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 [ENTRETIEN] : JÉRÔME LEMMONIER, un pianiste pour l’image

C’est dans son studio du côté de la Bastille que Jérôme Lemmonier nous a reçu aimablement et a répondu à nos questions tout en avalant rapidement une salade car le temps lui était compté : dans quinze jours sa dernière composition doit être prête ! Un film pour Cannes ? Le livre jaune derrière lui est la partition de Pelléas et Mélisande, une source d’inspiration pour ses compositions, comme toute la musique de cette époque.

D’où vient cette présence très importante du piano dans pratiquement toutes vos compositions pour l’image?

Je dirais que c’est la juxtaposition de deux raisons assez indépendantes. La première est que je suis pianiste, c’est mon instrument naturel ; et la deuxième est que les films sur lesquels j’ai travaillés sont majoritairement l’œuvre d’un réalisateur qui s’appelle Denis Dercourt qui lui, indépendamment de moi, utilise des pianos dans ses films. Il accorde à cet instrument une place prépondérante, même structurelle, puisqu’il est souvent présent physiquement et que les acteurs ou actrices en jouent. D’où la valorisation du piano dans mes musiques.

Avec ce réalisateur vous êtes en couple depuis la . C’était la première fois qu’il utilisait de la musique originale, car ses précédents films utilisaient de la musique de répertoire. Comment vous a-t-il rencontré ?

Par une circonstance tout à fait particulière. Il se trouve que nous sommes parrains de deux enfants d’un couple ami, sans se connaître au départ. On se retrouvait ainsi autour de repas. A un moment il y a eu un film expérimental en cours et on a ainsi fait connaissance avant de participer sur la Tourneuse de Pages.

Film pour lequel vous avez été nommé au César 2007  !

C’était ma première musique de film et c’est vrai que l’environnement de ce film était particulièrement favorable pour un compositeur. L’histoire, le réalisateur qui est musicien, une actrice très concernée… Du coup j’étais happé par toute cette ambiance du film !

Vouliez-vous au départ, après vos études classiques, composer pour le cinéma ?

J’avais envie de composer ce genre de musique mais paradoxalement je ne me donnais pas les moyens pour m’en approcher. Il n’y avait pas une démarche volontariste de ma part. Du coup, la musique de film s’est faite attendre.

Étiez-vous interprète ?

Non, j’écrivais de la musique mais pour d’autres supports comme le théâtre, la chanson, le documentaire ; des habillages d’émissions mais pas de fiction.

Le théâtre n’a-t-il pas des rapports avec la musique à l’image ?

C’est une bonne école mais la grande différence est que c’est une musique vivante en ce sens qu’elle renaît tous les soirs, alors que la musique pour l’image est enregistrée, figée par rapport à une séquence filmée. Et puis les moyens financiers ne sont pas les mêmes. Ils sont très faibles. Il faut beaucoup d’énergie, de temps, de disponibilité.

Lorsqu’on écoute vos musiques on ne sent pas de filiation, d’influence évidente par rapport à des compositeurs de musique de film ?

La filiation est effectivement plus dans la musique à programme, même dans la variété. Mais je suis très sensible à des compositeurs de musique comme Gabriel Yared, Bruno Coulais, ou certaines musiques de Desplat.

Je pense plus à des compositeurs fin XIXème début du XXème…

Oui bien sûr des gens comme Fauré, D’Indy mais aussi Bach !

Bach est souvent cité dans les films de Dercourt

Oui il est partout, c’est notre maître à tous !

En 2015 vous avez composé pour deux longs-métrages

Oui, La Volante de Christophe Ali et Nicolas Bonilauri, et En Equilibre de Dercourt. Et j’en ai fait un troisième Mobile Étoile de Raphaël Nadjari, qui sortira en avril.

Par rapport à ces films on est dans un univers musical très différent de ce que vous aviez composé, même avec le film de Dercout !

Pour La Volante je ne connaissais pas les compositeurs, et le film En Equilibre, de par sa construction, n’est pas dans la même veine que les précédents.

C’est un film plus solaire

Oui plus d’extérieur, alors que les films précédents sont plus sombres, destructeurs…

On oublie qu’on est dans un film de Dercourt avec une musique de Lemonnier…

Oui il a fallu plusieurs films pour en arriver là !

Êtes-vous toujours au piano dans les enregistrements ?

En général oui, mais dans En Equilibre, je n’avais plus les doigts pour jouer la 12eme Étude transcendante de Liszt. C’est Vincent Adragna qui s’en est chargé !

Mais ne vous demande-t-il pas toujours le même style de musique ?

Oui il y a une couleur qu’il aime bien et que l’on retrouve à travers ses films. C’est comme un peintre; ce sont toujours les mêmes obsessions, travaillées différemment, éclairées différemment, racontées différemment …

Dans La Chair de Ma Chair, le piano est extrêmement important !

Ce n’est que cela. Parfois c’est guidé par des considérations qui sont d’ordre matériel. Là on était dans une économie nulle, volontairement assumée, et du coup cela excluait toute possibilité instrumentale. On peut s’en sentir prisonnier à certains moments et avec le recul cela donne une cohérence qu’il ne faut bien sûr pas éterniser, mais qui a besoin de temps pour s’affirmer.

Parlez moi de La Volante : ils sont venus vous chercher à cause du climat à le Dercourt ?

Oui il y a un climat similaire : la notion de vengeance, de perfidie, de perversité, de manipulation. En fait la production ne voulait pas que je travaille sur le film parce que le producteur est le frère de Dercourt ! Lui, sagement, ne voulait pas m’appeler. Sauf qu’ils ont fait quelques essais qui ne les ont pas satisfaits. Et du coup les réalisateurs ont dit pourquoi pas Lemonnier ! Je ne voulais pas faire du Dercourt tout en restant dans les codes du genre.

Il y a un film que j’apprécie énormément c’est Demain dès l’Aube ! Comment avez-vous travaillé sur la musique ?

Je me mettais dans le point de vue de Vincent Perez : il est perdu, il y a une sorte d’exaltation de son frère, c’est un film très romantique, la musique est très épique…

Vous avez aussi composé la musique d’Au Delà des Cimes ?

Oui c’est un documentaire somptueux de Remy Tezier avec Catherine Destivelle, sur sa passion de la montagne, avec une musique très contemplative. Il passe beaucoup dans les écoles, dans les festivals sur la montagne, les nuits de la glisse…. Remy a l’idée formidable de toujours mettre de la musique originale sur ses documentaires et j’ai la chance de l’accompagner !

Comment faites-vous pour composer ? Vous cherchez des thèmes au piano ?

Il n’y a pas de règle. Pour tout ce qui émergence d’idées, de rythmes, le piano est souvent là ; mais il y a un grand danger avec son instrument ou avec l’ordinateur car on joue ce qu’on sait jouer. C’est presque les doigts qui commandent, on est un peu prisonnier de son instrument. Par contre sur la table, le travail abstrait, en dehors du contact de l’instrument, fait émerger des idées plus structurelles, plus pensées. C’est un mélange des deux en fait : le piano est le cœur et la table un exercice plus rigoureux.

Vous faites vous-même les arrangements ?

Oui, oui, avec le crayon et le papier, à l’ancienne. Les ordinateurs servent après. On a l’impression qu’avec le papier c’est plus lent mais ce n’est qu’une impression.

Ce travail vous l’avez appris au conservatoire, je suppose ?

Oui rue de Madrid. Je n’ai pas connu le nouveau conservatoire. J’ai fait les classes de contrepoint, de fugue, d’orchestration…avec des pointures.

Et la variété, vous l’avez pratiquée tout de suite ?

Juste à la sortie du conservatoire, je suis entré dans un groupe de rock, le lendemain de mon prix de fugue ! J’ai toujours apprécié la pop anglo-saxonne. A mon époque c’était Pink Floyd, David Bowie, la fin de Beatles. Je viens d’une famille de mélomanes qui aimaient la chanson française. J’ai été baigné dans ce style de musique, donc j’ai toujours apprécié la mélodie, la langue française dans les chansons.

Vous aimez écrire des thème et variations

Oui j’aime bien. Si je n’avais pas écrit de la musique de film j’aurais aimé écrire des chansons.

Étiez-vous cinéphile ?

J’allais au cinéma mais sans plus, mais j’écoutais beaucoup de musique de films.

Vous vous souvenez du premier vinyle que vous avez acheté ?

C’était Le Serpent, musique de Morricone, c’était un 45tours. J’avais aussi Sacco et Vanzetti, Il Était une Fois la Révolution

Vous parlez de Morricone qui a une grande culture musicale et qui a été le premier à mettre dans ses musiques des instruments étranges et des sons très particuliers, à salir ses musiques. Cela ne vous a jamais tenté de le faire ? Vos musiques sont très limpides…

Les musiques de Morricone sont pourtant assez simples à écouter. Oui je pense que j’y viendrai.

Une de vos dernières compositions est pour le film de Raphaël Nadjari, Mobile Étoile. Comment vous-a-t-il connu ?

Il se trouve que le producteur de La Chair de Ma Chair est le producteur de Mobile Étoile. Je suis arrivé sur le tard car le travail avait été commencé par un autre compositeur et du coup j’ai repris le travail; et nous nous sommes très bien entendus avec le réalisateur. Le film est un film sur la musique. J’ai tout écrit avant le tournage et ces musiques ont été interprétées par les acteurs. Le film a été monté en fonction des musiques. Ce sont des petites chorales où la musique est au centre de leur vie, ils font des concerts, ils galèrent pour trouver des subventions. C’est quasi documentaire, le matériel musical est dans le style de Fauré, Poulenc, Milhaud. Je connais assez bien la musique française en général. C’étaient des retrouvailles avec une grammaire musicale que j’avais côtoyée de près dans l’écriture.

Vous travaillez actuellement sur un nouveau film. Pouvez-vous nous en parler ?

C’est un film d’Emmanuel Courcol, Cessez le Feu. C’est son premier film. Il est plus connu comme scénariste de Philippe Lioret. La musique d’orchestre est très éloignée de l’ambiance des films de Dercourt. C’est une histoire qui se passe en 1925, après la guerre, en France et en Afrique, et qui parle de la difficulté à se retrouver soi-même après les années passées au front. On enregistrera en Belgique pour des raisons de production. Le piano est moins présent ! C’est un très beau film avec Romain Duris. On le verra peut–être à Cannes. Dans tous les cas en septembre.

Bonne composition alors !

 

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