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[ENTRETIEN] : Renaud BARBIER

©DR

Comment êtes-vous entré dans le monde de la musique ?

« A huit ans à Brignoles, petite ville du Var, j’entends Beethoven, une musique avec une telle énergie qu’elle me donne envie de faire du piano et de jouer ce compositeur ! Je me débrouille pour acheter un piano par le biais de mes grands-parents, de la famille. Mes parents étaient assez ouverts sur l’art. Mon père était psychanalyste et ma mère maîtresse de maternelle. Elle accueillait les enfants le matin avec la musique de Morricone. Je pense que cela a dû jouer pour la suite. Dix ans de piano classique, pas de conservatoire, un professeur privé, pas d’harmonie, pas de solfège. Je faisais aussi beaucoup de sport et à un moment il a fallu que je choisisse, et j’ai choisi la musique. A 16 ans et demi je monte mon premier groupe sans connaître l’harmonie. On a mélangé nos styles : moi le classique, eux le rock, c’est parti sur une envie de créativité. On répétait deux fois par semaine, fin des années 80. J’ai découvert le jazz rock, le Weather Report, Coréa et Jarret qui m’ont beaucoup marqué, puis Coltrane, Miles…Notre groupe, « Sixième Sens », m’a amené à faire beaucoup de concerts, puis je suis entré en 1990 au Centre Créatif Musical de Nancy en jazz et fusion. J’avais passé mon bac, commencé la fac en math physique chimie et j’ai tout arrêté. J’ai fait un an à Nancy qui était un peu le Berklee de l’époque. C’était une école internationale, privée. J’avais eu une bourse par l’AFDAS. A Nancy, j’étais tellement ouvert à la musique que j’ai tout appris au niveau de l’harmonie, du rythme. Je suis sorti major de ma promotion avec Franck Aguhlon, le célèbre batteur de jazz. J’ai eu une formation jazz et puis je suis devenu prof dans l’école et j’ai écrit une méthode de piano, car pour moi, avant le solfège, il faut être à l’écoute de la passion des enfants. Ça a superbement marché. J’avais 22 ans lorsque je suis parti à Barcelone avec un copain auditionner pour avoir une bourse pour Berklee. Je vous passe les détails de cette folle aventure de Bourse. Je suis parti quand même à Boston sans savoir si j’allais pouvoir suivre les cours, n’ayant pas encore l’argent. Je me retrouve dans la classe du professeur de Keith Jarret ! J’ai eu mon financement et j’ai pu rester à Boston pendant quatre ans. En 1995 j’ai pu assister à la classe de Pomeroy et c’était une révolution pour moi. J’ai étudié la composition symphonique, la musique pour l’image et le piano jazz. En dehors des cours j’ai écrit des compositions orchestrales et des musiques de films. A partir de là j’ai pu grâce à un agent et une bourse m’installer à Los Angeles. J’avais écrit un ballet et j’ai eu une commande d’une pièce symphonique pour la ville de Marseille pour ses 26 siècles d’existence. J’ai donc eu un dilemme entre Marseille et Los Angeles. Finalement je suis allé à Marseille.»

Quelle a été votre première composition importante pour l’audiovisuel ?

Un téléfilm pour M6 grâce au réseau de mon frère : « Peur Blanche » d’Olivier Chavarot, qui a été primé à Cognac en 1998.

Parlez moi un peu de votre frère ?

On a dix ans de différence d’âge avec Éric. J’avais sept ans quand il a quitté la maison. Il est réalisateur, il avait fait « Brasier » puis après l’échec de son film il a fait de la publicité. On a travaillé ensemble sur son deuxième long-métrage « Toreros » en 2000, qui n’a pas bien marché aussi.

Travailler avec son frère est-ce compliqué ?

Ce n’est pas évident, on est très différent, et puis il y a notre différence d’âge. Il regardait ce que je faisais avec bienveillance. Il me disait qu’il n’aurait pas eu le courage de faire ce que j’avais fait. On a travaillé ensemble sur « Toreros » parce qu’il n’y avait plus d’argent pour faire la musique. J’étais en tournée dans le sud, il m’a donné dix jours pour faire le score. Heureusement j’ai pu engager deux amis arrangeurs pour m’aider.

Avec « Le Dernier Diamant », et comme dans tous les films de casse, pourquoi met-on du jazz ? C’était une volonté de votre frère ?

Non c’était plutôt inconscient. Après « Toreros » j’ai travaillé sur « Le Serpent ». Il m’a demandé de faire un essai musical et il a adoré ainsi que les producteurs. Les critiques ont été bonnes. C’est après ce film qu’il m’a demandé de continuer avec lui, et on a fait quelques publicités ensemble. « Le Serpent », ce n’était pas mon univers mais j’aime bien entrer dans l’univers des gens et apporter ce qui peut le faire exister. J’ai lu toutes les moutures du scénario de « Le Dernier Diamant ». Éric était ouvert sur toutes les propositions musicales que je pouvais lui faire. Moi, je voulais beaucoup de cuivres, quelque chose de charnue, enregistrer en live et en analogique, avec du grain ; quelque chose d’un peu sale, brut ; d’où cette volonté d’enregistrer en direct. C’était plus compliqué. On a fait deux mix, un pour le film et un pour le CD. On a enregistré à Rochefort-sur-Mer avec un quintette de vents, avec des cordes et les cuivres plus devant. Le but c’était de mettre en avant la bande des casseurs, le côté noir, et faire le contraire pour Bérénice Béjo avec les cordes plus romantiques. On n’a pas complètement poussé à fond les cuivres pour le film car ça saturait, mais on l’a fait pour le CD. A Rochefort on a enregistré sur bande magnétique, pas en numérique, d’où ce résultat assez spécial.

C’est un superbe CD, c’est CristalRECORDS qui l’a produit ?

En fait, j’ai ma boîte de production et j’ai produit la musique du film. On est coproducteur avec Cristal et Vertigo.

Vous avez fait beaucoup de belles musiques pour la télévision dont une que j’apprécie particulièrement, « Vauban la Sueur Epargne le Sang », le documentaire de Pascal Cuissot. Elle est totalement différente de ce que vous composez et elle ne fait pas copie de la musique du XVIIIème.

Oui j’en suis assez content. Je venais de faire un film avec Jérôme Boivin, « Vital désir », un téléfilm sur l’hormone de croissance, assez dur. Judith, sa femme, est luthière, elle fabrique des violes de gambe. Je l’ai rencontrée, je voulais faire une musique pour « Vauban » assez moderne avec des instruments anciens. Elle m’a trouvé des solistes. La composition était pour viole de gambe, clavecin et orchestre moderne. J’aime enregistrer tous les instruments ensemble. Il y a une magie qui s’opère entre les musiciens. Inutile de vous dire que ça été une galère car la viole de gambe se désaccorde tout le temps. C’était mon premier contrat avec Cristal. Il y a eu une belle audience sur Arte.

Et aujourd’hui vous travaillez encore pour Arte ?

Oui, sur un documentaire, « Les Impunis », d’Agnès Gattegno, réalisatrice très engagée, et qui a pour thème les narcotrafiquants. C’est un choc ! Je l’ai rencontrée grâce à la monteuse du Serpent. Le film a été monté sans musique. Je compose une musique avec seulement deux instruments. J’ai aussi un autre projet pour Arte, sur la préhistoire du cinéma avec Pascal Cuissot, le réalisateur du « Vauban ».

Comment se faire connaître dans ce milieu où la plupart des réalisateurs sont incultes au niveau musical ?

Il faut travailler sur un film qui a du succès. J’ai deux projets de cœur, un avec un mexicain, Mauricio Isaac, avec qui j’avais fait « Mejor es que Gabriela no se Muera » qui a eu un grand prix à LA, et un autre avec un réalisateur d’animation le peintre Borislav Sajtinac pour qui j’avais composé la musique de “ Le Tueur de Montmartre”, qui a reçu de nombreux prix.

Quel compositeur appréciez-vous le plus, celui avec qui vous vous sentez le plus proche ?

En musique de films, c’est sans hésiter Bernard Hermann, mais aussi Ennio Morricone. En musique contemporaine j’aime beaucoup Henri Dutilleux, c’est un immense compositeur.

Desplat a Audiard, Bource a Hazanavicius, Hetze a Desplechin, Rombi a Ozon, Serra a Besson. Espérons que Barbier trouvera son Hitchcock. On le lui souhaite de tout cœur. Peut-être est-ce son grand frère ?

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