Dans la superbe Abbaye Royale cistercienne de l’Epau, dans la Sarthe, depuis 35 ans, sont organisés des concerts de musiques, en général classique ; mais le blues, le jazz ont le droit de cité, et même l’humour. C’est Marianne Gaussiat qui est en charge de la direction artistique.
Gaspard Proust, le 16 mai, avec son humour décalé, dévastateur, a présenté son spectacle « Je n’aime pas le classique mais avec Gaspard Proust j’aime bien ». On peut ne pas apprécier certaines de ses interventions, mais Eric Le Sage au piano, Fouchenneret et Pascal au violon, Salque au violoncelle, Gruneissen à la flûte, Adam à la clarinette, on ne peut qu’adorer. Les œuvres choisies sont très connues (Pavane de Fauré, extraits du Trio op.100 de Schubert, du quatuor n°16 de Beethoven, du quatuor n°8 de Chostakovitch…), de magnifiques transcriptions pour ce sextuor, de Daphnis et Chloé de Ravel, de l’allegro de la symphonie n°5 de Beethoven.
Fleur Gruneissen à la flûte et Marian Adam à la clarinette nous ont impressionnées dans un arrangement du scherzo du « Songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn, arrangement de Joseph-Henri Altès, flûtiste à l’Opéra de Paris au XIXème siècle et compositeur. Marian Adam, dans la romance de la Sonate pour clarinette et piano de Poulenc a conquis le public. Eric Le Sage, ce magnifique pianiste, a joué une transcription de la « Mort d’Isolde » à la perfection. Puis tout ce petit monde a traversé sous la pluie les jardins de l’Abbaye où sont exposées des photos singulières de George Pacheco au sein d’un lycée agricole, pour rejoindre une grande tente, « Magic Miror ». Là, Vincent Peirani à l’accordéon et François Salque au violoncelle ont improvisé, pour cet »after », sur des thèmes traditionnels d’Europe centrale : un concert original offert par deux artistes bourrés de talent.
François Salque et Vincent Peirani
La découverte c’est le lendemain 18 mai, à 12h30, dans un salon de la préfecture que nous l’avons faite. Julien Martineau, à la mandoline, a offert un concert époustouflant : non pas uniquement de dextérité, mais des sonorités incroyables, des interprétations sensibles, en jouant des œuvres de Raffaele Calace et des transcriptions de Bach, de Brahms.
Musicien rare, après son récital, il a accepté de parler de son amour pour la mandoline et comment il est devenu le champion de cet instrument.
Julien Martineau
Comment tombe-t-on, quand on est môme, sur cet instrument peu courant ? c’est après mûres réflexions ?
C’est vraiment un hasard ! C’est lié à mon grand-père qui avait un ami professeur de mandoline, et je me suis trouvé au cours préparatoire dans la classe de la maîtresse dudit professeur !
Et vous êtes tombé amoureux de la maîtresse ?
Pas du tout, elle proposa à ma mère qui connaissait ce fameux professeur, que je fasse un peu de musique, pour me déstresser…
Où cela se passait-il ?
A Argenteuil ! Il y avait une classe de mandoline au conservatoire depuis les années 70. C’était très naturel, j’ai fait de la mandoline et je ne me suis rendu compte que c’était un instrument bizarre que vers 14-15 ans ! J’ai quand même continué cet instrument en amateur passionné. Je n’étais pas parti pour faire une carrière dans la musique. J’étais en seconde au Lycée Condorcet à Paris et j’avais un ami qui a monté un orchestre, il m’a demandé de venir jouer un petit peu. A la même époque on m’a proposé de venir jouer à l’Opéra de Paris : ils avaient besoin de mandolines. J’ai joué ainsi avec mon ancien professeur, et ce pendant trois ou quatre ans !
La mandoline est très présente dans les opéras ?
C’était plutôt pour le ballet « Roméo et Juliette » de Prokofiev. Mais on en trouve aussi dans Grétry, Haendel, et dans la fameuse sérénade de Don Giovanni de Mozart…
Le cliché de la mandoline, c’est la sérénade !
C’est un peu le cliché…
Pour draguer, ça marche autant que la guitare auprès des filles ?
Non ça n’a pas été le cas ! Ma femme joue de la mandoline en amateur, elle est prof de lettres classiques ! Par contre, d’avoir joué à l’Opéra avec l’orchestre, cela m’a donné envie d’en faire mon métier.
Vous aviez quel âge ?
16 ans !
Ah quand même !
C’était pas mal. Tout d’un coup j’ai vu qu’il y avait un truc à faire et en terminale j’ai dit à mes parents que je voulais en faire mon métier !
Qui dit mandoline, dit Vivaldi et bien sûr ses concertos !
Oui ce sont de très beaux clichés ! Il y en a deux pour mandoline seule et un avec deux mandolines.
On se souvient des versions de I Musici…
Et de Claudio Scimone avec I Solisti Veneti. Mais au-delà de ces concertos, il y a un répertoire important. J’avoue que quand j’écoutais ces disques – j’étais en terminale -, je trouvais que je jouais aussi bien que ces interprètes ! Face à moi il y avait un boulevard et en travaillant sérieusement, il n’y avait aucune raison que cela ne marche pas…
Et le répertoire ?
Il y a un répertoire important et méconnu…Il y a aussi de nombreuses adaptations, de Bach à Piazzolla…
Mais pour gagner sa vie, n’est-ce pas plus compliqué avec un tel instrument ?
Pour faire plaisir à mes parents, j’ai continué des études. J’ai fait musicologie à la Sorbonne, ce qui m’a ouvert l’esprit. Mon DEA était sur Raffaele Calace (1863-1934).
Vous connaissiez ses œuvres ?
Oui, car ses partitions avaient été retrouvées fin des années 70 début années 80 par un moine japonais. Le répertoire italien existait et il y a énormément d’œuvres pour mandoline. Et il existe de nombreux compositeurs-mandolinistes aujourd’hui. Beethoven et Hummel ont écrit pour mandoline. Hummel trouvait tellement beau son concerto qu’il en a fait une transcription pour piano, pour qu’il soit joué plus souvent! Il y a des petits chefs-d’œuvres, il faut les faire découvrir !
Vous avez enregistré les préludes de Calace. Pouvez-vous nous en parler ?
A la lecture de la partition on s’aperçoit de la complexité de l’écriture. C’est du même acabit que les études de Ernst pour le violon. Lorsqu’elles sont bien jouées on a l’impression que c’est simple, mais à la lecture on découvre les difficultés ! Les préludes de Calace c’est pareil ! Le tremolo sur trois cordes pour avoir quelque chose de lisse, c’est très compliqué et si on joue léger on perd le médiator ! On retrouve cela avec les caprices de Paganini !
L’origine de cet instrument ?
C’est le bassin méditerranéen mais surtout Naples. Les collections de manuscrits d’Uppsala possèdent énormément de concertos napolitains…
Comment fait-on pour se faire connaître ? Avoir un bon agent ?
Lorsqu’on se présente en tant que mandoliniste cela ne fait pas sérieux ! Il faut être humble ! Le nombre de quolibets que l’on peut recevoir : un mandoliniste ce n’est qu’un saltimbanque ! Il faut convaincre, jouer…La bascule s’est faite il y a cinq, six ans, et depuis ça augmente en puissance…!
Est-ce plus facile de se vendre en trio, quatuor, ou seul ?
Non c’est le programme. En solo, c’est difficile, c’est comme pour le violon. Le programme en trio que je viens d’enregistrer pour Naïve est un programme hyper grand public, mais avec des œuvres très pointues…Bach, cela marche très bien, Piazzolla pas toujours ; mais dans le disque « Histoire du Tango », cela a un côté un peu canaille, populaire. La mandoline est comme le bandonéon, il y a de la nostalgie que l’on n’a pas forcément avec l’accordéon.
On est très impressionné par l’exigence de virtuosité
Pour convaincre le gens, j’ai dû prouver que je n’étais pas un nième mandoliniste virtuose. Des acrobates il y en a en Russie par exemple. Il y a chez eux un côté »patinage artistique », note technique 10/10, artistique pas terrible ! On a l’impression que c’est un sport. Ma difficulté c’était de montrer que je n’étais pas simplement un acrobate, mais que j’interprétais de la musique.
Vous êtes depuis 12 ans professeur à Toulouse. Y-a-t-il des jeunes qui, comme vous, sont fascinés par cet instrument ?
J’ai créé cette classe au conservatoire, et des jeunes de six, sept ans voient dans la liste des instruments : mandoline, et ils s’inscrivent. Mais c’est bien plus tard vers 14,15 ans qu’ils s’aperçoivent, comme moi, que c’est bizarre d’avoir choisi cette instrument !
Et on peut ensuite jouer de la guitare ou d’autres instruments à cordes qui lui ressemblent ?
En fait, l’instrument le plus proche c’est le violon !
Comment avez-vous rencontré Karol Beffa ?
J’avais plusieurs amis qui le connaissaient. Je l’ai rencontré, il m’a entendu, on a déchiffré des œuvres et il y a eu une idée de commande pour un concerto pour mandoline et violon avec Geneviève Laurenceau. En fait, cela s’est transformé en concerto pour mandoline…
Vous avez joué de nombreux concertos peu connus…
Oui, le Deuxième de Calace, avec l’orchestre de chambre de Toulouse. Il n’y avait pas d’orchestration de cette pièce, c’est vraiment le concerto d’Aranjuez de la mandoline !
A quand l’enregistrement ?
On est en train d’organiser l’enregistrement mais c’est encore top secret ! Il y aura d’autres concertos dont les manuscrits d’Uppsala.
Et qui dirigera ?
Un italien …joker ; il y a un concert prévu avec l’orchestre de Bordeaux avec Thibault Cauvin guitariste dans l’Aranjuez et moi dans le Calace.
Vous nous avez mis l’eau à la bouche, on est très excité de vous entendre bientôt avec un grand orchestre, merci Julien…
Pour en savoir plus sur Julien Martineau : http://www.julienmartineau.com/