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« GALERIE CLAIRE CORCIA » : DE LA BONNETERIE À L’ART CONTEMPORAIN

GALERIE CLAIRE CORCIA, 323 rue Saint-Martin 750003 Paris.

Lorsqu’on pousse la porte de cet endroit, on est frappé par la lumière, l’espace et les toiles immenses qui sont exposées. La lumière on la trouve aussi dans les yeux pétillants d’une belle brune, une petite quarantaine qui vous accueille avec un sourire naturel. C’est Claire Corcia. Elle a eu le culot de monter une galerie en dehors des circuits habituels des marchands d’art contemporain ! Comme on aime les chemins de traverse on se devait d’aller à sa rencontre avant sa prochaine exposition ce jeudi 8 septembre 2016.

– Est-ce qu’il ne faut pas être un peu folle pour monter aujourd’hui une galerie d’art ?
– Sûrement ! Tout le monde a essayé de m’en dissuader, notamment André Schoeller pour qui j’ai travaillé pendant six ans à Drouot, dans l’expertise de l’art contemporain, l’art africain et d’Océanie qui sont mes deux spécialités de formation ! On m’a dit tu ne dormiras plus la nuit, tu auras des dettes, lui en avait fait l’expérience ; c’était un esthète et il a découvert les plus grands ; c’est un métier dur, de passions, d’engagements, de convictions ; les artistes pressentent notre société, les orientations de notre vie, l’humain, c’est pourquoi, ici, je montre des gens qui nous offrent ce miroir avant même qu’on puisse l’appréhender en réalité ; c’est le bain de l’inconscient collectif qui nous est livré et qu’ils nous offrent ! Donc il faut le saisir à pleine main pour être dans son temps, pour comprendre ce qui nous arrive alors que l’on n’en a pas les clés, il n’y a que les artistes qui peuvent nous l’offrir ! Galeriste c’est un métier fou mais c’est fabuleux d’être en direct avec la création, avec des gens qui sont des sortes de médium.

– Désolé, mais tout le monde peut avoir ce discours ; soyons clair, il faut trouver un lieu, trouver des artistes, prendre des risques, avoir du nez et puis vendre ! Ce n’est pas de la philanthropie, c’est quand même du bizness non ?
– Tout à fait, c’est un métier qui est tentaculaire, c’est à dire on traite avec des gens qui créent, avec des médias. Les gens qui fréquentent les galeries, ce sont des gens qui comprennent le bien que l’art peut leur faire, donc ça permet d’avoir en face de soi des gens extrêmement intéressants ; on ne le sait pas lorsqu’on ouvre une galerie que c’est très addictif, c’est une nourriture quotidienne!

– Ok là vous êtes dans un message intellectuel ! Comment avez- vous pu monter ce lieu qui n’est pas dans le quartier de l’art ? Comment arrivez-vous à trouver des artistes qui veulent bien venir chez vous, comment arrivez-vous à en vivre ; c’est je pense la base avant de disserter sur le pourquoi et le comment de l’art en général !
– Comme j’ai travaillé pendant six ans à Drouot, le week –end j’allais dans les ateliers d’artistes. Malheureusement Drouot c’est le fossoyeur de l’Art, j’ai choisi d’être du côté des vivants ! Je suis allée rencontrer des gens qui ont besoin de se faire connaître, besoin d’en vivre et je me suis dit c’est là que je dois me positionner ; au bout de six ans d’expertises j’ai pris cette prise de risque évidente ; il faut croire en son jugement, et se dire je tente cette expérience de ma vie !

– Vous n’êtes pas dans un quartier où l’art n’est pas mis en valeur ! C’est plutôt le quartier de la fringue en gros !
– Justement ici tout est possible ! En 2008 j’étais la seule, la propriétaire était étonnée car on vendait des vêtements dans ce lieu ! C’était de la bonneterie depuis cinquante ans ! Je me suis installée là parce qu’au début j’ai visité dans les environs du Centre Pompidou, j’ai vu des galeries de vingt mètres carrés c’était étouffant ! Et puis j’ai vu une annonce de cet endroit qui fait 4m10 de hauteur, rue Saint Martin, le long d’une voie romaine et face aux Arts et Métiers qui est un monument historique ! Pour moi c’était une évidence à cause de l’espace qu’on proposait ! Le sous-sol est parfaitement sain, et j’ai ainsi 160 mètres carrés ce qui permet aux artistes de faire du très très grand, il y a possibilité de faire de nombreuses choses ; on a fait des performances, des concerts, c’est le lieu de tous les possibles ! Depuis que je me suis installée en 2008, c’est devenu un quartier de galeries, un quartier d’artisans, un quartier branché et pour la petite histoire je suis mitoyenne de Jean-Paul Gautier qui vient souvent me rendre visite !

– Vous souvenez-vous de votre première exposition ?
– C’était avec Joanna Flatau

– C’est difficile de faire un choix je suppose ?
– Les artistes, pour certains, je les avais trouvés avant mais, j’ai compris au départ qu’il fallait trouver une sorte de conjonction entre le public et un artiste. C’est ce qui s’est passé avec Sergio Moscona ! Pour une galeriste être témoin de cet engouement, en plus transgénérationnel, et que tout le monde aller se mettre à acheter ses œuvres, ça vous prouve que vous aviez raison de monter une galerie !

– Comment l’avez-vous découvert?
– Je travaille avec lui depuis six ans ! La galerie avait déjà deux ans ! En réalité ce sont les artistes qui vous choisissent ! Ils se parlent entre eux c’était le cas d’Ody Saban, immense artiste d’art brut qui est aujourd’hui dans une vingtaine de musées dans le monde; c’est elle qui est venue chez moi, Sergio lui est venu parce qu’il aimait les artistes que j’exposais, je ne le connaissais pas ! Ce sont souvent des relations affectives.

– Vous recevez beaucoup d’artistes ?
– Enormément, mais malheureusement je ne peux pas contenter tout le monde et en plus on se forge une identité en tant que galeriste ; les gens viennent vous voir pour un certain type d’art, je suis spécialisée dans l’art contemporain figuratif, plutôt expressionniste, l’art brut, mais au mois de septembre j’expose deux artistes Serge Haziza et Dan Barichasse qui font de l’abstraction lyrique ! J’ai aussi envie d’ouvrir ce champs, celui de la matière, de la texture, de tout ce qu’on peut inconsciemment projeter dans l’œuvre; je suis en dehors des modes dans mes choix, en dehors de la tendance générale, je vais vers l’émotion, la couleur, vers la comédie humaine ; Balzac a été mon choc le plus grand quand j’avais onze ans ! Le fil rouge de la galerie c’est cela, la Comédie Humaine!

– Quelles études aviez-vous faites au départ ?
– J’ai fait un bac scientifique pour faire plaisir à mes parents, ensuite prépa science po, puis une maîtrise en art contemporain, puis l’école du Louvre, puis une licence d’anglais, un deug de droit et j’ai fini par un troisième cycle à IESA pour connaître le droit du marché de l’art et la technique de la peinture, de la gravure. J’ai fait des stages fabuleux chez Christie’s, Sotheby’s à Paris et à Londres en art contemporain, puis chez René Millet pour la peinture ancienne, chez Eric Turquin, mais il fallait que je sois avec les vivants avec mon temps, dans l’action !

– Y’a-t-il beaucoup de femmes galeristes ?
– Il se trouve qu’à la galerie je défends des femmes artistes, je sais que des galeries ne veulent pas en prendre parce qu’elle se vendent moins ; ces artistes montrent leur féminité et ce sont les femmes qui achètent cette peinture mais elles doivent avoir l’assentiment de leur mari ! Si ça ne plaît pas au mari, elles ne l’achètent pas ! Beaucoup de femmes artistes qui expriment leur féminité ne s’en sortent pas !

– Vous trouvez que la peinture est sexuée ?
– Effectivement chez certains artistes ça ne se décèle pas, néanmoins certaines artistes femmes vont travailler avec des matériaux qui leur rappellent leur enfance, et pour affirmer leur féminité elles vont l’inclure dans leurs tableaux. Mais c’est très difficile de vendre des œuvres où la féminité est ouvertement, volontairement affichée.

– Lorsque l’on dit marchand d’art est-ce que c’est une expression qui vous choque ?
– Oui parce que je vends du rêve ; les gens qui achètent dans ma galerie sont touchés par une œuvre.

– Il y a de nombreuses galeries qui vous font passer des je ne sais quoi pour de l’art, vous en faite partie ?
– Moi je suis en dehors de ce marché, je suis quelqu’un d’authentique dans mes choix, je suis contre cette mouvance majoritaire et dominante qui fait malheureusement la loi aujourd’hui !

– N’est-ce pas difficile d’exister dans ce cas ?
– Oui et non ; dans les foires oui, mais avec les américains si vous avez de bons artistes ils vous les prennent tout de suite ; ici il y a du copinage, il faut faire ami ami.

– Mais Paris n’a plus depuis longtemps le vent en poupe dans la création artistique
– Il faut aller là où les gens sont en quête d’authenticité et non pas où il y a des mouvements dominants ; il faut se demander lorsque l’on est galeriste ou amateurs d’art ce qui nous fait vibrer, se demander avec quelle œuvre on a envie de vivre !

– Vous avez une clientèle spécifique ?
– J’ai de tous les âges et de tous les milieux, surtout des Français entre trente et cinquante ans, ils ne cherchent pas forcément à faire un investissement.

– Qui fixe le prix ?
– Ce sont les artistes qui décident, moi je ne souhaite pas mettre des prix trop élevés, mon but ce n’est pas le profit mais de continuer à faire vivre la galerie, défendre des artistes qui puissent eux aussi vivre de leur art. Les artistes que j’expose se retrouvent aujourd’hui dans des Musées ! Seyni Camara, est exposée au Havre, Sergio Moscona au Musée Mandet, Ody Saban, dans plusieurs musées…

– Combien d’expositions dans l’année ?
– Six ! C’est entre trois semaines à un mois pour un artiste. Comme il y a trois salles dans ma galerie, je peux en montrer trois ! C’est une logistique énorme !

– Beaucoup de galeries ferment ou se mettent sur internet ou font des expos en chambre, vous arrivez à résister ?
– J’ai la chance d’avoir un espace fabuleux, les gens aiment venir ici, ils prennent leur temps ; des écrivains, des artistes, des comédiens célèbres ; viennent non pas pour être vus mais échanger ; ils savent que je propose des artistes authentiques et peuvent partager des moments privilégiés ; je suis sur les réseaux sociaux et aussi sur Artsper qui permet d’acheter de l’art à distance. Ca fonctionne très bien.

– Envisagez-vous d’ouvrir ailleurs, à New York par exemple ?
– Evidemment tout le monde en rêve, on a envie de faire partager nos passions pour nos artistes.

– Et votre mari que pense-t-il de tout ce temps que vous passez à la galerie ?
– Il est ravi ! Il est enseignant chercheur à la fac, il anticipe les tendances et m’aide beaucoup, il est de bons conseils et me soutient énormément ; sans lui je n’aurais pas ouvert cette galerie.

– Au moins il sait où trouver sa femme lorsqu’il veut la voir !
(rires !)

contact@galeriecorcia.com
www.galeriecorcia.com

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