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[ENTRETIEN] : RONAN MAILLARD, LA RELÈVE

©DR

Ronan Maillard est jeune, il a une solide formation musicale, il n’est pas encore connu, il a du talent. Il a accepté cet entretien porte de Saint Cloud, dans un café, le premier, à l’occasion de la sortie du film de Xavier Giannoli, Marguerite, pour lequel il a écrit une musique de grande qualité.

Comment êtes-vous arrivé sur le film « Marguerite » de Xavier Giannoli ?

En fait j’ai rencontré Xavier Giannoli sur son film précédent qui s’appelle Superstar  sur lequel j’étais orchestrateur ; je n’étais pas compositeur. C’était Sinclair, avec qui j’ai déjà travaillé sur d’autres films, qui l’était. Il avait besoin d’orchestration.

C’est vous qui faisiez le boulot en fait ?

Disons que nous sommes complémentaires : lui il est plus pop, et lorsqu’il a besoin de musique orchestrale il fait appel à moi ! On a travaillé de concert avec Xavier Giannoli, on s’est retrouvé, le même trio, sur une publicité pour le Club Méditerranée, l’année dernière, avec la chanson des Bronzés Darla Dirladada et Thierry Lhermitte. Il fallait lui donner un air classique parce que cette publicité est un ballet dans un opéra. C’était un exercice intéressant. J’ai eu un peu plus de contact avec Xavier à ce moment là. Xavier pour Marguerite n’avait pas besoin d’un compositeur, il avait besoin de quelqu’un qui ait un bagage classique important, qui puisse l’aider et puisse aussi écrire un peu de musique pour les transitions, donc un peu de musique originale.

Hélas il n’y a pas les 50% pour être éligible au César et vous le mériteriez !

Non, il y a onze minutes de musique originale et plus du double en musique de répertoire.

Donc si on reprend votre participation sur la bande son du film, il y a des arrangements de musiques classiques additionnelles, mais surtout un travail énorme par rapport aux arrangements des airs que chante la comtesse. Les critiques parlent surtout de la performance de Catherine Frot mais pas du tout du travail impressionnant que vous avez réalisé. Arriver à chanter faux sur des airs et être dans le rythme, c’est un travail extraordinaire.

Oui la performance de Virginie Gatino, la voix de Marguerite, est assez extraordinaire. Je ne la connaissais pas, elle a été découverte par casting, ce n’est pas une professionnelle mais une très bonne amateur, capable de chanter juste et faire cette voix terrible pour les cordes vocales, c’était un sacré exploit !

Comment avez-vous travaillé avec elle ?

On a travaillé en plusieurs fois. Les voix de Marguerite ont été faites en République Tchèque pour faire les play-backs. Quelques modifications ont été refaites en studio, au moment où je suis arrivé sur le projet. Je suis arrivé une fois le film tourné, ils débutaient le montage en janvier. Lorsqu’on a commencé les airs du répertoire on a vu qu’il y avait des petites rustines de voix à faire sur l’air de Chérubin par exemple.

Est-ce à partir des voix de Virginie Gatino que vous avez dû faire les enregistrements orchestraux ?

Ils ont tourné avec une version de référence que Xavier aimait beaucoup, mais à cause des problèmes de tournage elle ne pouvait être gardée. J’ai dû reprendre et relever les tempi qui correspondaient à la version du tournage, pour être synchrone et adapter l’orchestration à l’univers qui régnait sur le plateau du tournage. On a réenregistré sans avoir la voix dans l’oreille, ce qui a été très compliqué pour l’orchestre afin de se caler sur un tempo qui était extrêmement changeant.

Vous travailliez donc au clic comme pour un dessin animé ?

Oui, il y avait une cinquantaine de musiciens qui jouaient au clic. Marguerite chantait de manière très instable, et c’était quelque chose de très compliqué. L’orchestre était très réactif, c’était faisable mais ce n’a pas été le plus facile.

Alors il y a des morceaux classiques que vous avez réenregistré et arrangé avec un orchestre belge.

Oui, King Arthur de Purcell, l’air du duo des fleurs de Lakmé de Léo Delibes…

Et vous avez quand même écrit de la musique originale qui est à mon avis très originale et décalée par rapport à l’histoire. Comment avez-vous travaillé avec le réalisateur ?

Xavier Gianolli est un artiste qui s’implique totalement dans la musique. Il a fait d’énormes recherches musicales de tous les styles en amont du tournage, et il avait très envie d’insuffler une direction musicale pour le compositeur qui allait travailler avec lui. Il avait choisi plusieurs morceaux qui correspondaient à l’univers musical qu’il voulait. J’en ai pris bonne note tout en gardant une certaine distance parce que je n’allais pas refaire la même musique qu’il avait choisie pour son montage. C’est un travail de ping pong qui s’est fait entre les compositions que je lui ai proposées, en essayant d’apporter une certaine vision que je pouvais avoir. Il me demandait de faire des contre propositions, ce n’était pas évident par rapport aux musiques qu’il avait mises pour monter.

Vos musiques ont des accents très contemporains…

J’avais très envie de rester globalement dans le XXème siècle, ce qui veut dire que je me suis nourri un peu de tout ce qu’il avait mis lui-même dans la vie musicale du XXIème siècle. L’important c’était aussi de retranscrire par certains côtés l’univers sonore dans lequel pouvait vivre Marguerite. On ne sait pas ce qu’elle entendait. On a l’impression qu’elle vit dans un monde très particulier, donc j’ai fait un choix avec des dissonances, des notes décalées par rapport à certaines harmonies, pour instaurer ce climat de bizarrerie d’une certaine manière, et puis, petit à petit, pouvoir donner une certaine sensation de folie peut-être, une folie douce bien sûr, intérieure, sonore, qui puisse retranscrire ce qui se passe à l’image aussi.

Retour en arrière : vous avez fait des études classiques, vous avez fait des arrangements pour de la variété. Comment avez-vous commencé dans ce milieu ?

J’ai fait pas mal d’arrangements. En sortant de mes cours j’avais déjà travaillé sur des courts-métrages, sur des projets de chansons autoproduits, mais je voulais surtout faire de la musique de film, même avant d’entrer au conservatoire. A l’époque, le conservatoire trouvait que cette musique était de la sous musique.

Comment avez-vous débuté dans ce domaine ?

J’ai rencontré au sein du conservatoire un arrangeur, Joseph Racaille, lors d’un atelier d’arrangement de chansons françaises. Il a travaillé avec Alain Bashung, Vincent Delerm, un très grand arrangeur. Il m’a rappelé plusieurs années après mes études pour me proposer un projet d’arrangement qu’il ne pouvait pas faire : des arrangements pour de la musique de film, juste comme cela ! C’était vraiment incroyable. Il s’agissait d’arrangements de cordes pour un film, le premier film d’Olivier Baroux qui s’appelle « Ce soir je dors chez toi », une comédie romantique. C’était en 2007. Le compositeur était Martin Rappeneau, le fils du réalisateur Jean-Paul, qui vient de la musique pop, un chanteur, auteur, compositeur. J’ai débuté ainsi et ça continue.

Vous avez fait une classe sur la musique du XVIème siècle…

Oui sur la polyphonie du XVIème avec Olivier Trachier. Mais j’ai passé plus de temps en classe d’harmonie avec Jean François Zygel, et pour la fugue et la forme avec Thierry Escaich, un très grand musicien. Ce fut une formation que j’ai adorée !

Vous dites que vous avez toujours voulu composer de la musique de film, vous avez des souvenirs des premières que vous avez écoutées ?

J’ai toujours baigné dans la musique classique. Mon père était altiste au Philharmonique de Radio France. Il vient juste de prendre sa retraite. J’étais souvent au studio 104 de Radio France, et à Pleyel. Cela m’a formé l’oreille, à l’orchestre. En tant que pianiste, j’étais plus intéressé par l’improvisation au piano, je n’étais pas un grand pianiste et je me suis assez vite tourné vers la composition.

C’était du jazz alors ?

Non c’était classique. Le jazz, à l’époque, je ne le connaissais pas trop. C’est par mes recherches personnelles que je l’ai découvert et par une petite initiation au CNSMDP. J’étais plus orienté classique, plus symphonique, musique à thème, harmonique, comme les musiques de John Williams, ET, Indiana Jones , elles m’ont donné envie de composer pour le cinéma.

Les réalisateurs de courts-métrages pour qui vous avez composé ne sont pas passés au long ?

Certains ont pris des chemins différents, d’autres comme Nolwenn Lemesle, avec qui j’avais fait son premier court, m’a rappelé, il y a trois ans, pour son long «Des morceaux de moi», où il y avait un peu de musique originale. Elle en prépare un deuxième en ce moment et on est en contact assez régulièrement. J’ai travaillé aussi avec un réalisateur chilien que j’aime beaucoup, Nicolas Lasnibat, et que j’ai rencontré en traînant à La FEMIS. Lui aussi prépare un long.

C’est une bonne idée d’aller à La FEMIS ?

Quand on commence c’est une bonne école car tout le monde a à apprendre de tout le monde. C’est là où l’on rencontre les futurs grands. A l’époque, il fallait se débrouiller. Aujourd’hui il y a plus de transversalité entre conservatoire et écoles de cinéma.

Vous avez donc surtout travaillé comme arrangeur et orchestrateur pour le cinéma. C’est un peu frustrant. C’est quand même vous qui êtes le vrai compositeur, non ?

C’est un travail qui n’est pas toujours évident.

Vous êtes le nègre, vous amenez la substance…

On peut le penser ainsi. C’est quand même trop négatif. C’est pour moi comme un exercice d’entraînement par certains côtés, qui est très enrichissant en fait, car on peut apporter beaucoup de choses…

D’accord, mais ce n’est pas vous qui signez !

Non, mais parfois on cosigne, ça peut arriver. Mais de temps en temps les compositeurs avec qui je travaille sont des gens qui m’apportent une structure totale avec une mélodie et des arrangements bien ficelés.

Lorsqu’on écoute Marguerite on n’a pas l’impression que vous avez fait de la variété !

Non, parce que Marguerite c’était un nouvel exercice, c’est vraiment marginal par rapport à ce que j’avais fait. La majorité des arrangements que j’ai composés sont plutôt pour orchestre. J’ai posé de temps en temps des cordes sur de la variété mais ça reste marginal.

On arrive à en vivre ?

Ce n’est pas très évident, c’est la première fois que je suis vraiment compositeur sur un film, ce qui veut dire que je n’ai pas beaucoup d’expérience pour savoir si je peux en vivre ou pas. En tant qu’arrangeur, j’ai réussi à en vivre jusqu’à maintenant, mais ça n’a pas toujours été le cas. J’ai été professeur de composition, d’harmonie, d’arrangement à Clamart pendant quelques années, de 2004 à 2010, pour les adolescents, pour les initier à l’écriture, à la composition. A partir de 2007 c’est devenu trop compliqué de mener de front les deux activités et je ne me suis consacré qu’à la musique de film qui est ce que je voulais faire à la base.

Quelle est votre actualité ?

Je travaille sur un nouveau film en tant qu’orchestrateur, le prochain film d’Olivier Baroux avec Martin Rappeneau encore. On est un tandem qui marche bien depuis 2007.

Vous êtes payé correctement ?

Oui, correctement ! Sur sept ans on peut en vivre, mais il y a eu des moments où c’était plus compliqué ; ça s’équilibre. C’est un métier où il faut savoir donner beaucoup. J’ai travaillé souvent gratuitement, pour des projets où j’ai eu des coups de cœur et j’espère le faire encore. C’est un moyen de rencontrer de nouvelles personnes.

Ce CD sur Marguerite, qui vient de sortir, me pose problème : c’est dommage que votre superbe musique ne soit pas plus mise en valeur.

La musique originale dans Marguerite reste un pourcentage assez faible.

On peut écrire une sublime musique de quelques minutes et faire du Zimer sur deux heures !

Je suis d’accord avec vous, mais lorsqu’on a pensé à faire ce disque, j’avais très envie d’en faire pratiquement un film sonore, revoir le film se dérouler dans notre tête une fois qu’on l’a vu. C’était impossible de mettre d’un côté la musique originale et de l’autre les musiques additionnelles. C’était celle aussi de Marie Sabbah qui a été superviseuse musicale. Je voulais que l’on retrouve la continuité du film, avec un peu de dialogue.

Les musiques additionnelles sont-elles les choix du réalisateur ?

Oui totalement. Le Nyman ne se trouve pas dans le film et compte tenu des problèmes que pouvait poser cette musique, j’avais écrit un morceau à la Mozart, en cas. C’était une manière de rappeler que la première fois qu’on entend Marguerite, c’est sur du Mozart. J’utilise la petite cellule de La Flûte enchantée puis on s’en démarque pour rester dans l’esprit, au sens lourdaud du Nyman, pour lequel il est utilisé.

Avez-vous une idée sur la musique du film mise sur un support, loin de l’image pour laquelle elle a été composée ?

J’y vois un intérêt. Elle peut donner des réminiscences du film, elle peut aussi apporter une certaine émotion qu’on n’avait peut-être pas avec les images. Je suis ravi que ma musique soit sortie en CD. Je l’ai pensée comme une musique pure.

Et nous, nous sommes ravi de pouvoir l’écouter !

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