C’est au cours d’une projection d’un documentaire que j’ai découvert ce compositeur, la belle quarantaine, affable et drôle derrière sa barbichette. Un musicien qui n’écrit de la musique que pour des documentaires, cela interpelle ! D’où cet entretien au bord du canal de l’Ourcq à Paris.
Christophe, quelle est votre actualité ?
C’est un téléfilm pour F2 de Serge Meynard.
Est-ce votre première fiction ?
Oui, c’est la productrice qui venait aux projections de documentaires sur lesquels j’avais travaillés et qui avait repéré ce que je faisais, qui a organisé un petit casting. On était deux et j’ai été choisi. Le compositeur habituel du réalisateur n’était pas disponible.
Savez-vous ce qui a plu pour être choisi ?
J’avais envoyé un florilège de mon boulot que je pensais en rapport avec le film. Tout le monde savait que je n’étais pas expérimenté en fiction. L’autre compositeur en lice oui, mais il semble que le réalisateur ait préféré mon univers, ma sensibilité. Que je sois un compositeur de documentaire ne le gênait pas.
N’est-ce pas un peu frustrant de ne faire que du documentaire ? Il y a une vraie différence, non ?
Il y a d’énormes différences, cela n’a rien à voir. La musique de doc, c’est comme du papier peint !
Stravinsky avait dit que la musique de film ce n’était que du papier peint !
Je pense que c’était de l’humour. Il a écrit des musiques de ballets qui est un sous genre de la grande musique…des commandes pas loin de la musique de film.
Revenons aux différences
En terme de carrière on n’est pas condamné à avoir du succès. Il y a une sorte d’autonomie professionnelle. On est dans un contexte de commande, on peut faire carrière plus facilement.
Mais en terme de composition ?
Il y a une vision plus objective. Le piège c’est que la musique peut être seulement ornementale, décorative, c’est à dire qu’on se contente de confirmer ce que l’on voit à l’image. Il y a rarement de contrepoint comme au cinéma, un deuxième discours. Je me souviens d’un documentaire sur France Afrique, deux fois 90 minutes, où le réalisateur m’avait demandé une musique ironique parce qu’au départ il voulait que la musique fasse contrepoint aux propos des images. Il y avait de la profondeur dans la réalisation. Le producteur, en voyant le film, trouvait que la musique n’allait pas du tout, qu’on ne comprenait pas l’intention. Le réalisateur, Patrick Banque, un peu timide, a eu le malheur d’expliquer qu’il avait voulu amener un contrepoint, de l’ironie. Alors ce fameux producteur lui a dit que ce n’était que des conneries, que la musique de documentaire c’est un thème de générique et puis deux ou trois nappes et basta ! Je me suis fait rabrouer !
Et vous avez dû tout refaire…
Pas complétement. Ce fut une expérience douloureuse parce qu’ensuite et il ne voulut plus travailler avec moi. J’ai dû attendre plusieurs années pour retravailler avec ce réalisateur et ce producteur ! Je viens de finir un doc sur Roland Dumas, mais la monteuse et le réalisateur ont dû batailler pour que je fasse la musique.
Les producteurs ne supportent pas que les réalisateurs aient des intentions musicales ?
Pas forcément mais ils ont d’autres critères, par rapport à la vente, aux chaînes… Dans un documentaire il ne faut pas plaire à trente six mille personnes. Il faut plaire au réalisateur, éventuellement au monteur, au producteur. Avec la chaîne on n’a jamais un accès direct. Les visionnages, on n’y est jamais. Cependant tout le monde s’autocensure au départ pour plaire à la chaîne qui fait rarement des remarques sur la musique. Sur les 250 films que j’ai fait, j’ai dû me faire retoquer deux ou trois fois. Une fois, c’était avec Arte pour des conneries : à la limite tu représentes la version soi disant remaniée et ils la trouvent beaucoup mieux, alors que tu n’a pas changé une note !
Plus de 250 documentaires ?
Même plus parce qu’avec les séries de 26 fois 26 minutes, cela va assez vite !
Vous êtes un homme riche car vous êtes payé au passage aussi…
J’ai travaillé sur quatre longs-métrages à mes débuts et je n’ai rien touché !
Comment avez-vous commencé dans ce métier ?
J’étais l’assistant, vers 21, 22 ans, de Stéphane Meer, – Pondichéry, dernier comptoir des Indes , L’Ami du jardin , Too Pure , ou Tristan et Iseult – fondateur du Studio Davout, qui travaillait beaucoup pour Ushuaia . Il faisait beaucoup de télé. Il y a eu une révolution dans les années 80 lorsque les producteurs pouvaient utiliser librement le répertoire de la SACEM, et du jour au lendemain cela n’a plus marché aussi bien pour lui. Alors il m’a embauché pour m’occuper du studio.
Vous sortiez d’où ?
De nulle part ! J’ai fait du piano classique sans passer par le conservatoire. En revanche je passais mes weekend dans mon garage, dès 13, 14 ans avec un quatre pistes, un des premiers séquenceurs, une boîte à rythme, et je passais mon temps à reproduire les musiques que j’entendais et les maquetter sur mon quatre pistes.
Quelle musique écoutiez-vous ?
La musique d’ado, la pop, la new wave des années 80, The Cure, Dépêche Mode, l’électro pop britannique, Yazoo, c’était assez décrié, c’était des prolos de la banlieue de Londres qui jouaient avec des synthés parce que c’était moins cher ! La grande éminence grise de cette époque c’était Vince Clarke avec son séquenceur et c’était une vraie révolution. Aujourd’hui c’est redevenu très mode. Dans la pop, le rock, il y a de l’électro partout.
S’il y a de plus en plus de la musique électronique dans la musique de film c’est que le coût est moindre !
Cela a commencé avec de Roubaix ! Il avait le ARP 2600, le Moog, un sound studio…
Et que vouliez-vous faire avec la musique ?
Quand j’étais gamin je reproduisais ce que j’entendais. A 15 ans c’était ma passion, mais j’étais hélas bon élève donc mes parents ne voulaient pas que je fasse ni le conservatoire, ni une carrière musicale. Ma mère était enseignante et mon père technicien, on habitait le sud ouest à côté de Pau dans le Béarn, mais mes parents n’étaient pas de la région. Je suis resté jusqu’à mon bac chez mes parents puis je suis parti en prépa HEC ce qui ne m’a pas plu du tout et j’ai intégré une école de commerce à Paris, puis j’ai laissé tomber. Clash avec ma famille… Livré à moi-même, j’ai présenté le concours de La Femis en son. Je n’avais pas une culture de cinéphile et avec un magnétoscope je me suis tapé une flopée de films de Tati, Kubrick, Fellini. Il n’y avait que le son qui m’intéressait…
Vous ne regardiez pas trop de films ?
Je ne regardais que les films de mon âge. La musique m’intéressait en tant que telle mais je ne faisais pas attention aux compositeurs. Comme j’étais bon élève et structuré par la prépa, je suis allé jusqu’au grand oral à La Fémis, face à Michel Chion ! Je me suis fait balayer. J’aurais pu me représenter mais j’ai trouvé une place d’assistant en envoyant mes cassettes, mon projet à La Femis, mon profil, et Stéphane m’a engagé. J’étais le petit jeune parfait, je bossais 12 heures par jour, je lisais les modes d’emploi du sampler jusqu’à quatre heures du matin! J’étais à fond dans le son, mon rêve ! J’ai donc travaillé avec Stéphane pendant 8 ans, de 22 à 30 ans. J’ai beaucoup travaillé avec lui, de l’animation, des longs métrages, des documentaires…J’ai appris l’orchestration, l’arrangement, le travail avec le sampler… On était dans les années 95-96, on récupérait sur des cassettes huit pistes, on essuyait les plâtres à l’époque. A la fin, tout ce qui était documentaire je m’en occupais tout seul. Il continuait quand même à les signer. Dans les années 2000, un de ses clients doc le trouvait trop cher. Je lui ai composé à moindre prix sa musique avec mon petit sampler chez moi !
Vous faisiez tout tout seul ?
Complétement, j’avais une formation d’ingénieur du son avec tout ce que j’avais appris au studio, de musicien mais sans connaître toute la théorie. Jusqu’à trente, trente deux ans, je joue du piano, de la guitare, je faisais de la basse dans les groupes de rock, je joue un peu de batterie, de flûte, de saxo.
Ce qui vous a permis de faire plus de 250 documentaires ! Avez-vous enchaîné tous ces films ?
Au départ, quand on se met à son compte, on commence avec une opportunité, un client. Après il y a un grand creux, puis ça remonte tout doucement et au bout de cinq ans on finit par avoir une clientèle. Le principe est que les gens travaillent avec toi s’ils ont déjà travaillé avec toi ! Pour gagner un nouveau client, c’est très compliqué, c’est par cooptation. Ma stratégie c’est d’aller à toutes les projections de tous les films que je fais. Souvent je gagne un ou deux clients et c’est comme cela que je vous ai rencontré ! J’ai un nouveau réalisateur tous les deux ou trois ans.
Et les producteurs ?
Eux ils se soucient d’efficacité, de budget. Les réalisateurs s’occupent en général d’autres choses. Si un producteur me place sur un film, j’ai souvent des problèmes avec le réalisateur. Parfois cela se passe bien, mais il arrive qu’ils l’ont mauvaise : ils sont frustrés de ne pas avoir placé leur musicien ! Dans l’autre sens jamais.
Les réalisateurs de documentaire savent ce qu’ils veulent. La musique les intéresse-t-ils ?
Classiquement un réalisateur est plus concerné par l’image que par le son. Un peu plus par la musique que par le son. Il y a des réalisateurs mélomanes mais les plus compliqués sont ceux qui sont des musiciens contrariés ! Il y en a qui sont très professionnels, qui te disent qu’ils ne s’intéressent pas à la musique, et qui vous font entièrement confiance. Là tout se passe très bien.
Dans toute cette centaine de documentaires, y en a-t-il un qui vous satisfait pleinement musicalement ?
Celui sur la France Afrique. J’ai eu une expérience amusante : j’avais décroché la musique, après un appel d’offre, d’un des génériques de Thalassa, il y a cinq, six ans. Il est resté une saison complète. Alors quand mon dentiste ou mon médecin me demandait quel docu j’avais fait, je leur citais le générique de Thalassa. Alors là je devenais un compositeur d’exception ! Après j’ai travaillé sur un doc sur la Légion étrangère, sur F5, et c’était émouvant parce que mon papa est pied-noir, et à Sidi Bel Abbès il y avait la légion étrangère et cela avait marqué toute son enfance. Il y avait des thèmes particuliers à faire sur la Légion étrangère. J’ai fait un morceau jazz au saxo parce que mon grand-père jouait du saxo. Là il y avait un sens très personnel. Quand mon père a entendu la musique du docu, je suis sûr qu’il a dû avoir quelques larmes…Le réalisateur s’appelle Ben Salama. Il a fait l’IDHEC. On travaille régulièrement ensemble. Il était au courant de mon histoire familiale.
Alors vous avez composé récemment la musique du documentaire sur Lino Ventura: Qui a eu l’idée du choix musical, le jazz en l’occurrence ?
La difficulté est que le jazz à la télé passe très mal ! Sur Arte pas de jazz ! Je ne suis pas sectaire, je peux écrire dans tous les styles…. A partir de mes trente ans j’ai rattrapé mon retard et j’ai fait toutes les formations théoriques, composition, harmonie, contrepoint, à la Schola Cantorum avec Alain Margoni. J’ai refait du piano classique avec une sorte de grand maître, Désiré N’Kaoua, spécialiste de Ravel, ensuite j’ai fait deux ans d’études à la Sorbonne, à trente six ans, musique et musicologie, pour avoir une vision globale de tous les styles de toute l’histoire de la musique… Pour revenir au jazz, la difficulté c’est qu’après le premier jet, la réalisatrice voulait incarner Ventura comme le type viril qui plaît aux femmes plus qu’une époque. Moi je m’étais dit que j’allais faire de la musique pseudo fin des années 50-60 fin des années 70. Mais les premiers thèmes étaient trop datés, typés, trop collés aux images, et il fallait incarner plus le personnage que l’époque. C’est dommage parce qu’on est devenu caricatural dans l’autre sens. Alors pour incarner Ventura, c’était contrebasse, ballet pour la sensualité et le côté viril. On était dans les codes du jazz, rythmes lents, piano Rhodes pour le côté mystère, les harmonies septième, neuvième, mais tout cela restait très light, il ne fallait pas faire du jazz virtuose. La réalisatrice a beaucoup aimé un thème et elle s’est accaparé ce thème et a voulu le mettre partout, j’aurais écrit un peu plus de diversité…l’univers était celui de une musique de film jazz utilisée dans les années soixante.
J’ai trouvé que votre travail dans ce documentaire avait des allures de musique de film effectivement
C’est cette valeur ajoutée que je cherche à apporter.
Faites-vous tous les instruments tout le temps ?
Pour le prochain documentaire je vais faire appel à des solistes. Mais les budgets ne le permettent pas ou très peu, et si c’est pour mettre une petite flûte, je peux le faire moi-même.
Quel est le budget musique pour un documentaire ?
Sur F5 c’est 2000 € !
Il faut en écrire beaucoup pour vivre !
En tant que compositeur on a une double rémunération : on est payé pour écrire une musique, c’est le producteur qui nous paye – ce sont ces fameux 2000 € – et ensuite, lorsque le documentaire passe à l’antenne, le diffuseur paye à la SACEM qui redistribue aux auteurs les droits d’auteur avec tout un barème assez complexe et mouvant. Et alors cela rémunère le travail de créateur, toutes ses années d’apprentissage, de culture, pour qu’il puisse écrire de la musique… Avec les deux on arrive à faire carrière, mais c’est de plus en plus difficile ! Notre métier est en train de disparaître parce que face aux éditeurs spécialisés de musique, on ne peut pas lutter. Pour le producteur cela lui coûte quatre fois moins ! Dans les années 80-90 on a reproché à ces musiques d’être un peu cheap. Aujourd’hui ils ont des catalogues de grande qualité, agencés par mots clés dans tous les styles. Il y a aussi une esthétique de documentaire qui a changé en ce sens qu’avant le réalisateur avait une culture cinéphile, et bien sûr il préférait une musique originale, avec un thème, des notes, qui déclinaient quelque chose. Il résonnait selon le modèle du long métrage. Aujourd’hui ce sont des journalistes qui n’ont pas de culture cinématographique : ils vont piocher dans leur iPhone ou dans leur iPod des musiques style Phoenix ou Daft Punk et c’est devenu du patchwork. C’est l’esthétique dominante. A Arte s’ils entendent un thème décliné, ils s’emmerdent et demandent de la musique plus variée. En tant que compositeur je suis obligé de trouver des solutions pour diversifier ma proposition musicale au sein d’un même film.
Le problème c’est qu’on appelle »documentaire » des reportages !
Le documentaire a glissé vers le magazine. Avant il y avait un propos, un point de vue. Aujourd’hui, on a des témoignages agencés, des mini-sujets articulés journalistiquement.
Et on revient au début de notre entretien : passer à la fiction est peut-être plus satisfaisant ?
Je me méfie de ces histoires de classifications de manière verticale. Je suis bouddhiste et je n’aime pas mettre des choses les unes au-dessus des autres…
On peut plus s’exprimer dans une fiction que dans un documentaire quand même ?
C’est plus complexe. Il y a plus de paramètres et c’est plus une collaboration avec le réalisateur. Car là il y a un réalisateur, il y a un point de vue, il y a une intention. Ce qui ne veut pas dire que le compositeur n’ait pas un rôle de créateur. Est-ce que c’est mieux, plus intéressant ? Je refuse de voir les choses ainsi. Ce que je trouve désagréable dans la fiction c’est qu’il faut faire carrière, avoir du succès. Je suis en ce moment au point – j’espère pas dans un temps trop reculé – où je pourrai avoir plus de temps et d’énergie à moi pour faire librement des choses…
Dans une deuxième vie alors…
J’ai beau être bouddhiste, j’ai du mal à adhérer à la métempsychose !
Et la musique Extrême orientale ça vous inspire ?
On est en plein dedans avec les musiques minimalistes très à la mode, j’aime. Ce sont des musiques qui résolvent tout : facilité d’écoute, intelligence, élévation. Je suis très séduit que cela soit à la mode en ce moment. J’en propose assez régulièrement. Il y a cinq ans il fallait faire des thèmes où cela sifflait ! Il y a dix ans fallait mettre de la guitare acoustique. En ce moment il faut faire des cellules en boucle avec des cordes ou des pianos…
La musique à l’image vieillit mal…
C’est clair, j’ai un gros stock de musiques et régulièrement je les réécoute. Il y a quelques musiques qui demeurent, plus en terme de qualité que de périodes. Le paramètre qui fait qu’une musique est de qualité c’est l’énergie qu’on a mise dedans. J’ai remarqué qu’à une époque, j’avais 25 ans, je revenais des États-Unis, et j’avais une musique à faire sur la fête de l’ours. Et bien ce thème de l’ours, je l’ai écrit tout de suite, fatigué, en arrivant. Et bien il est super, il y a une énergie, c’est ce qui fait qu’il est encore bien. Le reste est secondaire…Qui va dire que la musique de Bernard Herrmann a vieilli ! Pourtant elle est très identifiée en terme de style. Dans trente ans personne trouvera que Phil Glass a vieilli et c’est pourtant très clairement identifié en terme d’époque…
Alors gardez l’énergie !