
Hervé Bougon, nous l’avons rencontré au cinéma Reflet Médicis à Paris pour la projection du film Below Sea Level de Gianfranco Rosi dans le cadre du festival Close-Up dont il est un des deux fondateurs. Ce dernier existe depuis cinq ans. Nous avions envie de mieux le connaître. Il a fait des études à la Sorbonne en histoire et géographie puis a fait des études de communication, mais son intérêt c’est le cinéma. Autour d’un café, on s’est entretenu juste avant la dernière séance du festival avec le film de Akihiro Hata, Grand Ciel (on en parlera à sa sortie). Alors…
Hervé que faisiez-vous avant 2012 ?
Question surprenante, alors il faut que je fasse un calcul, il y a 12, 13 ans j’étais encore dans une période entre deux, je n’avais pas complétement fait le choix de m’engager dans la culture, j’ai décidé à peu près à cette période-là de me lancer à cent pour cent dans le cinéma et donc je me suis mis en indépendant, j’ai arrêté mon activité à temps partiel que j’avais dans la communication pour SS2I, une entreprise qui travaille dans l’informatique, j’y ai appris beaucoup de choses. Il y avait un peu plus de douze ans, j’avais déjà travaillé pour des structures dans le cinéma, pas très solides, Émergence par exemple. Elle avait été créée par Elisabeth Depardieu, qui était un tremplin qui permettait à de jeunes réalisateurs de courts de réaliser leur long, une sorte de Sundance à la française. Elle n’existe plus aujourd’hui
Où était ce lieu ?
Les premières années c’était près d’Avignon, ensuite c’était au Centre National de Rugby dans l’Essonne à Linas et Marcoussis
Y-a-t-il eu des réalisateurs qui en sont sortis ?
Lafosse, Gibaja par exemple
Et qu’y faisiez-vous ?
Avec Thierry Jousse, je faisais de la programmation dans le cadre de cet événement. Il durait plusieurs semaines, nous animions des rencontres, j’étais plus précisément dans l’organisation. C’était un vrai moment de partage, il y avait des gens très expérimentés, comme Bruno Nuytten, le célèbre chef opérateur, réalisateur de Camille Claudel, donc pour répondre à votre question, pendant un certain temps c’était compliqué comme pour beaucoup de gens dans la culture, j’ai cumulé mes activités culturelles, j’ai même commencé Close-Up, avant cela s’appelait Ville et Cinéma, à Nantes puis à Paris, mais on n’avait pas d’argent,

Vous aviez donc déjà à l’époque ce projet en tête
Cela fait bien treize ans qu’on réfléchissait sur cette thématique avec Aldo Bearzallo, le cofondateur ; on s’était connu à la Sorbonne ; j’avais donc une activité rémunératrice et puis des projets que j’ai initiés.
C’était donc organiser des Festivals qui vous intéressez
Travailler dans le cinéma c’était mon objectif, faire des Festivals c’est venu bien plus tard.
Petit à petit, monter des événements, trouver des partenaires, faire de la programmation, de faire travailler des gens ensemble, faire de la médiation, ça m’a intéressé. Lorsque vous lancez des projets il faut faire le job vous n’avez pas le choix même si cela vous emmerde et qu’il y a des tâches ingrates. Il faut que chaque année dans ce que je monte je dois être capable de me renouveler.
En somme vous êtes un type heureux ?
Oui, je suis heureux dans tous les projets que j’entreprends. J’ai bien sûr Close-Up mais j’ai aussi un festival à Lausanne, je vais en monter un à Genève, j’ai le War on Screen à Châlons-en Champagne, j’ai plein plein de projets partout, je me lève tous les matins avec un enthousiasme débordant, j’amène mes enfants à l’école et c’est parti…
Gagnez-vous correctement votre vie ?
Oui et je vis avec une dame qui gagne bien sa vie
Que fait-elle ?
Elle travaille dans la banque, aujourd’hui je n’ai pas de problème matériel, en plus je suis heureux dans le travail que je fais, mais on n’est loin de Close-Up tout ce que je vous dis ?
Close-Up vous n’arrêtez-pas d’en parler en ce moment, il n’y a qu’à aller sur le site, lire toutes les entretiens qui sont faits, assister à une projection pour connaître ce festival mais qui sans Audrey Grimaud Agence Valeur Absolue votre attachée de presse, nous ne l’aurions pas connu ! Ce qui nous intéresse c’est qui est cet Hervé Bougon, cet homme pressé ! (rires)
Ce que je peux vous dire c’est que j’aime mon métier, mais vraiment. Évidemment il y a des trucs ingrats qu’il faut faire, mais la cuisine c’est nécessaire…Á Paris on a Close-Up, à Lausanne on a Écrans Urbains, un festival plus petit que Close Up mais génial, depuis plusieurs années avec la cinémathèque suisse, le musée cantonal des beaux-arts, il est fin février après Berlin, War on Screen qui a douze ans d’existence , le seul en Europe sur la représentation des conflits dans le cinéma, je m’occupe de la compétition longs-métrages, documentaires et fictions, je vais à Berlin, Cannes, le cinéma du réel, les trois continents à Nantes ou d’autres festivals, on m’envoie des liens, on m’invite à des séances de presse, je vois beaucoup, beaucoup de films par an, pour sélectionner pour les festivals.

Le festival War on Screen à Châlons ce n’est pas un hasard je suppose ?
Non bien sûr, la région est un territoire qui a été meurtri par les deux guerres mondiales, d’où la légitimité de ce festival là-bas. Il s’est installé dans une salle nationale, il y a une grande salle de cinéma. Le festival se déploie sur six ou sept lieux pendant une semaine avec 90 films, depuis deux ou trois ans on fait 20, 25 milles spectateurs par édition ! On fait des séances scolaires.
Y-a-t-il des spécialistes des guerres qui viennent ?
Ce n’est pas un festival d’histoire, c’est un festival de cinéma mais il y a quelques historiens qui peuvent venir effectivement, on invite essentiellement des cinéastes, quelques universitaires, mais c’est un festival qui met en avant le travail des cinéastes, c’est la dimension artistique qui prime. Bon quand on parle de Gaza, de l’Ukraine ou de la première mondiale, on parle d’histoire, mais ce n’est pas comme le festival de Blois. Filmer la guerre c’est un acte artistique mais aussi politique, je vois beaucoup de films sur Gaza, sur l‘Ukraine depuis quelques années sur d’autres conflits, filmer Gaza ou l’Ukraine alors que les conflits ne sont pas terminés, il y a un vrai sujets de position en fait, de regard, de la distance.
Ce n’est pas de la fiction ?
Non cela peut-être de la fiction, bon il y a un peu plus de documentaires mais il y a aussi des fictions, c’est intéressant parce que c’est la première fois dans l’histoire que beaucoup de cinéaste s’emparent de caméra pour réaliser des films, pour figer la réalité sur pellicule alors que les conflits sont en cours, c’est compliqué pour un cinéaste…
Il y a d’autres conflits dans le monde, la RDC, le Soudan, le Yemen..mais on n’en parle pratiquement pas au cinéma
Cela fait dix ans que je travaille pour ce festival et ces conflits ne sont pas aussi présentés chez nous et War Screen a pour vocation d’en parler, à condition qu’ils soient de bonne qualité. Sur le Soudan on en a vu plusieurs, conflits que les gens ignorent totalement, on a passé un film sur la question des Rohingyas, la plupart des spectateurs ne savaient pas qui était les Rohingyas, War Screen est un bon moyen, surtout aux jeunes publics pour leur raconter qu’il existe une communauté musulmane en Asie du sud-est qui se fait sérieusement martyriser. On travaille là-dessus.
Si j’ai bien compris vous avez envie de faire d’autres festivals
Pour l’instant nous en avons trois, il se trouve que nous avons monté un petit Close-Up à Récife au Brésil, un one shot avec l’Institut français, nous avons plein d’autres projets en fait, Close-Up c’est un gros festival qui nous prend beaucoup de temps et d’énergie,

Ah vous arrivez à nous remettre sur les rails de Close-Up
Je suis malin, on en reparle (rires)
Bon allons-y après cinq ans on peut en tirer des statistiques, faire un bilan
On en fait chaque année, il est plutôt installé, mais comme tout festival il reste fragile, je suis à la fois confiant et prudent. Il y a des enjeux financiers, la situation de notre pays n’est pas bonne, on n’a pas d’argent nous dit-on, la culture est fragilisée, ce n’est pas la faute de notre ministre, l’argent public se tari ! Il faut donc trouver des solutions,
Combien de personnes travaillent sur le festival
Une dizaine, tout le monde est payé, par contre on est tous indépendants, on est rémunéré sur des missions ponctuelles, Aldo et moi c’est un peu différent, parce qu’on est les piliers, nous bossons toute l’année, mais on n’a d’autres activités comme je viens d’en parler, on ne sait pas à quelle sauce on va être mangé l’année prochaine, comme chaque année d’ailleurs, il faut solliciter du mécénat privé, il faut trouver l’équilibre entre les deux, la difficulté c’est de maintenir le budget à l’équilibre
Il est de combien ?
Deux cents mille euros, c’est à la fois beaucoup et pas beaucoup, vous avez vu que l’on propose un beau programme, mais pour l’année prochaine il va falloir se battre pour consolider, maintenir les financements, et d’aller chercher de l’argent en plus car il y a plein d’autres choses à faire.
Je suppose que vous êtes déjà en 2026 ?
Oui j’ai déjà depuis quelques mois la tête en 2026, mais la programmation ne pourra se faire que si on a consolidé le budget, le but c’est de rester à ce niveau-là, voire de se développer encore plus
Le public vous suit-il ?
Il est présent sur cette cinquième édition, on a 80 % des séances où on est content, donc 20 qui sont plus faibles, c’est le lot de tous les festivals, il y a des salles, des lieux, où il est plus compliqué d’aller chercher du public, parce que les gens sortent moins, que les propositions sont plus pointues, peut-être aussi que la communication n’a pas été suffisante, il y a de nombreux facteurs qui font qu’à certains endroits, le dynamisme de ceux qui dirigent ces salles n’est pas là, On a fait des salles pleines à la cité de l’architecture, dans les médiathèques, dans les écoles d’archi, à la maison de l’architecture, dans quelques salles en banlieue, mais il y a aussi des salles qui n’ont pas été fréquentées, ce n’est pas grave, on va y remédier, tous les festivals ont des difficultés, la spécificité de Close-Up c’est d’avoir autant de lieux !
Est-ce que les gens comprennent la signification de Close-Up ?
Je pense que les gens ont compris les intentions de ce festival tant sur les enjeux esthétiques…
Moi je ne vous connaissais pas,
C’est normal on n’a que cinq ans
Close-Up ça m’avait fait penser à la photo
Le titre vous voulez dire,
Oui
Si vous lisez que le titre, forcément vous ne comprenez pas, il faut lire la basse line,
Qui a eu l’idée de ce titre ?
C’est moi qui l’ai choisi ; pour plusieurs raisons,
Close up, c’est faire un gros plan
C’est un zoom, sur la question de la ville, l’environnement urbain, l’architecture etc etc
Ça ne saute pas tout de suite aux yeux, l’année prochaine vous allez faire un close up sur quelqu’un, comme vous l’avez fait avec Rosi
Il est trop tôt pour que je vous le dévoile, cela dépend de l’actualité, de nos envies, des avant-premières, il y a plein de facteurs qui orientent notre programmation,
Il y a sûrement un cinéaste que vous aimeriez avoir
Oui Michael Mann
Heat, Miami Vice, Collateral, c’est tout à fait dans votre optique,
On a fait la première édition sur lui, il est un des plus grands cinéastes de la ville, je suis fasciné par ce cinéaste, on n’avait pas réussi à le faire venir, par contre on avait eu une interview, L’année dernière on a fait venir Kleber Mendonça Filho réalisateur brésilien qu’on aime beaucoup, on aimerait faire venir Wim Wenders, il avait un peu disparu, c’était un grand dans les années 80/90, c’est quelqu’un qui a une formation d’architecte, un passionné des villes, mais il a une grosse activité, c’est un vrai sujet pour faire venir des gens. On est encore entre-deux, on essaye de faire de belles choses
Il faut faire venir le réalisateur Kazakh Adilkan Yerzhanov le paysage est important dans son cinéma. C’est un grand cinéaste qui est très apprécié par le Festival de l’Étrange.
Je ne le connais pas, on va regarder
Vos partenaires, le public vous apprécient, le ministère de la culture à la soirée d’ouverture a dit tout le bien qu’il pense de votre festival
Oui tout le monde le trouve super, il y a des spectateurs qui sont impressionnés par la qualité du programme, mais la situation est telle qu’on doit rester prudent.
Êtes-vous présents dans toutes les manifestations ?
On essaye d’être le plus présent possible, on est une petite équipe, on n’a pas le don d’ubiquité, ce matin j’étais à Juvisy pour une séance scolaire
Et donc ?
Ça se passe bien et pas bien, il y a un vrai engouement d’enseignants, en revange à cause de la dotation du passe culture qui a baissé au dernier semestre 2025, on en a été victime et cette année on a eu une dizaine de séances qui ont été annulées, les établissements scolaires n’avaient plus d’argent pour emmener leurs élèves dans les séances Close-Up, on a perdu environ 1000 scolaires ! Cette année on va faire 7000 spectateurs, mieux que l’année dernière, alors qu’on a eu cet handicap!
Vous-a-t-on demandé de faire le festival en région ?
On a eu ce genre de demande, Vinci notre partenaire nous incite à le faire, on n’a pas les capacités financières pour le faire, il faudrait un million d’euros de budget. On fait des choses avec d’autres structures à Nantes, à Lyon, on est en train de participer à Aix en Provence sur Images de villes. On va monter avec Thierry Jousse un projet d’encyclopédie numérique donc en ligne sur la ville au cinéma, c’est de proposer une plateforme de contenus gratuitement en ligne sur la thématique de la ville au cinéma avec plein d’entrées comme Marseille au cinéma, Tokyo au cinéma, un texte sur les cinéastes en rapport avec la ville, Wenders, Carpenter
Avez-vous fait quelque chose avec Carpenter ?
On pourrait, j’adore ce cinéaste, mais de le faire venir à Paris c’est compliqué, il a plus de succès aujourd’hui que pendant qu’il faisait ses films, il serait parfait pour le festival, son cinéma est très politique.
Le cinéma français ne sait pas trop intéressé à votre thématique
Il y a quelques films mais un cinéaste qui a une filmographie importante sur le sujet, il n’y en n’a pas, je suis plus fan du cinéma américain, Close-Up est inépuisable, c’est une thématique qui est tellement riche que j’espère qu’on va pouvoir s’amuser pendant pas mal de temps…
Je vous le souhaite, allez on va à la séance de fermeture, la clossing session !










