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[ENTRETIEN] : SÉBASTIEN LLINARES 

Nous avons eu le plaisir de rencontrer la première fois Sébastien Llinares au cours d’un concert Bach, en duo avec Nicolas Lestoquoy, qu’il avait donné dans l’orangerie du château de Rochemontès à Seilh. Ce superbe récital était organisé par Catherine Kauffmann Saint Martin.

Les années ont passé et Sébastien a fait des concerts, enregistré des disques, (voir sur site, Salle Cortot le 2 octobre 2014), a enseigné, mais il est aussi devenu un producteur de radio avec une émission Guitares, Guitares, diffusée chaque samedi à 12h30 sur France Musique.

 

Ce guitariste singulier, au parcours riche et atypique se trouvait en même moment que nous à Montpellier, ville qu’il affectionne particulièrement. C’était l’occasion de nous entretenir avec lui à deux pas de la célèbre place de la Comédie.

Si je vous dis, Jim, Wes, Kenny ces prénoms vous dises quelques choses ?

Oui bien sûr, Jim pour Jim Hall, Wes pour Wes Montgomery que j’aime particulièrement et Kenny c’est Kenny Burell.

Si je vous parle de Kenny Burell c’est par rapport à un mouvement qui s’appelle le Third Stream

Je ne sais pas ce que c’est.

C’est un mouvement qui croise la musique classique et le jazz et celui qui était à l’origine se nomme Gunther Schuller. Des groupes comme le Modern Jazz Quartet ou Charles Mingus y ont participé, et Gil Evans avait fait un arrangement du Concerto d’Aranjuez pour Miles Davis dans le style de ce mouvement.

Qui n’a pas joué le concerto ! D’ailleurs j’avais passé cette version dans mon émission.

Kenny Burrell a fait un disque qui s’appelle Folk Songs et il y joue un morceau complétement de forme classique. Alors les jazzmen jouent du classique est-ce qu’on peut trouver l’inverse ?

Je pense que plus on avance aujourd’hui, plus la frontière est poreuse. Le lien c’est l’improvisation qui existait dans la musique classique. Dans ma dernière émission je l’ai faite sur Joe Pass.

Vous n’avez pas fait beaucoup d’émission sur les guitaristes de jazz

J’en ai faite une sur Django et une autre sur Pat Methney, mais c’était parce qu’il avait enregistré ses compositions pour guitare classique. Je pense qu’il y aura de plus en plus de circulation entre ces deux styles de musique, mais la colonne vertébrale de l’émission c’est la guitare de répertoire.

Comment êtes-vous arrivé à proposer ce concept d’émission?

J’étais invité en tant que musicien pour faire la promo sur mon disque Satie et c’est ainsi que j’ai rencontré Marc Vogel.

Je me souviens qu’à une époque vous faisiez à la fin de vos concerts un bis Satie.

Cela marchait si bien que j’ai enregistré un disque Satie et c’est en faisant cette promo que j’ai dit à Marc Voinchet que tous les matins j’écoutais sa matinale sur France Culture et puis il est de Toulouse comme moi, alors je lui ai dit que c’était dommage de ne plus avoir d’émission sur la guitare et il m’a proposé d’en faire une. On en a fait une un été…

Et aujourd’hui cela fait combien de saisons?

C’est la cinquième !

C’est très rare qu’un musicien devienne ainsi journaliste. Ce n’était pas angoissant au début de parler ainsi devant un micro ?

C’est un exercice difficile au niveau de la concentration, mais c’est la même chose que de parler devant ses élèves, ou d’être tout seul devant son pupitre avec sa guitare et travailler son instrument, le reste découle de source tout simplement.

Vous êtes enseignant, où avez-vous fait vos études?

Je n’ai pas fait réellement des études. J’ai fait l’école normale pendant 2 ans mais très tardivement, c’était pour renouer avec le manque de la guitare classique.

Au départ vous étiez autodidacte ?

J’avais appris petit, les bases, le solfège, je suis passé par le jazz, le rock j’ai fait de la musicologie en Jazz et puis c’est un peu par hasard que j’ai retrouvé le classique. Je voulais composer et j’ai rencontré quelqu’un qui tenait une Académie en Sardaigne, il m’a dit tu joues bien viens passer le concours, je l’ai gagné et le prix était  deux ans à l’École Normale c’est ainsi que j’ai fait mes deux ans à l’École Normale.

Qui était votre professeur ?

C’était Raphaël Andia, ce fut une grande rencontre pour moi . C’est lui qui m’a redonné les racines et cette manière de jouer de la guitare espagnole qui maintenant ne me quitte plus.

Quand on a une bonne base on peut tout jouer non ?

Pour moi oui. Si on peut trouver son identité, sa sonorité, de jouer à sa manière.

Alors il y a toujours cette tarte à la crème, on apprend la guitare pour draguer les filles c’est toujours d’actualité ?

Je suis trop occupé aujourd’hui pour le savoir mais à l’époque ça marchait bien effectivement. J’ai commencé à 8 ans c’était un peu tôt, (rires) mais peut-être qu’on choisit effectivement cet instrument pour cela. Il faudrait que je m’y remettre, il y a longtemps que je n’ai pas testé ici à Montpellier à la salle Pasteur, au Corum (rires)

Je pense que les groupies sont plus celles de votre époque, lorsque vous jouiez dans votre groupe de rock !

On faisait du studio, je jouais de la guitare électrique, on faisait des festivals avec des percussions cubaines, un métissage, du rock fusion, à Toulouse, j’ai travaillé aussi dans la chanson.

À Toulouse j’avais découvert au cours d’un festival de musique ancienne des instruments à cordes pincées assez étonnant datant je pense de l’époque musulmane.

Il y avait à Toulouse une superbe classe de musique ancienne qui est fermée aujourd’hui. Ce qui est intéressant dans le monde de la guitare c’est le fait que lorsque l’on recolle tous les morceaux du puzzle, on redécouvre la guitare baroque, le luth, le théorbe, et bien d’autres instruments en cordes pincées. L’enjeu est là aussi. Je parle toujours de cette grande famille des cordes pincées. Avec le répertoire on peut faire des passerelles, c’est magnifique. Il y a d’énormes points communs entre la musique classique, la musique baroque et le flamenco, les tablatures de Metallica et de Robert de Visée ont des.points communs et c’est fantastique d’avoir cette vision globale qu’on n’avait pas il y a quelques années.

C’est très intéressant de faire une émission comme la vôtre, car elle peut durer des années et des années 

Les premières saisons tout le monde disait tu vas nous faire entendre les tubes, Segovia, etc etc, je disais oui mais il y a tellement d’autres choses à faire et tout le monde se demandait comment j’allais me renouveler et là je n’en vois pas la fin

Comment choisissez-vous vos thèmes, êtes-vous assisté ?

Non la préparation je la fais moi-même, mais c’est un travail que je fais toujours, rien que pour ma guitare.

Lorsque l’on est prof on parle aussi de l’histoire de l’instrument ?

On ne donne pas que des conseils pour jouer, on ne peut pas dissocier l’époque de la création et de la manière d’interpréter. Il faut donner des clés techniques et les différentes manières de jouer la musique d’aujourd’hui et celle d’hier. Il y avait plein de conservatoires qui pendant des années enseignaient une unique posture pour jouer tous les styles, c’est aujourd’hui révolu grâce à notre génération, c’est plus excitant,  plus ouvert, plus musical.

La mandoline est revenue à la mode 

Oui c’est un instrument que je connais moins bien, je connais Julien Martineau, Vincent Beer-Demande qui font un super boulot.

J’ai eu le plaisir de faire un entretien avec Julien Martineau il a une énergie incroyable il arrive à déplacer des montagnes avec son instrument …

Oui il est incroyable. J’’ai remarqué une chose intéressante, des pièces qui sont rabâchées par exemple Caprice   Arabe de Tárrega,  morceau que je joue depuis l’âge de 12 ans et que je joue encore en concert, on connaît que ça, c’est tellement cliché, mais en fin de compte on s’aperçoit que le public ne connait pas cette pièce.

Il y a peu de concert de guitaristes

Il faut communiquer dessus, il y a beaucoup de concerts de guitare pour les guitaristes malheureusement. Il y a beaucoup de festivals qui sont liés qu’à des fins pédagogiques. Il y a de bons guitaristes qui enseignent dans les grandes  capitales et qui font des Master Class et ce sont les élèves qui viennent les écouter. C’est quelque chose que je déplore. Ça tourne en vase clos ce sont des étudiants qui viennent entendre des professeurs qui forment des étudiants pour qu’ils deviennent des professeurs.

Vous avez créé un festival, pouvez-vous m’en parler.

Je fais un festival tous les 2 ans, il a lieu à Pibrac dans le sud de Toulouse à 15 km, c’est le lieu où j’ai grandi,  il y a une très belle église sur une très jolie esplanade.  Il est dans l’état d’esprit de ce que je fais sur France Musique. Il y a des guitaristes qui viennent, des auditeurs de France Musique, des gens du village, de Toulouse, la programmation est à l’image de l’émission, on peut écouter du tango, de la guitare flamenco, entendre des étudiants, des guitaristes plus confirmés, on mélange tout ça,  le prochain festival aura lieu l’été prochain.

J’avoue ne pas bien connaître les compositeurs contemporains !

Il y en a quelques-uns, il y a eu quelques pièces célèbres au 20ème siècle qui ont inscrit la guitare dans une modernité, on est parti de Manuel de Falla qui a fait un hommage à Debussy, qui a plongé la guitare dans une nouvelle écriture, il y a eu le corpus de Villa Lobos, il y a Benjamin Britten qui a fait un nocturne superbe, et on est arrivé jusqu’à Tellur de Tristan Murail pour avoir la vieille génération et aujourd’hui il y a quelques personnes mais c’est très fragmenté en fait, il y a par exemple Éric Pénicaud qui fait un travail dans la lignée de Maurice Ohana qui avait aussi écrit pour la guitare, il y a toute une école brésilienne autour des frères Assad qui composent des pièces de caractères, posent des pièces à caractère brésilien, il y a une grosse littérature qui est peu jouée en concert

Et bientôt il y aura du Llinares 

Moi je fais ma musique, mais je ne peux pas dire que c’est de la musique contemporaine, c’est un truc entre l’improvisation, le jazz

Mais au départ tous les compositeurs improvisent.

Comme je compose, je sais improviser. J’aimais bien cette image, j’avais créé une pièce de Raphaël Andia qui fait du flamenco un peu cubiste, découpé, déformé, une pièce très difficile à jouer, il disait: je fournis de la matière, je travaille l’écriture pour qu’elle sonne d’une certaine manière, je fournis cette matière première pour que les vrais compositeurs se l’approprient, et en fassent quelque chose, ce qu’il avait fait pour Tellur d’ailleur, il avait montré à Murail toutes les structures de jeux, toutes les sonorités, et Murail se les ai appropriées, j’aime bien cette idée.

Moi ce qui m’énerve quand j’entends de la guitare contemporaine c’est les coups sur le bois, sur la caisse de résonance, on tape sur les cordes …

Se planquer derrières les effets s’il n’y a pas une idée qui soutant tout çela c’est effectivement insupportable,  je suis bien d’accord avec vous. Un des charmes de la guitare, d’ailleurs on le voit avec les petits élèves avant de faire joliment les gammes, ils ont envie de faire du bruit, ils aiment bien tester, mettre du papier sur les cordes, il y a des matières qui sont incroyables à trouver, avec la guitare électrique n’en parlons pas, il y a une matière brute qui est fascinante.

Et vous alors quel est votre style, 

Moi ce ne sera que des notes, de jolies notes, qui vont bien ensemble (rires)

Cela va être des fichiers Internet ?  Comment va-t-on pouvoir les écouter ?

Je suis très partagé, j’amène mes disques au conservatoire, par exemple le Satie, et mes élèves me répondent qu’ils n’ont rien pour les lire!

C’est dramatique, ils ne savent plus écouter de la bonne musique, ils écoutent du MP3 sur leur téléphone, dans leur casque ,

Hélas c’est la plupart des gens qui fonctionnent ainsi. Sortir un disque aujourd’hui ça devient très chers, la logistique demande de l’argent, on doit avancer les sommes aux producteurs, on doit acheter nos propres disques pour les revendre aux concerts, on marche un peu sur la tête tout devient très compliqué. Je ne sais pas qu’elle est la manière efficace pour faire écouter ce qu’on compose, qu’on joue.

Alors comment va-t-on faire pour connaître vos compositions?

Le disque que je vais sortir, il va y avoir 2 volets. Une partie pour guitare seule, et là il y aura les partitions et elles seront éditées, c’est une musique qui pourra être déclinée en petit ensemble, on a le projet de le jouer en guitare jazz, guitare espagnole et violoncelle, en trio. Cela pourra être aussi décliné pour des ensembles plus larges, la base c’est ce que je fais sur la guitare seul, et de là on peut orchestrer.

Ce que vous avez fait sur Satie je suppose que cela vous appartient? 

Oui j’ai énormément de demandes mais j’en ai édité que deux: la valse je te veux et la gnossienne 4 éditée dans le magazine guitare classique; le reste je l’ai travaillé sur les partitions de piano je n’ai rien écrit, donc il n’existe pas d’arrangement spécifique, je partais directement de l’original.

Ah, moi je croyais que c’était des arrangements ! 

Non non, l’arrangement était sur la valse parce que c’est chanté et Parade qui est une oeuvre orchestrale. Mais ce ne sont pas les pièces qu’on me demande ce sont les Gymnopédies, les Gnossiennes qui partent directement de la partition de piano. Depuis je suis passé à autre chose après.

Vous parliez de jazz, vous en faites toujours ?

Comme j’ai fait musicologie de jazz, tous les jours je continue, mais ça se retrouve dans la spontanéité par rapport à la partition, dans la musique ancienne, dans l’ornementation

Dans certaines émissions vous jouez avec vos invités ce sont des sortes d’impros. 

Lorsque j’ai invité Frédéric Loiseau on a improvisé sur des partitions de Sor et j’ai trouvé ça formidable. Je jouais la partition et lui improvisait c’était formidable parce que c’est un improvisateur né !

Aujourd’hui on accepte plus facilement des arrangements jazz sur des compositions classiques.

Avec Loiseau c’était très facile d’improviser, le faire sur des partitions c’est un jeu fantastique que je fais souvent.

Savez-vous le nombre d’auditeurs qui écoutent votre émission ?

Je sais combien de gens téléchargent mes émissions, mais l’hertzien reste la plus grosse partie des auditeurs et de loin.

Moi j’avoue que je la podcast !

C’est vrai que je suis très podcast aussi, on télécharge jusqu’à dix-huit mille fois chaque émission, je pense que les gens de la guitare téléchargent pour avoir les programmes précis, l’émission est fidélisée, par le monde des cordes pincées

Vous êtes pratiquement la seule émission sur la guitare

Depuis Vidal il n’y en avait plus du tout, Il y avait tout à refaire,

Les élèves sont-ils fiers d’avoir leur professeur qui parle dans le micro ? 

Oui quand même, j’espère, ou ils font semblant (rires).

Ils vous demandent des autographes 

Sur les disques mais ils ne peuvent pas les écouter alors ça ne sert à rien (rires)

Alors y’a-t-il des concerts en perspective ?

Oui en septembre je joue avec la violoncelliste Maïtane Sebastian l’Arpeggione de Schubert à Abbeville après au festival Pizzicato de la Baie de Somme puis je pars sur le Guadalquivir faire une croisière musicale.

Arrivez-vous à avoir les stars américaines pour votre émission ? 

On a du mal à les faire venir en France, j’aimerais avoir le guitariste Eliott Fisk de Boston, à cause de la Covid, on a tout annulé et reporté, c’est une légende vivante de la guitare.

Vous avez pu faire venir Paul O’Dette

Génial! Mais il est moins rare, il vient de temps en temps en Europe,  En voilà un qui a eu un parcours atypique, Il a commencé par la guitare électrique, le rock, il a joué de la musique irlandaise dans les pubs il vient du terrain et je trouve cela fantastique. Il joue de tout, de la guitare baroque, du luth, il connait les musiques populaires, il joue de la guitare classique avec ce côté très populaire.

La guitare classique avait quand même, à une certaine époque, un côté bon chic bon genre

Ça vient surtout de l’image qu’ont donné les Lagoya, Yepes, Segovia, pour lutter contre une image très popu qu’avait la guitare. Du coup ils sont allés de l’autre côté, avec les belles salles de concert, donner un genre, maintenant c’est révolu, la guitare s’est démocratisée, on est passé à autre chose, ce qui ne veut pas dire que ces interprètes étaient moins bons, je ne les dénigre pas, l’attitude au piano à la Horovitz ça n’existe plus .

Est-ce qu’il y a des duos, des trios, que vous aimeriez faire ?

Le quatuor à corde et la guitare ça marche bien, j’en ai déjà fait

Avez-vous essayé de composer pour ce genre d’ensemble ?

Je ne sais pas si j’en suis capable, je peux écrire pour de la contrebasse, pour des percussions parce que j’en ai fait, pour le piano aussi, il faut s’y plonger, j’aime bien accordéon percussions, contrebasse,

J’ai un souvenir de xylophone / guitare

C’est beau aussi, où avez-vous entendu ce genre de duo ?

C’était à Pleyel il y a longtemps avec Gary Burton au xylophone et Larry Coryell à la guitare. Est-ce que vous arrivez à déceler rapidement dans vos cours un étudiant qui est très doué ?

Oui très, Il y a des enfants qui vont très très vite mais ce n’est pas forcément cela qui vont persister. C’est cliché de le dire mais en enseignant on apprend aussi beaucoup.

Alors au bout de ces 5 saisons vous souvenez-vous d’un moment magique ?

Quand j’invite quelqu’un c’est que je l’aime bien, c’est compliqué de répondre, avec Frédéric Loiseau j’ai un très très bon souvenir, il s’est passé quelque chose de formidable, rien n’était préparé où se trouvait devant le micro et on a improvisé,  c’était un magnifique moment

Et un disque, qui vous a vraiment marqué ?

C’est un disque d’Eliot Fisk où il joue Scarlatti, il a fait les arrangements. Il est le dernier élève de Segovia, il a travaillé la musique baroque avec Ralph Kirkpatrick, il est très contesté dans le monde de la guitare parisien, il est quelqu’un de très baroque quelquefois ses guitares explosent,  il a changé vraiment ma vie musicale.

Alors on va conseiller aux gens d’écouter ce guitariste et on vous souhaite une longue vie à France Musique.

 

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