LA RADIO A 100 ANS
Un essai de Jean-Luc Hees
Editions Baker Street, 328 pages
©DR
Sa voix de baryton léger était reconnaissable entre toutes sur les ondes du service public, et à l’époque, où le visage de ses journalistes et de ses animateurs n’avait pas encore été révélé par la télévision, Jean-Luc Hees pouvait passer pour un personnage austère, voire sévère, impression confirmée lorsqu’on le croisait. Ce fut mon cas en Janvier 1998, parmi les journalistes attendant d’interviewer Johnny Hallyday chez lui, villa Molitor, sur son nouvel album Ce que je Sais. Nous étions nombreux et compte-tenu du retard accumulé au cours de l’après-midi, j’avais cédé ma place à l’animateur de Synergie afin qu’il soit à l’heure à son émission. La lecture de son pétillant essai intitulé Ces ondes merveilleuses tend à corriger ce sentiment. Le titre d’abord, l’expression est extraite du discours du Général de Gaulle inaugurant la Maison de la Radio, le 14 Décembre 1963. « A tant d’idées, de mots, d’images, de sons, lancés sur des ondes merveilleuses, (…) bref, à la Radio, fallait-il une maison ? Oui ! La Radio est une action humaine, autrement dit collective. Après la parole, le dessin, la scène, l’écriture, l’imprimerie, la photo, le cinéma, voilà qu’à son tour, la Radio s’est saisie du contact direct avec les intelligences, les sensibilités, les volontés. ». Ce média, dont le chef de l’Etat donne une définition lumineuse, connait le début de son âge d’or en ce début des années 60. Comme la majorité des baby-boomers, Jean-Luc Hees a découvert la musique et le monde grâce à la radio devenue une passion d’adolescence avant de constituer le métier de sa vie. D’où un récit coloré, teinté d’ironie et d’autodérision, qui entremêle une histoire documentée de la T.S.F. (Téléphonie Sans Fil comme on disait il y a un siècle) et le parcours professionnel de l’auteur. Un parcours exceptionnel de trente-cinq ans, essentiellement à Radio France où il aura brillamment gravi tous les échelons. Entré comme flashman à FIP grâce à Codou et Garretto qui l’ont testé, à l’aveugle, et lancé sa voix si particulière, puis à France Inter comme rédacteur, grand reporter, correspondant à Washington, directeur et enfin PDG de l’entreprise publique, Jean-Luc Hees évoque les grands noms de la radio, tant publique que privée, certaines figures mythiques déjà d’un autre temps tels Frédéric Pottecher, Jean-Pierre Farkas, Roland Dhordain, Roger Lanzac (qui ne fut pas le premier présentateur du Jeu des Mille francs, mais Henri Kubnick) ou Jacques Ourevitch (qui ne lança pas Musicorama sur Europe N°1 en 1956, mais Lucien Morisse). Aujourd’hui encore, il demeure fasciné par le talent de quelques-uns de ses aînés plus proches de nous et dont il brosse un portrait ciselé, malicieux et souvent tendre, ainsi du trio ABC de la rentrée 68, Artur (José), Bouteiller (Pierre), Chancel (Jacques) : « leurs personnalités éprises de liberté et leur ton volontiers impertinent ont arrimé France Inter à la modernité, même si je ne suis pas certain qu’un équivalent actuel de Jacques Chancel pourrait aujourd’hui recevoir en direct à son micro des invités aussi sulfureux ou politiquement incorrects – parmi d’autres – que l’écrivain d’extrême droite et par ailleurs auteur d’une remarquable Histoire de la Musique Lucien Rebatet » (Radioscopie le 10 Décembre 1969).
Autres stars de la radio évoquées par la mémoire affectueuse de l’auteur, Claude Villers, Gérard Sire, Jean-Louis Foulquier Macha Béranger, Roger Gicquel, tous des artistes du micro. Comme les jeunes reporters dans les rues en Mai 1968, en direct sur leurs antennes respectives. Citant Patrick Pesnot de RTL pour qui ces soirées chaudes au Quartier Latin étaient finalement assez jouissives , Jean-Luc Hees avoue que : « c’est à cause de garnements dans le genre de Pesnot que quatre ans plus tard, il est devenu reporter à la radio. ». Ceux qui aiment la radio, ses coulisses, ses enjeux et son histoire apprécieront Ces Ondes Merveilleuses de Jean-Luc Hees. Ceux qui s’intéressent au journalisme, aux grandeurs et aux servitudes de l’exercice du métier, les grandes rencontres et les entretiens ratés, ceux-là liront les souvenirs de Jean-Luc Hees comme un récit d’aventures, comme moi même, apprenti journaliste, j’avais dévoré il y a cinquante ans celui de Christian Brincourt et Michel Leblanc intitulé Les Reporters . Ce livre à l’époque avait fait rêver les jeunes qui brûlaient d’embrasser cette profession pas comme les autres. C’est tout le mal qu’on souhaite à celui de Jean-Luc Hees.