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[ENTRETIEN] : Valentin HADJADJ: de la musique qui sert l’action

Pour son premier long métrage « Avril et le Monde Truqué » de Franck Ekinci et Christian Desmares, avec des dessins de Tardi, le jeune compositeur Valentin Hadjadj a remporté plusieurs prix internationaux dont celui de l’UCMF pour la BO. Il a fait ses études musicales à Lyon, a suivi des stages auprès de compositeurs confirmés, a écrit pour des courts-métrages. Il accepté autour d’une bière un rendez-vous avec nous.

Comment êtes-vous arrivé sur ce long métrage d’animation, tout jeune compositeur avec aussi peu d’expérience ?

Je pense que c’est mon agent Jean Pierre Arquié et le conseiller musical Emmanuel Deletang qui m’ont recommandé. Il y avait déjà un compositeur sur le film, c’était quand même spécial comme situation. Les compositeurs qui ont plus de bouteille n’acceptent pas ce genre de condition.

Qu’aviez-vous comme expérience ?

J’étais encore étudiant au CNSMD à Lyon, j’avais fait pas mal de courts, j’avais fait un documentaire avec Gérard Corbiau. Je n’avais pas fait énormément de choses, des films d’étudiants. J’ai fait un dessin animé où le discours musical collait assez bien avec celui d’Avril. Je pense qu’ils ont dû le voir. On a fait des essais et si cela n’avait pas marché, ils ne m’auraient pas pris !

On ne dira pas le nom de l’autre compositeur !

On ne dira pas son nom ! Après trois mois il n’y avait pas grand chose qui avait été sélectionné par la réalisation. Donc la production a cherché un compositeur qui puisse travailler avec lui et arranger et orchestrer sa musique.

Êtes-vous arrivé le film terminé ou pendant le montage ?

Le début était terminé mais la fin du film ne l’était pas. Comme je composais en chronologie ce n’était pas gênant. J’ai travaillé une semaine avec l’autre compositeur, mais ça ne marchait pas…

Vous ne vous entendiez-pas ?

Non non, mais pour aller plus vite on s’était partagé les séquences ; moi j’avançais de mon côté et lui non.

Avait-il déjà travaillé pour des longs ?

Non c’était son premier. Il avait fait un peu de télé mais la demande sur le film était plus lourde que ce qu’il avait déjà composé !

Il n’avait peut-être pas le bagage suffisant techniquement ?

Il écrivait pas mal mais il n’avait pas une vision globale du film.

Lorsque vous avez rencontré les réalisateurs, que vous ont-ils dit au sujet de la vision musicale de leur film ?

C’était assez clair dès le début parce qu’ils avaient monté leur film avec des musiques qui allaient de Stravinsky à Cliff Martinez ! Le premier vrai travail c’était de trouver une vraie couleur au film. Il y avait du Herrmann, de la musique orchestrale. Entre moi et les réalisateurs il y avait des intermédiaires, comme mon agent Jean Pierre Arquié et le conseiller musical Emmanuel Deletang. Ils se connaissent bien, ils sont dans le même bureau, ils avaient déjà été briffés par ce que voulait la réalisation.

Que leur avez-vous proposé ?

Je leur ai expliqué comment je pensais travailler : d’abord trouver des thèmes, pour avoir une cohérence sur tout le film. Les thèmes ont été validés et du coup j’ai avancé, avancé et comme le premier compositeur n’était plus là, j’ai continué…

La musique sur un dessin animé c’est très important ?

Oui, le travail au niveau du son a été énorme et il restait moins de place pour la musique. Mais par exemple il y a beaucoup de courses poursuites dans le film et la musique apporte du punch !

Les réalisateurs avaient-ils une culture musicale ?

Moi j’ai eu une relation avec Franck. Christian je ne l’ai eu qu’au téléphone. Les musiques étaient déjà très compartimentées, il n’y avait pas beaucoup de discussion. Ils ont assez vite validé. Il n’y a pas eu réellement de discussions sur le fond, ils savaient exactement ce qu’ils voulaient.

Et que voulaient-ils au départ ?

Ils voulaient de la musique qui sert l’action, pas l’émotion. Comme le film est assez décalé, je voulais renforcer cela, ce côté étrange, bizarre.

Lorsqu’on écoute votre musique, on sent des influences de Herrmann… une musique très symphonique.

J’ai fait mon mémoire sur Herrmann, je le connais un peu. Je pense que c’est dans le son des cordes que l’on sent cela, comme des enregistrements de l’époque, assez aigres, durs et froids, et cela marche pas mal sur le film, ce côté des années 40. Il ne fallait pas un son ample et beau. Herrmann c’est les cordes !

Avez-vous dirigé l’orchestre ?

Non, je ne suis pas formé pour et puis il fallait aller vite, bien parler anglais : on avait le Philharmonia à Londres. Il y avait un orchestrateur qui travaille avec Eric Neveux qui était là pour m’épauler en cabine. Il m’a bien coaché, on s’est bien entendu.

Vouliez-vous toujours faire de la musique de film ?

Oui, ado j’aimais beaucoup ce genre de musique ! Si je n’avais pas su qu’il existait une formation je n’aurais jamais tenté de devenir compositeur. Au lycée j’ai passé un bac musique puis j’ai fait le conservatoire en guitare, j’ai étudié l’harmonie, le solfège, la musicologie. Et j’ai eu un prof qui m’a dit qu’il existait une formation de composition de musique de film et donc je l’ai suivie !

Est-on musicien dans votre famille ?

Oui et lorsque j’avais quatre, cinq ans on m’a demandé si je voulais jouer d’un instrument et j’ai choisi la guitare.

Vous auriez pu faire du rock !

J’ai eu un groupe mais ce n’était pas fameux fameux. Non c’est la musique orchestrale qui m’attirait, la musique de film c’est très bien !

Quelle musique de film écoutiez-vous quand vous étiez ado ?

C’était le Seigneur des Anneaux , même si maintenant ce n’est pas ma musique préférée. Mes parents écoutaient Barry Lyndon  mais c’est de la musique classique, j’allais beaucoup au cinéma mais je n’étais pas attiré par la musique plus que ça ! J’aimais beaucoup les compositeurs classiques fin XIXème début XXème, qui ont fait de la musique très imagée, le Sacre du Printemps, la Symphonie du Nouveau Monde. Ce sont des musiques qui me parlaient beaucoup. La musique contemporaine n’est pas une musique qui m’attire ! Je trouvais que les images étaient un très bon support pour écrire.

Et la guitare ?

J’ai complètement arrêté à vingt ans !

Et comment faites-vous pour composer ?

J’ai toujours joué du piano, je compose à l’ordi et je maquette beaucoup, ça me rassure et après je fais les partitions, où je réécris beaucoup.

Vous vous sentez un symphonique ?

Quand j’ai commencé à faire de l’écriture musicale, on écoutait Boulez, Messiaen. Je ne me reconnaissais pas du tout dans cette musique mais on nous la présentait comme la musique qu’il fallait faire aujourd’hui ! La musique de film était un super moyen pour m’identifier musicalement même si quelquefois je trouve qu’on ne va pas assez loin ! Lorsque je vais au cinéma et que le film est vraiment réussi, je n’arrive pas à me concentrer sur la musique, je déconnecte complètement !

Est-ce que des réalisateurs, des producteurs, vous ont contacté après que vous ayez composé pour ce film?

Oui j’ai fait un documentaire, parce qu’il y avait un des animateurs qui avaient travaillé sur Avril, mais je n’ai pas eu de retour direct. Il n’y a pas beaucoup de films d’animation qui se font en France. Je ne sais pas si la musique que j’ai écrite intéresse des réalisateurs qui font du cinéma en prise réelle. Ils ont du mal à se projeter.

A l’écoute de la musique seule on n’a pas cette impression. C’est de la vraie bonne musique de film ! Parlez-moi de vos derniers projets.

J’ai travaillé avec le groupe Pink Martini pour un film qui sort fin août. J’ai cosigné la musique sur des paroles pré-écrites des chansons. C’est l’histoire d’une chanteuse avec Isabelle Huppert comme actrice principale.

J’espère que vos prix vont vous faire mieux connaître !

C’est trop tôt pour en parler ! Je ne sais pas si les gens de cinéma s’intéressent aux prix pour la musique. Le prix de l’UCMF a fait plaisir à toute l’équipe qui était présente à la SACEM et j’espère qu’on va retravailler ensemble !

C’est une société qui fait beaucoup d’animation !

Oui ils font beaucoup de télé, ils ont fait  Persépolis , Le Jour des Corneilles. Mais les délais sont immenses, donc c’est très difficile de faire un film par an. Je crois pour Avril qu’ils ont mis plus de sept ans !

Avez-vous des contacts avec des compositeurs ?

Oui parce que j’ai fait pas mal de workshops, de résidence, à Aubagne, à la maison du court. Je connais beaucoup les compositeurs de mon âge, de ma génération. A 25 ans faire un long-métrage c’est très jeune ; en général c’est trente, trente cinq ans. Il faut avoir de la chance c’est ce que j’ai eu,

Vous avez eu un agent très tôt ?

En fait Jean-Pierre je l’ai démarché pour faire mon stage que j’ai fait chez Cyrille Aufort et il a pensé à moi pour le projet !

Qu’est-ce que vous avez appris chez Cyrille Aufort ?

Tout le côté technique du métier que je ne connaissais pas du tout, les exports, les partitions à préparer, les partitions pour les enregistrements, l’organisation du travail. Il est très maniaque là-dessus. Moi je suis bordélique et il m’a appris à être très technique, technique. Il a travaillé sur La Glace et le Ciel , c’est vachement bien écrit ! La BO de Splice est fabuleuse ! Cyrille a fait la même école que moi, donc il est très orchestral !

Votre actualité ?

J’ai une commande pour l’Orchestre de Basse Normandie, un ciné concert avec des films de Mélies, 50 minutes de programme ! J’ai un documentaire…Joker !…tant que ce n’est pas signé…je n’en dirai pas plus…c’est sur les enfants de migrants, un documentaire espagnol ! Quelques courts-métrages, une série télé en préparation, petit format…et un long métrage qui se profile pour 2017…

Gagnez-vous votre vie ?

Je commence grâce à Avril.

Où peut-on trouver la musique du film ?

En téléchargement chez 22D. C’est Emmanuel Deletang qui est l’éditeur de la musique. Il a un énorme pied dans l’animation.

Alors cher Valentin à bientôt sur les écrans !

 

 

 

 

 

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