Compositeur de musiques à l’image, venu du rock, Patrick Sigwalt a obtenu en 1987, le César de la musique de film avec Bernardo Sandoval, pour « Western » de Manuel Poirier. Aujourd’hui il est président de l’Union des Compositeurs de Musiques de Films (UCMF)
A quel moment avez-vous eu envie d’être musicien ?
« C’est le jour où j’ai entendu un groupe de rock californien dont je ne me souviens plus le nom, c’était dans les années 70 et il ne jouait pas de la musique de film. Mes toutes premières émotions, c’était avec le groupe Free, puis avec les imports de rock anglais que ramenaient mes grands frères. Mais très jeune, dès l’âge de quatre ans, je baignais dans la musique à la maison. Mes frères étaient musiciens, ma mère jouait du piano. Je ne me suis jamais posé la question de ce que j’allais faire plus tard : c’était forcément musicien. J’ai un parcours atypique. J’ai commencé par le conservatoire municipal et j’ai tout de suite été hermétique à cet enseignement. Ma mère, voyant que cela ne fonctionnait pas, m’a fait rencontrer quelqu’un de formidable, Jacques Breux, un pianiste de jazz, qui habitait dans ma rue, à Paris. Il a commencé par de l’improvisation et m’a fait travailler autrement. Il m’a amené lentement au jazz. Ce qui, dans les années 70, m’a permis de faire du jazz rock et de former des orchestres de jazz rock. J’avais douze ans. J’étais pianiste et je faisais des percus.
Tout mon parcours de musicien a été ainsi, inhabituel. Avec le groupe ARTEFACT je composais. J’étais le plus jeune du groupe. On a enregistré notre premier album en studio, je devais avoir seize ans, et là j’ai découvert le monde de l’enregistrement et du studio. Je me suis mis à 100% dans le son. J’ai un peu délaissé la musique pour le son. Encore aujourd’hui je pense que les deux, musique et son, sont étroitement liés. J’ai réussi par faire des stages dans les studios en Angleterre. C’était chez Town House, Air Studios. Je voulais comprendre comment le son de « Génésis », par exemple, était fait. Quand un son m’intéressait j’allais dans le studio pour apprendre. Il n’existait pas d’école de son, la seule c’était « Louis Lumière », mais très axé cinéma, pas assez musique. Je me suis formé au son sur le tas. Je faisais des stages d’observation, je ne disais rien et quand la séance se terminait, je demandais à l’assistant de m’expliquer ce que j’avais entendu. J’ai assisté ainsi à des enregistrements de Phil Collins, d’Elton John …On avait le temps et les moyens à cette époque de faire des albums en faisant du son, c’était très créatif. Je suis resté six mois en Angleterre et puis je suis rentré en France avec mon expérience anglaise et je suis allé voir le plus gros studio qui, à l’époque, était le studio Delphine. Je devais avoir dix-huit ans. Le patron du studio a bien voulu me prendre comme stagiaire non rémunéré. J’ai commencé par repeindre l’entrée du studio! Et là j’ai appris mon métier. Je n’avais pas le droit de toucher aux manettes, mais quand le soir tout était terminé je refaisais ce que j’avais entendu dans la journée. J’ai dormi dans le studio pendant six mois. On me permettait de le faire parce que j’avais des idées. Par exemple, qu’il y ait une machine à café, ce qui ne se faisait pas à l’époque. J’ai eu aussi l’idée d’offrir les journaux du matin aux clients avec un petit tampon dessus « by courtesy of studio Delphine », des conneries qui ont fait que le studio est devenu « Top Class ». Le bac, je l’avais mis de côté. Mes parents étaient fou furieux, mais quand ils ont vu mon nom sur les disques ils ont compris que le son était ce que je voulais faire. J’avais le complexe du type inculte et pour leur prouver que j’étais aussi capable d’étudier je me suis inscrit au CNAM et j’ai passé le concours. J’en voulais, je l’ai eu, puis j’ai fait math sup, math spé pour devenir ingénieur du son à l’enregistrement.
C’est le son ou la musique qui vous intéressait ?
Le son pour moi c’était un moyen de comprendre la musique. Je continuais à composer, souvent au piano et je ne connaissais toujours pas l’harmonie. Un jour, j’ai dû faire un remplacement et me mettre aux manettes. J’avais l’Orchestre de Paris en face de moi et ça ne m’a posé aucun problème, j’étais prêt. L’orchestre venait souvent faire des séances. L’après-midi j’avais des « requins » de la musique qui essayaient de me planter, mais ça m’amusait car j’étais prêt. J’avais tellement travaillé que ça ne me posait aucun problème. De plus je leur faisais un son qu’ils n’avaient pas l’habitude d’entendre dans le studio. C’était des prises de son que j’avais apprises à Londres. C’est à cette époque que j’ai voulu aussi devenu réalisateur, parce qu’un ingénieur du son ne faisait que du son. Tout était bien cloisonné, il y avait plus de dix personnes pour prendre des décisions. Aujourd’hui on a un peu toutes les casquettes et moi je voulais avoir toutes les casquettes. Quand j’entendais un instrumentiste qui n’était pas en place, je le lui disais ; ce qui ne se faisait pas. Je voulais être partie prenante. Une part de ma clientèle a apprécié, l’autre non. C’était de la variété, du rock. J’enregistrais, de Fabienne Thibeault à Johnny, en passant par Gainsbourg, Sardou. J’ai eu le plaisir de travailler aussi avec des pointures comme Dédé Ceccarelli, Bernard Lubat – je viens de faire son dernier album – je n’ai pas encore entendu mieux… Je suis allé aux USA où là-bas j’ai pris des claques. J’écoutais, je regardais. J’ai été appelé, par recommandation, pour simplement enregistrer un solo de guitare de Steely Dan. Un jour, le type m’appelle pour que je sois au studio à neuf heures. Et là, je vois deux trente huit tonnes qui déchargent du matériel et j’ai trois assistants qui me demandent où mettre les pieds de micro. Comme vous avez l’habitude, je leur ai répondu ! Un roady a joué de la guitare de 10h à 16h, juste pour un son. On a tout essayé avec les moyens de temps et de matériel qu’on avait. Le vrai guitariste du groupe est venu ensuite. Il est resté trois quart d’heure mais avec un son énorme. J’ai passé un an là-bas, mais bon il y a les moyens du marché. Fin des années 80 je participe à la composition et la réalisation de nombreux albums.
Et vous n’avez toujours pas appris l’harmonie ?
C’est rarement écrit ce que je fais. Je suis un mélodiste, je n’ai jamais appris la théorie de l’harmonie, mais j’ai tellement fait d’arrangements de cordes, de rythmiques que l’harmonie je la connais comme çà. Ensuite j’ai produit beaucoup d’albums, je travaillais sans arrêt, comme ingénieur du son. J’ai produit cinq albums de Bernardo Sandoval que j’apprécie énormément et avec qui nous avons écrit la musique de « Western » de Manuel Poirier et qui a reçu le César de la meilleur musique de film en 1997. On n’avait pas beaucoup d’argent pour faire la musique, on l’a faite avec des bouts de ficelles et c’était passionnant.
En 1996 j’ai eu une prise de conscience : Je gagnais beaucoup d’argent et j’étais prisonnier de ça. J’avais laissé de côté la musique au profit du son. Je faisais quand même de la musique à l’image pour des documentaires, des dessins animés. Et là, je faisais un choix artistique. J’ai gardé des gens que j’appréciais, des artistes, des gens qui avaient des choses à dire et je suis retourné à la musique. C’est ce que je faisais avec Sandoval par exemple.
Un jour, fin des années 90, le Conservatoire National m’appelle. Ils avaient une classe de son qui s’appelait la formation supérieure aux métiers du son, et ils voulaient créer un département d’ingénieur du son pour les musiques actuelles. Moi c’était quelque chose qui me convenait parfaitement car c’était exactement ce que je faisais depuis des années. Ils cherchaient des professionnels. Ce qui m’intéressait c’était d’apprendre aux étudiants comment faire du son au service de la musique. J’arrête le son en studio et je me plonge à fond dans la musique. Et là je compose, je fais de la musique pour la télévision,
Comment arrivez-vous à vous faire connaître ?
Dans le cinéma c’est très compliqué. J’ai des amis réalisateurs qui font des documentaires, je connais des producteurs, des monteurs. « Western » m’a fait aussi connaître dans le milieu. Je travaille sur des séries télé, j’adore faire de la publicité.
Vous avez composé pour Kenzo je vois ?
Oui, j’ai fait leur dernière publicité, une musique un peu Klezmer. C’est un des derniers médias où on en encore une grande liberté. Avec les réalisateurs de film c’est souvent compliqué. Pour « Western », on a eu le César parce qu’à un moment donné on est en plan serré sur les deux acteurs principaux, et le mixeur enlève les dialogues et met la musique devant. En France, on a le César quand on fait de la musique pour « Microcosmos » ou pour « Le Grand Bleu », ou pour des films animaliers ou dans le Concert, lorsque la musique est devant. Si elle est englobée avec les sons, qu’on ne l’entend pas, lorsqu’elle doit être là où elle doit être, on n’a aucune chance de l’avoir. Et puis je trouve que les films qui permettent de faire de la musique ne sont pas légion. Il y a trente ans, la musique avait une place plus importante. Faire des thèmes c’est devenu ringard, il n’ y a plus de place. On a de très bons musiciens en France mais on ne leur donne pas les moyens de s’exprimer. C’est pourquoi je suis président de l’UCMF aujourd’hui.
Les champs pour s’exprimer aujourd’hui où les trouvent-on ?
A la télévision, dans les séries et surtout dans l’animation. Ce sont des vrais terrains de jeux pour nous aujourd’hui et là on peux s’exprimer. Dans les documentaires aussi.
Aujourd’hui il y a de gros problèmes au sujet de la production, de l’édition musicale non ?
Les producteurs et les chaînes de télévision se sont rendus compte qu’il y avait de l’argent à se faire sur ce terrain. Ils sont en train de se positionner pour le prendre d’ailleurs. TF1, par exemple, est en train de mettre en place un pool de compositeurs maison qu’elle paye à coup de lance pierre. Elle leur fait miroiter des droits d’auteur fabuleux et donc ne les paye pas pour composer.
Alors on arrive à votre présence à l’UCMF.
L’UCMF a douze ans. Je suis le quatrième président. Il y a eu Gréco Casadesus, le fondateur, Gilles Tynaire, Bernard Grimaldi et moi. Je ne veux rester qu’un an. Je voudrais être efficace et rapide. J’ai mis en route une réforme 2.0 qui va être mis en œuvre rapidement pour mieux faire connaître cette association. J’aimerais que le futur président soit quelqu’un de plus médiatique, une sorte de président d’honneur, et changer l’organigramme. Cette personnalité fera mieux connaître notre métier. Il y a beaucoup de problèmes à régler, on sera derrière pour le faire, mais il nous faut une personne plus connue qui donnera plus de poids à notre action. Il y aura un président et un secrétaire général. Dans notre action on a déjà fait une passerelle entre jeunes compositeurs du Conservatoire et jeunes réalisateurs à la Fémis [École nationale supérieure des métiers de l’image et du son]. Marie Jeanne Serero du Conservatoire et Gilles Tynaire de l’UCMF s’en sont bien occupé. Ce dialogue est très important.
UCMF a du pouvoir ?
On est sur beaucoup de dossiers, on est dans de nombreuses commissions et il y a des dossiers où il faut qu’on réagisse pour revaloriser la musique pour l’image en France. C’est mon cheval de bataille en ce moment. J’ai une éthique, j’ai créé avec un ami compositeur, David Vadant, une société de production de musiques pour l’image qui s’appelle Score Factory. Elle fait de la musique pour des dessins animés. On a voulu à travers cette société retrouver cet échange entre compositeurs, qu’on a perdu depuis quelques années. Dans cette société on forme des jeunes, anciens élèves du Conservatoire, et on travaille ensemble. Ils ont un bagage énorme au point de vue contrepoint, harmonie, théorie, et nous on a notre expérience. Ce mélange trans-générationnel est très efficace et on signe tous ensemble les compositions. On travaille à l’américaine. Il faut arrêter de faire travailler en nègre les compositeurs. Je suis aussi au conseil d’administration du SNAC [Syndicat National des Auteurs et Compositeurs] et là on est en face des politiques. J’espère qu’à Cannes on va créer un prix. J’ai réussi à faire entrer la musique de film au CNSMDP, grâce au compositeur Bruno Montovani d’ailleurs, et croyez-moi pour eux ce n’était pas de la musique. C’est Laurent Petitgirard qui en a la charge. On va arriver à ce que les compositeurs aient les moyens de travailler. Il existe plein d’orchestres français qui sont prêts à jouer le jeu pour qu’on n’aille plus enregistrer dans les pays de l’Est, comme nous l’avons tous fait. Il faut qu’il y ait une volonté politique.
Il y a de plus en plus de concerts de musique de film en ce moment.
Oui c’est très à la mode mais c’est que les choses bougent. Le concert qu’a fait l’UCMF cet hiver a été un gros succès et on va sûrement en refaire un. »
Bon courage alors à l’UCMF (www.ucmf.fr)!