 (Clam) et le n° 6 (Reverso). À la fin d’Extenso, la musique semble frappée d’apnée. C’est une question sans réponse ». À la fin de l’exécution de cette composition on a été frappé de ce mal curieux qu’est l’indifférence. Quelle soirée étrange, on aurait aimé un bis de STRANGE THINGS en quittant ce lieu terriblement vide de la Maison de la Radio et de la Musique, mais où résonne encore et c’est une mission importante du service publique, la musique d’aujourd’hui, qu’importe ses qualités, l’avenir seul en décidera,.
Vendredi 5 février 2021 à la Philharmonie à 20h
Festival Présences 2021
Cité de la Musique 221 Avenue Jean Jaurès, 75019 Paris
DIANA SYRSE
Géante rouge
(commande de Radio France – création mondiale)
PASCAL DUSAPIN
Waves, duo pour orgue et orchestre
(co-commande de Radio France/Orchestre symphonique de Montréal/Elbphilharmonie, Hambourg/Théâtre de la Monnaie, Bruxelles/Philharmonie de Paris/Orchestre de la Suisse romande – création française)
BÉLA BARTÓK
Concerto pour orchestre
OLIVIER LATRY orgue
ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE RADIO FRANCE
ALAIN ALTINOGLU direction