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[ENTRETIEN] : DEBORA WALDMAN

 

© Pierre-Emmanuel Trigo
Uzès, cour du Duché, Nuits Musicales. la cheffe d’orchesstre Debora Waldman, avec le pianiste Alexander Malofeef et l’Orchestre National Avignon Provence, règle quelques détails pour le concert du soir. Le 5ème concerto pour piano et la 3ème symphonie de Beethoven.
C’est là que nous l’avons retrouvé . Nous l’avions rencontrée lorsqu’elle avait ressuscité la Symphonie de Charlotte Sohy et écrit en compagnie de Pauline Sommelet le livre sur cette histoire incroyable.  Avec gentillesse, elle nous a accordé un bref entretien avant le concert…ceci est une interview etc etc…

J’ai eu le plaisir de faire un entretien avec Eliahu Inbal et il m’a dit texto : il n’y a pas de mauvais orchestre, il n’y a que de mauvais chefs ! Qu’en pensez-vous ?

Quand on dirige l’Orchestre National ou le Philharmonique de Radio France, je peux le comprendre…

Permettez-moi de ne pas être tout à fait d’accord,

D’accord, c’est votre opinion

Vous qui avez était l’assistante de Kurt Masur, vous savez très bien qu’il a réussi à ce que l’ONF devienne un excellent orchestre !

Exactement, c’est un excellent chef, ce que je veux dire c’est lorsque vous avez un orchestre de première catégorie, naturellement s’il a un bon chef cela va le galvaniser, mais lorsque vous descendez dans les catégories inférieures, souvent ils ont besoin d’un travail plus long, vous essayez de faire le mieux que vous pouvez, il faut un directeur musical qui fasse un travail sur le long terme.

J’ai connu un excellent chef qui a fait un travail impressionnant sur l’orchestre de Montpellier

Vous parlez de  Michael Schønwandt. Avez-vous connu l’orchestre d’Avignon avant moi ?

J’avoue que non

Je ne sais pas si c’est grâce à moi, mais l’orchestre s’est vraiment transformé, j’ai fait un travail de fond, il y a eu des renouvèlements de musiciens ; les gens qui viennent l’écouter aujourd’hui et qui l’ont connu il y a trois ans, viennent me demander si c’est le même orchestre !

Vous avez dû faire alors un énorme travail pour en arriver là ! Je viens d’assister à une répétition, des Beethoven que vous allez diriger, on sent qu’il sonne bien. Inbal, grand symphoniste, m’expliquait qu’ il pouvait dans certains orchestres faire changer un musicien, pouvez-vous le faire avec le vôtre?

Chez nous cela est impossible, ils ont tous des CDI à vie, je suis obligée de faire avec, s’il y a un musicien très pénible, je ne peux pas le changer !

Lorsque l’on regarde la vie de cet orchestre, il a été dirigé par de grands chefs et il a accompagné de grands artistes tels que Berganza, Caballé, en passant par Repin, Engerer, Freire, Gelber

Il y a deux semaines nous avions Vengerov…

En parlant d’orchestre, j’ai vu que vous dirigez un orchestre qui se nomme Idomeneo, vous pouvez m’en parler ?

Alors d’après l’opéra de Mozart j’ai appelé mon orchestre ainsi, c’est un orchestre d’intermittents, un orchestre à projet qui existe depuis une dizaine d’années et qui se forme seulement lorsque j’ai des projets, surtout lorsque j’ai de l’argent. Prochainement, le 2 décembre, on va faire à Paris le Requiem de Mozart au Couvent des Bernardins et dans le cycle CIC le 11 décembre, aux Invalides, un programme baroque avec des voix magnifiques

Alors revenons à votre enfance, votre jeunesse, Brésil, Israël, Argentine, Paris, qu’est-ce que cela vous a apporté tous ses lieux ?

Il y a un trait-d’union dans tous ces lieux, c’est la musique. Cela m’a aidé à m’adapter, d’écouter les gens, chaque fois que j’arrive quelque part, je suis nouvelle, il faut donc tout refaire, cela m’a permis d’avoir une ouverture vers l’autre, au monde. Je suis venue en France par ce que je suis tombée amoureuse de ce pays, il m’a fait rêver. Il y a 25 ans ce n’était pas la même France qu’aujourd’hui,

Hélas

Hélas exactement, il y avait tout ce qui faisait rêver des jeunes comme moi, c’est pour cela que je suis venue ici,

Vous aviez fait le CNSDMP

Oui

Qui était vos professeurs ?

Michael Levinas, François Xavier Roth et Claire Levacher, puis j’ai été assistante de Kurt Masur

Cela devait être impressionnant d’être son assistante

Oui

Il devait être dur non ?

Pas avec nous les assistants. Ce qui l’énervait c’était quand les musiciens ne se sentaient pas concernés, cela le mettait hors de lui. Je l’ai vu des fois crier sur l’orchestre (elle imite Masur, rires) et bien cela marchait !

Les musiciens devaient avoir peur,

Je ne sais pas s’ils avaient peur, mais cela réveillait quelque chose,

Et vous c’est par la douceur que vous arrivez à obtenir ce que vous voulez ? Il faut de temps en temps les exciter ?

Ma génération est différente, le management a depuis beaucoup évolué, en cinq ans j’ai piqué deux colères et je sais que cela leur a fait du bien, mais je suis plutôt quelqu’un qui va jusqu’au bout, et si cela doit déborder ça débordera, sinon je garde mon calme.

© Alexandra-de-Laminne_

Et lorsqu’ils ont vu arriver une femme, comment ont-ils réagi ?

Ce qui a été étrange c’est qu’il y a eu la Covid pile en même temps, alors la société et l’orchestre n’étaient pas eux-mêmes, ce qui fait qu’il y a eu beaucoup de tension entre les musiciens, moi et les musiciens, entre la direction, tout le monde était contre tout le monde, on n’était pas nous-mêmes, avec la fin de la Covid petit à petit ça s’est apaisé, il y a eu des changements de direction, et aujourd’hui l’orchestre a une nouvelle ère.

À l’époque de Masur vous avez dû connaître Khatchatryan, inconnu en France, que vous avez aussi dirigé, qui a fait les magnifiques concertos pour violon de Chostakovitch avec l’ONF

Masur avait ce talent de repérer les jeunes artistes, par exemple Sarah Nemtanu qui est la première violon de l’ONF, elle avait 20 ans quand elle est arrivée. Il a dit à tout le monde, elle est extraordinaire et personne ne le croyait ! Il avait raison !

Elle est extraordinaire ! Vous l’avez dirigée

Oui elle est venue en Avignon comme soliste et aussi avec mon orchestre Idomeneo

Est-ce vous qui choisissait les œuvres pour la saison ?

Alors la direction artistique c’est moi mais seulement sur la saison symphonique, mais cet orchestre fait aussi de l’opéra et là c’est le directeur de l’opéra qui fait les choix. C’est Frédérique Roels. Pour les festivals on se consulte avec les directeurs, ici à Uzès avec Eric Denoues.

Aviez-vous déjà participé aux Nuits Musicales d’Uzès,

Oui c’est la troisième année,

Qu’aviez-vous joué ?

La Septienne de Beethoven, le concerto de Hummel et il y a deux ans avec Célia Oneto Bensaid, on a joué Marie Jaël, la troisième de Mendelssohn, il y a quatre ans un programme hispanisant avec guitare.

J’avais eu le plaisir de vous rencontrer lorsque vous aviez écrit le livre sur la symphonie de Sohy. Est-elle toujours votre cheval de bataille ?

Oui et je suis très heureuse de le dire, elle est devenue le cheval de bataille de beaucoup d’autres personnes, donc je ne suis plus la seule à la jouer, c’est une allemande qui l’a interprétée en Allemagne, en Suède c’est un français qui l’a jouée, en Espagne cela devait être une autre femme, mais comme elle est tombée malade du coup ils m’ont demandée de venir la remplacer, c’est trop drôle, du coup c’est devenu ma marque de fabrique ! je vise un peu l’année 2027, parce que cela sera l’anniversaire de la naissance de Sohi, 140 ans, je voudrais donner à tout cela un second souffle,

Est-ce que vous l’approchez toujours de la même façon ?

La dernière fois que je l’ai jouée, il y a donc un mois en Espagne pour ce remplacement, c’était un samedi soir pour le lundi matin, je n’ai donc pas eu le temps de la réviser,  mais c’est peut-être la pièce que je connais le mieux au monde, j’ai travaillé chaque note…

Il faut savoir que vous avez reconstitué chaque note de cette œuvre,

Exactement et je pense que j’ai beaucoup de chose à dire encore avec cette musique,

Vous a-t-elle ouverte des portes ?

Pas autant que je l’espérais, j’aimerais la jouer avec les plus grands orchestres, avec le National c’était bien, mais il y avait encore la Covid, la distanciation, les masques, c’était bien mais j’ai beaucoup évolué dans ma tête, cela serait encore mieux aujourd’hui.

Du coup vous avez fait un disque sur des compositrices

C’est avec la boîte à pépites et l’Avignon,

C’est un disque magique quand même

Il a eu beaucoup de prix et il a permis à l’orchestre de mieux se faire connaître

Pour un orchestre du 18ème siècle c’est quand même étonnant non ?

Oui c’est le plus vieil orchestre de France

C’est quand même formidable qu’il puisse exister encore

Il a failli disparaître, ils se sont battus ?

Pour la petite histoire comment vous ont-ils trouvée

Il y avait une annonce, j’ai présenté le concours et j’ai gagné…
Quel était le concours ?

C’était de présenter un projet artistique devant des politiques. C’était un projet culturel, il y avait deux musiciens, des personnalités qualifiés, il y avait la DRAC aussi, ce qu’ils voulaient c’était un vrai projet avec un lien et le territoire, je m’étais présentée plusieurs fois en France pour d’autres postes, je ne l’avais jamais eu et là j’ai réussi à l’avoir ! Ce qu’il faut savoir c’est qu’avant en tant que femme c’était impossible d’obtenir un tel poste. Il y a quinze ans je n’avais aucune possibilité de devenir cheffe d’orchestre, j’ai pu survivre jusqu’à la nomination d’Avignon, le monde a beaucoup changé !

Bon vous faites des études pour devenir cheffe d’orchestre, mais comment fait-on pour travailler avec un orchestre ?

J’ai eu des engagements à droite à gauche, je me suis accrochée, c’était un peu le désert, je n’avais pas le rythme que j’ai maintenant, au départ je pensais que je n’étais pas assez talentueuse, mais quand j’ai commencé ici à Avignon et qu’on m’a dit que j’étais la première femme à avoir un orchestre, j’ai compris que le talent n’était pas la vraie raison, à l’époque c’était impossible qu’une femme puisse avoir un tel poste !

Au départ quel était votre instrument ?

J’étais flûtiste

Avez-vous fait venir Pahud ici ?

Non je ne le connais pas encore (rires)

Cela ne doit pas être compliqué

Mais je ne vais plus rester à Avignon,

C’est votre dernière année

Jusqu’en 2026

Cela va être votre anniversaire, alors qu’est-ce que vous retenez de ces six ans en Avignon ?

Je retiens que l’orchestre a beaucoup avancé artistiquement, je pense qu’il a vraiment passé un cap, c’est ce que je voulais, il y a une plus grande écoute entre les musiciens et une confiance aussi.

Je vois que vous avez joué un concerto pour violon de la Britannique Guirne Creith qui date de 1936, où êtes-vous allé chercher cette composition

En fait c’est la violoniste  Geneviève Laurenceau qui m’a fait découvrir cette composition, c’était vraiment superbe.

Lorsqu’on lit les critiques élogieuses à votre égard on dit que vous êtes la précision même ! Qu’en pensez-vous ? Est-ce un compliment, un défaut ?

Ah oui ? Cela veut dire que je suis lisible, les gens arrivent à lire, ou voir, exactement où je veux aller et ce que je veux faire, c’est ce que j’essaye de faire au maximum, être la plus précise possible par rapport à la communication de mes idées.

Je viens de vous voir diriger quelques mesures des œuvres que vous allez diriger et à vous regarder on vous voit à la recherche de la minutie avec votre orchestre et même avec le pianiste.

En fait je cherche dans ces compositions hyper connues que les musiciens apportent cette énergie et cette rondeur que demande cette musique.

Vous avez dû faire un sacré travail avec les violons, on sait que ce n’est pas notre fort en France.

Je suis assez contente de ce qu’ils sont devenus, on a beaucoup travaillé, on a passé un cap.

D’où viennent-ils ?

La première clarinette vient du japon, la flûtiste de Corée, on a une violoniste chinoise,

Alexander Malofeef est-ce vous qui l’avez cherché ?

On me l’a proposé, demain on joue à la Roque-d’Anthéron, il a beaucoup d’énergie, une interprétation très envolée du concerto, pas du tout de ce que j’avais dans la tête, on avait prévu une séance de travail mais son avion avait du retard du coup il est arrivé directement à la répétition. Je me suis un peu adaptée à ce qu’il proposait par ce qu’on avait pas assez de temps. Du coup cela donne une fraîcheur différente, je n’ai jamais dirigé un concerto de cette façon, mais voilà ça décoiffe !(rire)

On sent pour le peu qu’il a joué pour les raccords qu’il décoiffe !

Oui, oui oui (rire), il a une aisance.

Vous arrivez quand même à vous retrouver ?

Je vais beaucoup dans son sens, pour qu’il soit à l’aise, je voulais qu’il me raconte une histoire, et quand elle est convaincante je le suis complétement, je suis à son service

Alors demain sera où ?

Un orchestre à l’étranger, je ne peux pas encore le dire

Tant pis pour moi, il faudra que je revienne. Question intime, la famille dans tout cela ?

Chaque enfant à ses activités, un en Bretagne, l’autre à la montagne, l’une avec sa tante, l’autre avec une amie que je vais rejoindre et mon mari fait un stage de flûte baroque !

Un prochain album ?

Je ne peux pas vous le révéler, mais le dernier c’est celui avec Karine Deshayes, Delphine Haidan et l’orchestre. Avec cette photo délirante car on n’a pas pu trouver un moment pour faire la photo toutes les trois ensemble ! (rires)

Les prochains concerts

Beaucoup d’opéras

Vous avez déjà dirigé de nombreux opéras

Je fais cela de plus en plus et je pense que c’est mon truc ! Parce que les voix me transportent, les chanteuses et les chanteurs sont des demi-dieux ! J’arrive à communiquer avec eux, à anticiper ce qu’ils veulent, je me sens très à l’aise.

J’ai fait Traviata, là je vais diriger Don Giovanni et dans deux ans Aida, je vais faire aussi Pagliaccii et Cavalleria Rusticana et à Bruxelles j’ai fait une création mondiale Bovary d’Harold Noben, la musique est magnifique. C’est Alain Altinoglu qui connaissait mon travail qui m’a appelée pour cela. C’est un univers tonal révolutionnaire, avec des passages mélodiques très beaux, on pleurait tous les soirs.

Vous êtes donc très demandée pour les opéras

Oui, à Marseille, en Espagne, à Metz, le symphonique et l’opéra me vont bien, si j’arrive à faire trois ou quatre opéras par an, même si c’est beaucoup de travail, j’adorerais ça, je les travaille avec passion je ne vois pas le temps passer !

Alors à l’année prochaine avec que de bonnes nouvelles !

Avec plaisir !

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