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[ENTRETIEN] : OLIVIER CALMEL – L’ÉTRANGER?

OLIVIER CALMEL 

©Olivier Calmel

Nos chemins se sont souvent croisés et dans des lieux aussi divers que le Grand Rex où une soirée offerte par l’UCMF me fit découvrir une de ses compositions pour un film – l’Art des Thanatier  qu’à l’église arménienne rue d’Ulm à Paris, où un jeune orchestre – l’Ensemble Nouvelles Portées – avec deux jeunes chefs – Marc Hajjar et Victor Jacob – jouait en première mondiale une de ses œuvres – Reflets d’Enfance- Le Petit Livre des Premières Fois – Poème symphonique – où l’influence de John Williams se faisait sentir, qu’à l’Auditorium de Radio France où un ensemble de chœurs a interprété Ecce Paris, Ecce Homo, là aussi une création mondiale, qu’à Gaveau où il était venu écouter son ami, Xavier Phillips dans Offenbach, violoncelliste d’exception, avec qui il joue dans son groupe Double Celli. Sa musique évidente à la première écoute m’a donné envie de mieux connaître cet homme affable, la quarantaine et d’humeur égale, enfin presque…Autour d’une bonne viande, les dents bien acérées, il s’est lâché, juste après le déconfinement…

Quel livre pourrait vous définir ?

L’Étranger !

Le livre écrit par Camus ?

Oui de Camus

Pourquoi ? Vous avez envie de tuer quelqu’un sans raison apparente ? 

Non je me sens comme le héros du roman, souvent en décalage

Inadapté dans le monde de la musique, dans le monde en général ?

Le musicien est déjà inadapté au monde et aujourd’hui encore plus. Il est plus basé sur le paraître et un peu moins sur les choses essentielles, concrètes, artisanales, en un mot plus simple. On est dans une société du paraître et je me sens décalé par rapport à cette société.

Vous sentez-vous un peu borderline ?

Non pas borderline, pas en adéquation. Je n’approuve pas la société du spectacle et du paraître permanent et je trouve que même dans le domaine musicale, on a de plus en plus tendance à attacher beaucoup d’importance au paraître, et on fait fi du temps de l’analyse sur des choses concrètes, on porte des jugements souvent à la va vite. Nos illustres prédécesseurs portaient des jugements, parfois très virulents, mais rarement sans argumentaire, rarement gratuit.

Sans les citer, il fallait entrer dans leurs grilles de conception non ?

Bien sûr, mais ils avaient des arguments, pour certains je les réfute, mais cela n’empêche pas qu’ils étaient de grands artisans. Aujourd’hui on a tendance à s’attacher un peu trop à ce qui semble être et finalement on parle de moins en moins de musique, de choses plus concrètes, précises, même entre nous compositeurs.

Y a-t-il des compositeurs contemporains que vous appréciez ?

Il y en a pas mal, Camille Pépin, par exemple, j’aime beaucoup sa musique, Philippe Hersant, Benoit Menut, Vincent Touchard, Aurélien Dumont, et tant d’autres, Maxime Aulio écrit de très belles choses pour des orchestres à vent, d’harmonie.

Guillaume Connesson a été un de vos professeurs, vous l’appréciez je suppose ?

C’est une personne qui a une extrême connaissance de l’orchestre, fine, intelligente, même ceux qui le détestent, ne peuvent pas lui retirer cela ; il y a quelque chose d’incroyable dans sa musique, c’est la vitalité rythmique et j’y suis très sensible, je la trouve encore plus essentielle dans sa musique de chambre.

Vous a-t-il inspiré ?

Guillaume ne m’a pas véritablement influencé sur ma manière d’écrire, il m’a fait connaître l’écriture orchestrale c’est évident, c’est un très grand professeur d’orchestration, mais l’orchestration c’est un domaine artisanal et Guillaume a cette grande intelligence de ne pas faire interagir ses goûts dans l’apprentissage de l’orchestration, ce qui fait que ses élèves arrivent avec une personnalité ou pas et ressortent avec leur personnalité ou pas, mais finalement il nous a donné des outils; non je ne pense pas que son écriture m’ait influencé.

Vous parlez d’harmonie, vous aimez composer pour ce genre d’orchestre.

Oui, en France il ne faut pas trop le dire, parce que ce sont des orchestres mal considérés, pourtant ils ont une très belle histoire, on a un vrai problème avec les orchestres à vent en France, on ne les connaît pas, on les méprise, alors qu’on a des orchestres professionnels et même amateurs d’excellents niveaux. La Garde Républicaine, Les Gardiens de la Paix, le monde entier apprécie ce genre de formation sauf nous. Ces orchestres sont très appréciés par les anglo-saxons en premier mais aussi dans toute l’Asie, l’Europe, chez les Américains cela va de soi.

Vous avez composé dernièrement pour Bastien Baumet,

Oui j’ai écrit Radience un Concerto pour Euphonium et Orchestre symphonique…C’est un concerto assez court, 14 minutes, très classiquement en trois mouvements, l’instrument qui est mis en valeur c’est l’euphonium. C’est un instrument très particulier, Bastien est un des grands représentants solistes français.

Expliquez-nous ce qu’est cet instrument

C’est un tuba de taille médium, en si bémol, très véloce; la technique aujourd’hui fait qu’on peut être pratiquement aussi rapide qu’un violoncelle, il a beaucoup de points communs avec la voix humaine, il peut être très brillant, extrêmement doux, il est employé en orchestre symphonique, évidemment en brassband et Bastien fait partie des solistes mondiaux.

Au Grand Rex j’ai fait votre connaissance en écoutant votre musique pour l’Art des Thanatier, un film d’animation de David Le Bozec. Vous avez composé de la musique de film, est-ce de la musique rétrograde comme souvent on le pense ?

Oui j’en ai composé. La musique de film, je vais être très clair, elle me passionne et je pense que ma musique s’y prête beaucoup; c’est la raison pour laquelle j’ai fait la classe d’orchestration de Guillaume Connesson, parce que je n’avais pas les connaissances suffisantes. Qu’est ce qui différencie Goldsmith, Williams, compositeurs que j’admire le plus, des autres compositeurs du répertoire? Une certaine sensibilité à l’image? Un rapport avec les réalisateurs? Ce sont simplement des compositeurs de musique !

Pensez-vous que la musique de film peut être jouée en concert ?

Totalement, certaines musiques méritent d’être jouées en concert, parce qu’elles ont une très haute tenue artisanale, artistique. Rencontre du Troisième Type, tient très très bien en concert et le concerto pour trompette de Williams je le trouve très intéressant. Mais effectivement, il y a beaucoup de musiques de film qui ne peuvent pas être interprétées en concert, celles de Hans Zimmer par exemple, parce qu’elles sont trop liées au mixage, à la post-production; pour ce qui me concerne, j’ai composé pendant plusieurs années plusieurs musiques, de film, de documentaires, de l’animation, je continue de manière plus sporadique, j’ai arrêté parce que je ne suis pas en accord avec le mode de production, je trouve que le compositeur est la dernière roue du dernier carrosse, et qu’on est devenu, plus grand chose; c’est dommage parce que la musique est indissociable d’un film, elle est essentielle et tous les grands films ont de grandes musiques ; mes collègues qui écrivent de la musique de film souffrent des modes de production, des temps trop restreints, des contraintes financières trop complexes. Ecrire de la musique en peu de temps cela joue sur la qualité. Aujourd’hui avec le principe des maquettes très élaborées, il y a un manque de confiance dans les compositeurs. Je voudrais croire qu’il existe encore des réalisateurs qui fassent suffisamment confiance à un compositeur pour qu’ils se retrouvent autour d’un piano à discuter sur les choix musicaux. Ce n’est pas grave de ne pas avoir de culture musicale, il faut avoir confiance aux compositeurs et les thèmes tracks qu’on met au montage uniformisent la musique et ne laissent pas l’opportunité d’avoir plus de personnalité à la musique. C’est vraiment un métier difficile.

Y-a-t-il un jeune compositeur français que vous appréciez particulièrement

Oui, c’est un ami et il a beaucoup de talent, c’est Mathieu Lamboley, Minuscule 2 est très réussie, c’est un bon pianiste, un très bon orchestrateur, il a l’intelligence d’avoir compris comment on peut écrire de la musique de film tout en gardant sa personnalité ; Les modes de production de musique de films sont devenus très difficiles. je ne connais pas un compositeur de musique contemporaine qui peut fournir trois minutes par jour de musique orchestrée. C’est absurde !

©Olivier Calmel

Vous avez un groupe Double Celli pour qui vous composez. Vous dites que vous y jouez du jazz ! Comment le définissez-vous en tant qu’occidental ?

Je fais du jazz parce qu’on me dit que j’en joue ! C’est pratique pour les médias, comme pour mes collègues, de nous mettre dans des cases, pour certains compositeurs ça les arrangent bien parce que cela permet de minimiser ce que je fais par ailleurs et notamment en musique écrite ; ce qui m’amuse, c’est que je suis la même personne que j’écrive pour un orchestre symphonique ou pour ma formation Double Celli qui est composée d’un quatuor à cordes avec deux violoncelles, un piano et des percussions.

J’apprécie ce que vous faites mais pour moi c’est de la musique d’aujourd’hui influencée par des rythmes qu’a apportés le jazz.

Qu’est-ce que le jazz ? Tout dépend du référentiel de chacun, Double Celli est plutôt classé dans le jazz, par rapport à mon label on a hésité entre jazz et musique de chambre ; en terme de nomenclature on n’y est pas parce que c’est principalement des cordes, mais il y a une batterie alors c’est peut-être du jazz ? En terme de répertoire c’est ma musique. Je vais vous raconter un exemple de mon histoire, lorsque j’ai passé le concours national de jazz de la défense j’ai eu le prix de composition et après la remise des prix, un des membres du jury est venu me voir et m’a dit, on t’a remis le prix parce qu’on voit bien que tu sais écrire mais ce n’est pas vraiment du jazz que tu composes ! J’ai trouvé cela très intéressant et je lui ai répondu : c’est vous qui décidez ce qu’est le jazz ? Ce sont les médias, les journalistes, les labels, les distributeurs, la FNAC, pourquoi pas ? D’abord la question est un peu dépassée aujourd’hui et avant tout ce sont les musiciens qui décident. Il est très difficile de donner une définition à mon sens du terme jazz. En revanche, on peut s’entendre sur quelques points communs, la part d’improvisation par exemple. peut-être on ne peut pas donner à mon sens le nom de jazz par contre on peut s’entendre sur quelques points communs, la part d’improvisation par exemple…

Dans la musique baroque on improvisait

Je ne dis pas que c’est excluant, c’est incluant, il n’y a pas de jazz s’il n’y a pas d’improvisation, ce qui ne veut pas dire que tout ce qui improvisation est du jazz, ça c’est le premier point, ensuite il y a la nomenclature, le choix des instruments, mais aujourd’hui c’est devenu très très large, j’ai joué avec Jean Luc Fillon qui est hautboïste de jazz, on ne peut pas dire que le hautbois soit l’instrument le plus utilisé dans le jazz, le basson également, on trouve tous les instruments dans le répertoire du jazz, après on peut parler du répertoire, quand on parlera de la musique contemporaine l’histoire dira ce que l’on peut classer dans le jazz ou pas, finalement cela n’a pas d’importance, on pourrait parler de certains musiciens il y a quinze ans, comme Julien Lourau qui pour moi est un des plus grands musiciens de jazz français, un grand mélodiste et rythmicien, je crois savoir quand il arrivait avec son groupe, certaines mauvaises langues se demandaient si c’était encore du jazz; Magic Malik lorsqu’il joue avec Steve Coleman je me demande s’il se pose la question. Bojan Z qui a été mon professeur pendant des années lui s’en fout complètement.

Vous vous en foutez de faire du jazz ?

Totalement, exactement pour Double Celli, on prépare le deuxième album qui va être enregistré dans très peu de temps, et je ne sais pas s’il sera ou devra être dans le rayon jazz !

Pour moi vous écrivez de la musique actuelle avec des emprunts au jazz

Moi ce qui me motive et c’est ce que je trouve très intéressant, c’est de placer des personnalités musicales à des endroits où ils n’ont pas l’habitude d’être et de voir ce qui en sort. De placer Xavier Phillips dans une situation particulière et de voir ce qui en sort en jouant de la musqiue qu’il n’a pas l’habitude d’interpréter, en sachant que son métier de base est de jouer les grands concertos du répertoire et de la musique de chambre, ou encore à tirer le violoniste Johan Renard vers plus d’écrit, et de voir les deux ensemble ce que cela donne. Le premier album était déjà très réussi, le deuxième va être atomique parce que là je prévois un répertoire très écrit et qui fait référence à l’univers de Bartók, Ligeti et Prokofiev. Là je peux vous dire que véritablement je me réconcilie avec moi-même en affirmant haut et fort que la musique du XXème, du XXIème et la musique improvisée ou écrite font partie du même univers, de la musique point final ! Je ne vois pas au nom de quoi je ne m’autoriserais pas comme d’autres à improviser sur une grille harmonique tirée de la musique de Prokofiev, il n’y a pas de contre-indication à cela si l’artisanat est bon.

Toutes ces querelles entre musique d’aujourd’hui et d’hier n’est-ce pas des combats d’arrière garde ?

J’ai participé sur You tube à une émission organisée par mon éditeur Artchipel sur une idée de Jean-Paul Secher, présentée par David Christoffel et réalisée par Clément Lesaicherresi, si vous avez envie de rigoler un bon coup regardez là! Je remercie tous les acteurs de cette émission, Arnaud Merlin bien sûr, Christoffel qui a fait un boulot de préparation extraordinaire, on a affaire à des gens extrêmement cultivés, cela reste un exercice difficile parce qu’on a peu de temps pour répondre; je salue les interprètes qui jouent en direct, – Duo Filipendule : Christelle Pochet & Annelise Clément (clarinettes)  Jean-Baptiste Pelletier (Contrebasse) – après, dans cette émission il y a eu notamment cette espèce de rengaine, il faut quelqu’un qui tape sur le néo-tonal soit sur le néo-sériel, là c’était Bernard Cavanna qui s’est un peu lâché sur moi, alors que je crois qu’il m’aime bien ; il n’a pas pu s’empêcher de dire que moi, comme tant d’autres, nous écrivons une musique d’hier, datée, et lorsque je lui ai demandé, Bernard, cite moi des choses qui te font penser à de la musique d’hier ? Il me répondit que dans mes œuvres il y avait plein de clichés ! C’est un jugement qui me fait sourire car il est tout simplement sans fondement. Bernard est une personne que j’apprécie humainement mais dont les jugements sont à lemporte pièce, en creusant la question et en lui demandant où il y avait des clichés à l’écoute du Bestiaire Fantastique il n’avait rien à dire, et pour cause.

Cette oeuvre, commande pour Radio France pour la maîtrise et le philharmonique, possède une grande énergie vitale, une rythmique directement issue du jazz, une danse à cinq temps que je pourrais considérer comme directement influencer par ma culture jazz.
C’est une composition assez particulière pour l’orchestre, et en même temps c’est une pièce vocale assez amusante sur un texte absolument extraordinaire de Michel-François Lavaure, donc, je ne pense pas avoir fais de compromis sur mon artisanat.

C’est une œuvre, commande pour Radio France pour la maîtrise et le philharmonique, qu’il n’a pas appréciée ; qui possède une grande énergie vitale, une rythmique directement issue du jazz, une danse à cinq temps que je pourrais considérer comme directement influencée par ma culture jazz, c’est une composition assez particulière pour l’orchestre, et en même temps c’est une pièce vocale assez amusante sur un texte absolument extraordinaire de Michel-François Lavaure, donc, je ne pense pas avoir fais de compromis sur mon artisanat, où Bernard voit des clichés là dedans ?

Après si c’est une vague impression d’avoir entendu un accord connu, effectivement je termine sur un accord de do majeur avec un grand plaisir. Ce qu’il ne comprend pas c’est qu’il y a des choses qui le dépassent, je peux le comprendre, mais qu’est-ce qui l’autorise à condamner toute démarche artistique simplement parce qu’il aurait entendu deux accords qu’il semblerait déjà connaître ? Lorsque quelqu’un est dans une subjectivité esthétique, avec son lot d’à priori et sans argumentation précise et artisanal alors son avis ne vaut pas plus que l’avis su quidam dans la rue qui vous dit j’aime ou je n’aime pas !

A l’Auditorium de Radio France j’ai assisté au succès de Ecce Paris Ecce Homo, vous êtes très attaché à la voix lorsqu’on parcourt votre cursus ?

C’est le premier instrument des humains, c’est le plus naturel et le plus difficile parce que les contraintes pour écrire sont très grandes; l’histoire de la composition vocale est immense, on la trouve dans toutes les cultures et sous toutes les formes, c’est elle qui touche le plus les gens, aussi avec les textes qui sont associés, éléments essentiels qui véhiculent de nombreuses émotions ; alors chacun à son histoire avec la voix, moi évidemment c’est une histoire de famille, nous chantions beaucoup à la maison, c’est une histoire personnelle,

Votre père a énormément composé pour la voix

Mon père a eu deux périodes, lorsqu’il est sorti du conservatoire il était accès sur les instruments et sur l’écriture post sérielle on va dire, et puis assez rapidement il s’est orienté vers la voix parce qu’il a senti que c’était une façon de s’exprimer qui était très directe et puis il avait des facultés assez extraordinaires en ce qui concernait le contrepoint et sa limpidité qui est un des éléments fondamentaux lorsque l’on écrit de la musique vocale; moi par rapport à ça j’ai bénéficié de toute une histoire, on a beaucoup chanté avec ma mère, ma sœur, nous chantions ses mélodies, comme nous passions aussi du temps à faire du quatre mains, après c’est vrai que je me suis intéressé à la musique populaire et au jazz parce que je voulais prendre mes distances et trouver ma voie, mais la musique populaire était quelque chose de très fort qui m’intéressait beaucoup, la chanson en particulier et lorsque j’étais adolescent j’ai beaucoup chanté en chorale, et je peux vous dire qu’un des événements majeurs émotionnels que j’ai connu, c’était sur le Requiem de Verdi, une œuvre qui m’a bouleversé. C’est une expérience musicale qui est la plus forte qui soit, il n’y a pas plus fort que de chanter en chœur.

Vous êtes au cœur de l’orchestre sans faire de jeu de mots !

C’est exactement cela ! Moi comme je suis pianiste j’ai fait ce qu’on appelle pianiste d’orchestre, on est toujours sur la gauche, un peu à part dans le placement, mais le chœur on le vit de l’intérieur. Je savais qu’un jour ou l’autre la musique vocale m’intéresserait. Plus récemment depuis une dizaine d’années on m’a commandé des pièces pour chœurs, pour maîtrises, pour chœurs d’enfants, et dernièrement un opéra que je suis en train d’écrire. Pour revenir à la question initiale de la difficulté d’écrire la musique vocale aujourd’hui, je pense que c’est lié à des considérations esthétiques, on ne peut pas écrire si on n’est pas dans une sorte d’évidence, enfin c’est mon point de vue. Écrire de la musique vocale nécessite de tout entendre, absolument tout,sinon cela paraît inconcevable, et même si les intervalles sont parfois difficiles.  Il y a des choses majeures magnifiques dans des intervalles extrêmement complexes, les grandes œuvres comme Wozzeck, profondément atonale. Je pense qu’il faut toujours être en mesure de chanter soi-même sa propre musique vocale, il faut l’expérimenter, si j’écris des secondes mineures, des neuvièmes majeures et des quartes augmentées, il faut que ce soit totalement entendu, justifié et expérimenté.

Pour écrire un opéra ne faut-il pas au départ un bon livret ?

Oui, ce n’est pas moi qui aie écrit mon livret, je l’ai réduit de moitié parce qu’il était trop long, mais pour revenir aux questions de mélodies, d’instrumentalisations de la voix, il faut chanter l’évidence qu’elle soit diatonique, tonale, atonale, sérielle ou que sais-je encore.

Vous écrivez dans le style Starmania ou Notre Dame de Paris ?

Non, mais Starmania je trouve cela extraordinaire, lorsque vous écoutez West Side Story, c’est pour moi une œuvre absolument majeure, même quand Bernstein emploie un lied dans la rencontre entre Maria et Tonny c’est quelque chose de très simple, d’une évidence absolue, et je ne vois pas pourquoi on devrait se priver de cette évidence sous le couvert que l’on vit au XXIème siècle, je trouve cela un peu bête. Il se trouve que j’écris dans l’univers du Ramayana, un univers indien basé sur des textes sacrés ; j’ai cherché des talas et des râgas qui soient adaptables, utilisables ou modulables en musique vocale, ce n’est pas forcément évident, la musique indienne est à la fois chantée et en même temps elle a des rapports acoustiques qu’on n’a pas l’habitude d’avoir en musique occidentale. Même si vous prenez les soixante douze mélakartas de la musique carnatique ils sont tous différent bien que certains comportent les mêmes séries de notes que certains de nos modes occidentaux. J’en ai choisi un certains nombres et puis à chaque fois je me suis posé la question à savoir est-ce que moi-même je suis capable de chanter ces rapports là ? La seconde mineure, la quarte augmentée rentrent-elles dans ce que je peux chanter ? C’est ça la question qu’il faut se poser, ce n’est pas dans l’absolu de se dire que c’est quelque chose de nouveau, je m’en fous, ce n’est pas la question essentielle de se dire est-ce que cela n’a jamais été fait ! C’est une question inutile selon moi. Ce n’est pas la première question qui me vient à l’esprit. D’abord est-ce nouveau pour moi, est-ce que je peux le chanter, que j’entends vraiment ? Il ne faut pas se perdre dans des concepts, là- dessus je suis très clair, la musique conceptuelle ne m’intéresse pas, ce qui m’intéresse c’est l’expressivité, et tous les moyens au service de cette expressivité ; si au milieu on met des moyens complexes qui servent le propos alors oui la technicité est au service de la musique mais pas l’inverse.

Qui vous l’a commandé

C’est pour Massy

Quand doit-il être prêt ?

Pour l’année prochaine.

Avec des chanteurs masqués je suppose ?

Il n’y a pas de raison que ça reste comme aujourd’hui !

Alors à très bientôt à Massy !

 

 

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