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[ENTRETIEN] : DAVID HUDRY, se [Re]souvenir et Inventer.

©Manu Theobald- Ernst von Siemens music fondation

David Hudry

C’était avant la panique du covid-19, à Présences 2020, que j’ai entendu pour la première fois une œuvre de ce compositeur [Re] Cycle pour Ensemble, une création mondiale !. Il y a toujours une première fois même si David Hudry compose depuis plus de dix ans. C’était le jour du concert, le 9 février 2020, que nous avons décidé de nous [Re]parler. C’était le 12 mars 2020, avant la panique du covid-19, qu’en face de la Gare du Nord – Hudry fréquente beaucoup les trains soit pour rentrer chez lui, soit pour apporter la bonne parole à des étudiants en classe de préparation littéraire option musique à Saint Quentin dans l’Aisne – dans un bar, encore ouvert, que nous nous sommes [Re]trouvés ! David Hudry s’est [Re]souvenu pudiquement de ses quarante années avant la fin viral du monde …une sorte de [Re]cyclage

Quel est le premier mot qui vous vient à l’esprit au début de cette interview, juste un mot ?

Ah..Je ne m’étais pas préparé à ça ! (sourire)

Ah désolé ça c’est une phrase…

Ah…(silence, puis)…Vitalité !

(définition du dictionnaire : Qualité de quelqu’un, d’un groupe dont l’énergie, le dynamisme se manifestent par l’activité : un enfant plein de vitalité )

Alors ce mot représente toute votre vie, votre musique… ?

Énergie !

(définition du dictionnaire : Vigueur particulière dans la manière de s’exprimer)

Ah non vous venez de me dire vitalité… ! Est-ce ainsi que vous concevez votre musique…

OUI !

Quelle drôle de tête vous faites à cette première question qui est pourtant une question à la …(rires)

Non non ok VITALITÉ !

Alors pourquoi vitalité ? Parce que vous prenez souvent le train, que vous vous déplacez beaucoup ?

Parce que c’est ma façon d’être au quotidien…être dans l’énergie, l’action, le mouvement..de faire beaucoup de choses.

Et dans l’écriture aussi ?

Et dans l’écriture aussi oui…Energie, densité et agitation..

Aimez-vous organiser le chaos ?

Non le chaos il se débrouille très bien sans moi …je le laisse faire son chemin tout seul.

Pourtant quand on écoute votre musique, on se dit qu’il y a des formes qui partent dans tous le sens mais que tout cela est très bien contrôlé quand même.

Je faisais cela au début quand j’ai commencé à composer, partir d’un état total avec plein de choses qui se passent en même temps et vouloir ensuite leur donner un sens, une forme, construire quelque chose à partir de cette vision. J’avais ainsi des pièces qui commençaient avec d’énormes tutti, plein de matière et de ça naissaient des gestes musicaux qui se développaient et vivaient par la suite.

Vous commenciez donc par le Big Bang ! Vous étiez à l’origine de notre monde alors !

Ahah, un peu, je devais certainement me prendre pour Dieu alors ! (sourires)

Existe-t-il ? Vous y croyez ?

Non absolument pas.

Alors qu’est-ce que l’origine du monde pour vous?

Il y a des phénomènes scientifiques qui expliquent cela, mais je ne me suis pas particulièrement documenté sur la question. L’origine du monde, c’est peut-être l’étincelle de la vie ?

Mais vous croyez au Big Bang

Je pense qu’il s’est passé à un moment donné, un phénomène qui a fait qu’une matière s’est mise en place et s’est transformée, un potentiel d’énergie qui est devenu vivant…

C’est ce que vous écriviez dans votre musique…Elle n’est pas pour l’instant le Big Band !

Non, c’est vrai, mais j’adorerais écrire pour un gros ensemble de cuivres, pour un Big Band, je suis fan de cette musique là !

A Présences de cette année ce n’était pas encore le Big Band

Non ce n’était que 15 instruments.

Mais vous avez écrit pour 35 instruments

Oui, Nachtspigiel, ma pièce de sortie du conservatoire, c’était le maximum d’instruments pour lesquels on pouvait écrire. J’aime écrire pour des grands ensembles et je suis particulier amoureux des cuivres et des percussions, je prends du plaisir à écrire pour ces instruments.

Dans la musique d’aujourd’hui on n’écrit pas pour les saxophones qui est un instrument très présent dans les Big Band de jazz par exemple ; on les place avec les cuivres..

Oui ce qui est bizarre parce que la clarinette et le saxophone sont de la même famille. Il existe des ensembles de saxophones, et pas mal d’ensembles de musique de création qui l’intègrent à leur formation. Je trouve au contraire qu’il est très prisé par les compositeurs d’aujourd’hui !

Revenons à votre musique

Quand j’ai commencé à écrire j’avais toujours l’impression de visualisais une forêt ou une ville dans lesquelles je me promenais. Dans ces lieux il s’y passe énormément de choses et je peux y entrer par différents points.

Est-ce qu’on s’y perd ?

Bien sûr et c’est en cela que c’est intéressant.

Vous aimez vous perdre dans votre musique ?

Oui et j’aime aussi l’idée que je peux continuer à me laisser surprendre par mes pièces. Si elles me racontent tout à la première écoute, elles ne m’intéressent plus. J’aime la possibilité d’être surpris, de dériver, de me laisser porter par quelque chose que je n’avais pas prévu…

J’ai écouté pas mal de vos interventions, peut-être anciennes, et j’avoue que je ne comprenais pas tout, c’est mon problème de QI, mais en écoutant votre musique, je trouve, contrairement à ce que vous disiez qu’elle est très émotionnelle, loin du côté intellectuel que vous exprimiez.

Et bien oui, elle l’est, et je suis navré si c’est le sentiment que cela donne. Je ne revendique aucune démarche intellectuelle, je compose beaucoup par instinct et par intuition, d’autant plus aujourd’hui. Je pense qu’à l’époque où je faisais mes études au conservatoire de Paris, j’avais besoin de me structurer, de construire et donner du sens à ma démarche de travail. Il m’a fallu faire ce cheminement. Aujourd’hui, je me rends compte que je peux prendre de la distance avec tout ça pour pouvoir librement m’exprimer musicalement.

Maintenant vous vous baladez en toute liberté dans votre forêt ?

Exactement, sans avoir besoin d’une carte et même sans vouloir en prendre une…

Pas de GPS ?

Non c’est bien de se paumer !

Et quand on se paume on peut l’écrire ?

Et quand on se paume on peut l’écrire, oui

Est-ce plus sincère ?

Certainement, et cela produit aussi de la spontanéité, de la profondeur, du naturel, bien plus qu’en m’accrochant à des principes arbitraires.

Est-ce que vous fonctionnez comme certains de vos confrères qui improvisent et à partir de ce matériau, ils vont le travailler, ou bien dès le départ vous avez une cellule, ou simplement un agrégat d’atomes musicaux que vous allez transformer en une matière sonore…une autre vision du Big Bang…

Cela dépend du projet, et de l’étape où j’en suis dans la construction du projet. Quand j’ai une idée, je pense à l’outil le plus adapté pour la faire exister. Je n’ai pas de recette préconçue et je réinvente à chaque fois ; c’est cela qui me passionne, ne pas être répétitif.

N’est ce pas cela être un artiste ?

C’est aussi cela ! Mais l’artisanat nécessite des outils, une technicité, qu’il faut acquérir.

Travaillez-vous sur commande ?

Il m’arrive de travailler sur commande mais la plupart du temps j’aime être à l’initiative des projets. Je suis motivé dans le second cas car c’est moi qui ai envie de les faire et pour arriver à trouver des propositions de projets qui soient en phase avec mes désirs ce n’est pas évident. Les commanditaires proposent souvent des cadres qui ne sont pas forcément adaptés à ce que je veux écrire. D’une manière générale, j’aime l’idée que je peux être force de proposition pour un projet et solliciter un engagement commun. Il y a une dimension humaine qui est faite de rencontres et d’interactions artistiques avec des programmateurs.

Êtes-vous assez connu pour avoir cette force de proposition ?

Je ne pense pas en ces termes. La question est plutôt : est-ce que le projet peut apporter quelque chose à la personne à qui je le propose et avons-nous un intérêt commun à ce qu’il se réalise.

Il y a tellement de structures, de festivals, qui attentent une œuvre de David Hudry ?

Ça, je n’en sais rien, et à la rigueur ce n’est pas le plus important. Par contre, plus on connaît de monde, plus le réseau est grand, plus c’est facile de créer des opportunités. L’économie de la musique a beaucoup évolué, il faut multiplier les partenariats, initier des interactions au sein du milieu culturel, mais aussi avec le milieu industriel, pour pouvoir valoriser la création et la diffusion des projets.

Alors dans les propositions que vous aimeriez écrire c’est la musique à l’image. On est très loin des structures que vous fréquentez.

Ce qui me fascine depuis que j’ai commencé à composer, c’est le rapport à l’image, à la vision de quelque chose. Toutes les pièces que j’ai composées, ce ne sont pas que des atmosphères, ce sont des visions, des projections, que je réalise à travers par la musique. Lorsque j’ai écrit le projet de The Forgotten City mon idée était de traduire musicalement l’impression d’une ville plongée au cœur d’une une activité industrielle intense.

Pourquoi appréciez-vous les friches industrielles ? Ce sont des lieux qui ne produisent plus, des lieux fantômes.

Ce sont des lieux qui me fascinent. Ces lieux ont une âme, et je pense qu’ils nous amènent à nous questionner sur ce que l’homme a fait pour en arriver là. L’histoire de chacun de ces lieux abandonnés est unique. Quelles traces reste-t-il de leur histoire et que sont-ils amenés à devenir dans le futur ?

Demain vous pourriez faire une composition en parlant de Tchernobyl ?

Non, ce lieux a suffisamment fait parler de lui, ma musique n’apportera rien.

C’est un lieu de réactivité ! Désolé on a commencé par le Big Bang, c’est grâce aux atomes que nous existons, que vous composez, il faudrait être cohérent cher David!

Ah AH, oui c’est vrai, mais il y a d’autres lieux que je pourrais explorer avec cette idée là,

Le Nord de la France par exemple ?

Oui, par exemple, il y a des tas de friches industrielles, mais c’est une région que je connais moins. Il faut donc trouver le contexte et les lieux appropriés. Je suis né dans le sud, à Nîmes, et j’ai vécu là-bas jusqu’à mes 22 ans en faisant des études à Montpellier, donc rien à voir avec le Nord de la France… ensuite je suis venu à Paris.

Que vous reste-t-il de Nîmes, ville d’archéologie par excellence ?

Le soleil, la ville romaine,

Est-ce qu’elle vous a nourri artistiquement ?

Nîmes ? Certainement, même si c’est difficile à mesurer concrètement comme ça, mais je ne peux pas dire qu’il y a des résurgences directes dans mon travail de musicien. En tout cas, elle restera dans ma mémoire comme la ville dans laquelle tout a commencé pour la musique. Par contre, c’est lorsque je suis arrivé à Paris que je me suis construit personnellement et que j’ai élargi mes horizons musicaux et culturels. C’est à Paris que j’ai trouvé la stimulation artistique dont j’avais besoin.

C‘est à dire ?

Je crois qu’il me fallait du changement, au fond de moi, j’avais besoin de quitter ma ville d’origine et prendre de la distance avec ma famille pour démarrer une autre vie. Paris était cette ville dont je rêvais depuis longtemps, un peu inaccessible pour moi à l’époque, avec ses musées et ses concerts.

La peinture abstraite que vous appréciez, c’est à Paris que vous l’avez découverte ?

Oui, c’est en tout cas là que j’ai vu en vrai des toiles de Kandinsky au Musée Pompidou.

Votre milieu familial, bourgeois peut-être, ne vous le permettez-pas ?

Non, plutôt prolétaire, et la culture n’était pas forcément au centre des préoccupations familiales. Mes parents m’a toujours laissé faire ce qui était bon pour moi, sans jugement négatif a priori, mais je me suis construit tout seul, par la curiosité, une envie irrépressible de découvrir…

Lorsque vous étiez môme vous vouliez déjà être compositeur ?

Ce n’est venu pas si tôt que cela, c’était vers 14/15 ans, grâce à l’accordéon. Je jouais et j’improvisais beaucoup, c’est ça qui m’a donné le goût d’écrire ce que j’inventais. J’ai commencé à jouer de l’accordéon à 12 ans, non à 7 ans en fait, mais à cause d’un prof qui m’a traumatisé, j’ai tout laissé tomber et j’ai repris plus tard parce que mes parents ont insisté.

Savez-vous qu’on aurait pu fêter le centenaire de la naissance de Verchuren ?

Je sais mais il n’a jamais été mon idole, j’ai toujours trouvé que son jeu n’était pas terrible. Je me souviens un jour où mes parents, pensant me faire plaisir, m’ont offert les succès de Verchuren, c’était inécoutable pour moi…

C’était émouvant quand même ?

Oui émouvant, c’était vraiment pour me faire plaisir, rien que pour cela j’ai écouté le disque.

Quel était votre accordéoniste préféré ?

Il y avait Joss Basselli, j’aimais beaucoup son univers musical, il y avait de l’énergie dans ses compositions qui me plaisaient beaucoup, Richard Galliano qui faisait des duos avec Michel Portal, Joe Privat ainsi que Marcel Azzola, une personne importante pour moi.

Arrivé à Paris j’ai fait aussi la coupure avec cet instrument pour des raisons personnelles que je ne développerai pas ici.

Joker donc !

Oui Joker ! En même temps que j’ai commencé la composition, j’ai décidé d’arrêter l’accordéon. C’est à ce moment là que s’ouvrait la classe d’accordéon au CNSMDP, avec Max Bonnay !

Cette année à la Maison de la Radio, on a entendu Scarlatti à l’accordéon.

Lorsque j’étais à Montpellier, je prenais des cours au conservatoire de Sète avec un professeur qui s’appelait Oliver Urbano. On jouait Scarlatti et Bach, j’avais un accordéon à basses chromatiques, mais à un moment je tournais un peu en rond avec le répertoire car lorsque j’avais interprété Bach, Scarlatti et quelques-uns des compositeurs qui écrivaient spécifiquement pour l’instrument. Le répertoire de création était encore limité à l’époque, ça a bien évolué depuis !

Dans vos interviewes, qu’on peut écouter sur You tube, vous parlez de peinture abstraite. C’est donc à Paris que vous la découvrez, alors qu’il y a le magnifique Musée Fabre à Montpellier !

Oui c’est à Paris. Lorsque j’étais étudiant à Montpellier, je n’étais pas spécialement fasciné par la peinture abstraite, ça s’est fait plus tard. La musique occupait tout mon temps à l’époque, particulièrement celle du XXéme siècle, j’avais tellement à apprendre et à découvrir !

Donc vous aimez Kandinsky et Zao Wou-Ki, deux artistes diamétralement opposés, vous dites qu’ils vous ont inspirés musicalement.

J’ai d’abord découvert, apprécié, Kandinsky et Paul Klee. J’ai lu les écrits de Boulez qui sur Klee parlent de la relation avec la peinture, il y a eu tout un cheminement dans ma tête. J’ai lu les écrits de ces deux peintres, leurs théories au sujet de l’art moderne qui m’ont donné des idées, des images et m’ont permis de développer mon langage musical. J’ai passé des heures assis sur des bancs à Paris à lire et à réfléchir à tout ça. Zao Wou-Ki c’était plus tard, j’ai été sensibilisé à sa peinture par mon ancien prof de composition, Emmanuel Nunes, et grâce à lui j’ai aussi découvert Vieira da Silva peintre portugaise, dont j’adore le travail. Elle a cette façon de peindre qui fait percevoir un environnement spatial avec différentes perspectives, ce n’est pas du cubisme mais il y a une fragmentation de l’espace qui fait qu’on a l’impression de voyager dans le même espace tout en y accédant par différents points.

Allez on repart dans l’espace-temps, au Big Bang ; on retrouve votre forêt !

Il était une fois…

Le premier mot c’est toujours le même? Dans vitalité il y a vie, c’est le début, il y a l’origine

Il y a pour moi l’impulsion, l’énergie, quelque chose qui se déploie, qui se développe ça me plaît bien.

Dans votre musique avez-vous envie de vous sentir vivant?

Mais pas que dans ma musique,

Est-ce qu’elle vous permet de vivre au propre comme au figuré ?

Vivre uniquement de sa musique de nos jours est une gageure, et il n’y a pas que la musique qui compte ! Elle me permet surtout de chercher au fond de moi de nouvelles façons de me réinventer, d’exprimer ce que je suis, en fin de compte il ne s’agit pas de parler que de moi mais aussi de l’humain.

En écrivant de la musique on parle de soi non ?

Certainement, mais si je veux parler de moi je réponds aux questions qu’on me pose dans une interview (sourires)

Alors parlons plus profondément de vous, quelles ont été vos grandes blessures qui vous ont permis d’écrire certaines œuvres ?

Il paraît que ça fait partie des conditions sine qua non…beinh Joker !

OK ! Maintenant que vous avez une femme, un enfant et demi cela change-t-il votre écriture ?

Cela a bouleversé mon rapport à l’écriture musicale. L’arrivée de ma fille a changé énormément ma manière de penser, mon rapport au monde et aux choses qui sont essentielles ou non. Je ne l’avais pas anticipé ni même imaginé quand cela s’est produit.

C’était si dur que cela avant ?

Honnêtement si je [RE]pense à ma situation et les dix années où j’ai vécu seul à Paris, j’ai pu faire des tas de choses que je n’avais pas pu réaliser dans l’environnement où je vivais auparavant. Paris a été le déclencheur, le lieu où j’ai enfin pu faire ce que je voulais. Montpellier était une ville formidable dans laquelle j’ai été exposé à plein de choses, mais ce n’était pas simple d’y développer les idées et les envies auxquelles j’aspirais. Je sentais bien, sans pouvoir l’expliquer, qu’il me manquait quelque-chose en restant dans le sud.

C’est violent ce que vous dites, il faudrait être parisien pour bien écrire ?

Non cela veut dire que j’ai eu l’occasion de rencontrer des artistes, des compositeurs qui m’ont fait prendre conscience de ce que je cherchais. J’avais plus de chance d’entendre la musique qui m’intéressait en allant dans les concerts à la Cité de la Musique en face du conservatoire qu’en écoutant le seul concert de musique contemporaine qui était programmé chaque mois au Corum de Montpellier.

Vous saviez je suppose que Pierre Charvet est de Montpellier

C’est là-bas que je l’ai rencontré. Il a été dans le jury de mon prix de conservatoire de Montpellier. Pierre a été toujours très bienveillant avec moi, et il est sensible à ce que je fais et à ma musique.

Il a écrit de belles choses pour la voix où en êtes-vous dans ce domaine ?

J’ai fait des tentatives mais pour le moment elles sont au placard.

Il y avait un opéra en écriture non ?

Oui mais pour des raisons qui ne sont pas liées à moi, la relation de travail avec la librettiste s’est détériorée.

C’était une idée avec trois personnages si je me souviens bien ?

Au départ, j’étais parti sur une adaptation de L’invention de Morel de Bioy Casares, un livre qui m’a fasciné et que j’adore. Cela se passe sur une île avec un certain Morel et ses relations avec des personnes peut-être fictives ou réelles. Ma rencontre avec la librettiste s’était faite à l’Académie d’Aix en Provence avec le réseau d’European Network Opera. Je lui ai présenté mon projet, elle a aimé mon idée, mais elle voulait un projet plus d’actualité, plus contemporain et qui questionne la place et le rôle de la femme. Je me suis pris au jeu, l’idée était passionnante, et puis la relation de travail n’a plus fonctionnée, ses attentes et les miennes n’étaient pas dans la même temporalité…

Est-ce que vous êtes capable de me citer un opéra contemporain qui vous a plu ?

George Benjamin, Written on the Skin, une musique d’une incroyable finesse, mais le problème de l’opéra c’est la voix ! La compréhension du texte reste vraiment problématique… pour moi, Debussy est le seul qui a réellement trouvé une solution à ce problème, mais cet opéra pose aussi un certain nombre de question sur la voix…

Prenez un scénario de film et transposez-le en opéra, on le fait de plus en plus au théâtre.

Depuis quatre ans, j’ai mis de côté l’option de travailler sur un opéra. J’y reviendrai sûrement, mais j’ai encore besoin de temps pour trouver quelque-chose de vraiment personnel. Pour le moment, je suis sur d’autres projets, d’autres envies.

Alors quels sont ces projets, ces envies?

J’écris une œuvre pour clarinette solo avec Jérôme Comte de l’Ensemble Contemporain, une pièce pour clarinette et petit ensemble avec l’Ensemble Court-Circuit, et j’ai aussi un projet de résidence en Pologne autour des industries polonaises de la basse Silésie.Également des projets de musique à l’image aussi, à suivre !

Je vais vous donner des noms et dites-moi si ces noms vous évoque quelques choses : Johnny Greenwood, Mica Levi, Geoff Barrow,

Non ça ne me dit rien…

Hans Zimmer

C’est un compositeur de musiques de film

Les autres aussi, ils composent de la musique électroacoustique pour des films qui ont eu beaucoup de succès, des prix. Johnny Greenwood, du groupe Radiohead, est le compositeur de Paul Anderson Thomas (There Will Be Blood, Master, Phantom Thread), Mica Levi est la compositrice de Under the Skin de Jonathan Glazer, de Jackie réalisé par Pablo Larrain et de Monos de Alejandro Landes, Geoff Barrow, du groupe Portishead, a écrit la musique de ExMachina de Alex Garland.

ExMachina est un film fantastique je l’ai vu au moins trois fois. La musique est superbe mais je ne me souvenais pas du nom du compositeur.

Je suis plus intéressé à la manière dont le métier du compositeur de musique à l’image s’est constitué dans les débuts du cinéma. Cette période est passionnante. Je pense notamment à la relation de travail d’Honegger avec Gance, ou encore Prokofiev avec Eisenstein, et la manière dont ils collaboraient.

C’est intéressant ce que vous dites, parce que votre génération, vous les compositeurs de musiques d’aujourd’hui vous n’avez plus de contact avec les réalisateurs.

Je ne sais pas ce qu’il en est pour mes collègues, mais la composition de musique à l’image est un secteur bien spécifique. Moi je n’ai pas encore eu l’opportunité de travailler avec un réalisateur. Il faut aussi trouver la bonne personne avec qui travailler. Aujourd’hui j’ai l’impression que la musique de film repose encore beaucoup sur des recettes issues dans la tradition du XIXe siècle, sans parler du rôle du compositeur qui arrive toujours en bout de chaine dans la production.

Aimeriez-vous en écrire ?

J’aimerais bien sûr, et en ce moment je m’intéresse particulièrement à deux films muets des années 20. Je suis en train de monter un projet sur L’Homme à la Caméra de Dziga Vertov et puis un autre film en lien avec l’univers de la ville et des rythmes urbains, c’est Berlin Symphonie d’un Grande Ville de Walther Ruttmann. Et oui, des réalisateurs morts… mais ce sont des films fascinants visuellement et au niveau des rythmes du montage des plans, et très inspirant pour écrire de la musique !

Comment faites-vous en musique pour composer sur des montages parallèles qu’on trouve dans ce genre de cinéma comme celui d’Eisenstein, de Griffith, de Vertov ou le cinéma russe de cette époque.

Avec la musique, c’est compliqué voire impossible de traduire le principe du montage parallèle parce que la musique a besoin de temps pour se développer, alors que l’image peut enchaîner les plans très rapidement. Abel Gance pousse la rapidité des changements de plans jusqu’à l’ivresse des yeux, et le son a une inertie que l’image n’a pas. Mais le challenge de la musique est intéressant, elle n’a pas à raconter ce que dit déjà l’image. Il faut trouver une cohérence commune où chaque forme d’art a son propre moyen d’expression. Et là je reviens à Kandinsky et à sa théorie sur l’art moderne. Il dit que des formes d’art peuvent s’inspirer mutuellement, mais à un moment donné elles doivent prendre leur indépendance et transmettre leur message avec un langage qui leur est propre. C’est à mon avis ce que l’on devrait chercher dans la musique de cinéma ; le problème aujourd’hui c’est que souvent la musique ne fait que raconter ce qu’exprime l’image…

C’est ce qu’on appelle du Mickey Mousing

Oui, c’est un peu ça, et c’est le piège dans lequel il faudrait éviter de tomber si on veut composer une musique qui garde une certaine autonomie tout en apportant au film une dimension sensorielle et émotionnelle supplémentaire. Il faut replacer les choses dans leur contexte, le Mickey Mousing c’était important pour l’industrie du cinéma des années 30-40 qui traversait une crise financière majeure ! On n’allait pas balancer du cinéma intellectuel aux États-Unis avec les problèmes de dépression, il fallait de l’immédiateté, du divertissement. En France, en Europe, au contraire, on avait Abel Gance et Eisenstein entre autres, qui révolutionnaient l’écriture du cinéma et le poussait à son paroxysme ! On était aux antipodes.

Après ces considérations de musique et image qui sont le creusé de votre écriture, alors comme au début, un mot de la fin.

Continuer !

On peut écouter certaines de ses compositions sur cet album : Durchgang (2017)

Pour Ecouter / Acheter chez : col legno – iTunes – Amazon – Google play – et sur spotifight

 

 

 

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