En ce mois de juin 2018 s’est tenu le « Très Court International Film Festival », festival de courts métrages de moins de quatre minutes. C’est au Forum des Images qu’il a eu lieu. Cette année c’est le réalisateur et comédien Eric Judor qui était le président du jury. Compte tenu de la piètre sélection des films, les prix distribués étaient pratiquement évidents.
La sélection étrangère, surtout hispanique, était largement supérieure à la française. Hélas c’est une constante dans notre cinéma aujourd’hui et à voir ces courts ce n’est pas demain qu’on aura une nouvelle vague ! Il nous a offert des films plan plan, allant du ridicule achevé – « Le Dernier Cadeau », le réalisateur Jonathan Schupack a un tel ego qu’il a mis un certains nombres de fois son nom au générique! à la grosse farce éculée pas drôle du tout comme « Bambino », « Cocu », « De l’Amour en Boîte », « Je suis dix Euros ». Il y avait quelques tentatives maladroites, et c’est normal, intéressantes comme « Je suis Timide » de Thomas Scohy à la manière des frères Farrelly (« Dum and Dumber »), ou sur la pédophilie avec « Le Beau Dessin » de Guillaume Courty. La patte professionnelle de Pierre Dugowson se sentait dans son film « Leçon de Chose », court qui aurait mérité un prix d’interprétation tant Nicole Ferroni est habitée dans son rôle d’institutrice (on ne spoliera pas le film).
C’est dans l’animation que les Français sont les plus inventifs et les écoles sont de haut niveau. On a le vent en poupe dans ce domaine et on comprend que le jury ait hésité à donner le Grand Prix à « La Légende de la Chèvre qui Connaissait le Vrai Sens de la Montagne » de Juan Olarte, Corentin Yvergniaux, Léon Brunel. Ce très très court aurait pu recevoir les trois prix ! Le titre du film est aussi long que le court est court ! L’Allemagne- « Shine », « L’Aria des Moscerino » – Le Royaume-Uni – « Cabin Pressure », « Happiness » – Les Etats Unis – « Extinguished », « In a Heartbeat » – Les Pays Bas – « Catastrophe » – Le Canada – « I’am Here » – ont proposé de très bons dessins animés et originaux. L’animation se porte bien !
Les prix décernés sont donc :
Le Grand Prix à: « It’s all right, it’s Ok »de Jim Cummings (Etats-Unis)
Le Prix d’Animation à : « La Légende de la Chèvre qui Connaissait le Vrai Sens de la Montagne » de Juan Olarte, Corentin Yvergniaux, Léo Brunel (France)
Le Prix de L’Originalité à : « I am Here » de Eoin Duffy (Canada)
Mention Spéciale à : « Big Data » de Javier San Roman Martin (Espagne) & « Preliminares » de Teresa Bellón, César F. Calvillo (Espagne)
Prix Canal Plus à : « The Wedding » de Ben Blaine et Chris Blaine (Royaume-Uni)
Le Prix Paroles de Femmes à : « Les Passantes » de Charlotte Abramow
Le prix du public sera donné bien plus tard, il faut attendre un dépouillement assez complexe.
En fin de soirée le public (beaucoup de supporters des réalisateurs) était content et en fin de compte la qualité des films ne lui importait peu, ce qui est bien dommage car dans d’autres festivals de courts il y a plus d’exigence dans la sélection. A vingt ans on n’est plus un adolescent…
Les deux projections en parallèle étaient de loin les plus intéressantes. « Paroles de Femmes » et « Ils Ont Osé », ont prouvé qu’avec moins de quatre minutes ont peut parler de vrais problèmes de société, d’être très originaux et de battre en brèche un certain cinéma conventionnel à la papa. On retrouve Corentin Yvergniaux dans un film d’animation « The Return of the Monster » d’une grande drôlerie, Jonathan Browning avec « For a Good Time », ou Daniel Koren avec « Noisy Furniture » ont fait pleurer de rire la salle, mais bien d’autres courts-métrages trashs ont enthousiasmé le public, hélas assez clairsemé et c’est bien dommage, car la création était là au rendez-vous.
A l’occasion de ce vingtième anniversaire, on a interviewé Marc Bati , le coordinateur du festival. Qui aurait cru que des projections de courts entre amis allaient susciter un tel engouement ! Aujourd’hui ce festival existe dans 72 villes dans le monde jusqu’en Nouvelle Calédonie.
Cette année, vous entamez la vingtième édition du Festival Très Court toujours au Forum des Images, pouvez-vous en faire un rapide bilan ?
C’est une belle aventure, un long chemin, on a vu tout ce qui s’est réalisé en format très courts…Pour la première édition You Tube n’existait pas, c’était plus compliqué….
Quel a été le déclic pour organiser un tel festival ?
Il y a 20 ans il y a eu l’arrivée des minis dv, il commençait à avoir des ordinateurs suffisamment puissants pour monter à la maison, avant, pour faire du court, il fallait avoir des boîtes de prod, du matériel lourd et onéreux, des équipes entières, donc avec ces caméras c’était le début des productions faites chez soi, c’était le même mouvement qu’il y avait eu pour la musique avec les synthés une dizaine d’années avant. Dans les festivals de courts, les petits formats n’étaient pas bien accueillis, il n’y avait pas de place pour eux ; pourtant il y avait des choses intéressantes, undergrounds, qui nous plaisaient, nous, une bande de copains, on avait entre trente et quarante ans, on était dans le monde du cinéma, de la création artistique…moi j’étais dans la BD ; au départ on voulait faire une soirée de courts qu’on appelait festival mais on ne pensait pas renouveler l’expérience…
Dans quel lieu a été organisé la première soirée ?
Déjà au Forum des Images ! Ils ont trouvé que l’idée était tout à fait dans leur cahier des charges. La soirée a été mémorable car sur une salle de 500 places, il y a eu près de 200 personnes qui ne sont pas entrées ! Quand on fait une sélection de 50 films, cela veut dire 50 réalisateurs avec leur réseau c’était plein tout de suite…
C’était gratuit ?
Non mais un prix bas. Il y a eu tout de suite un intérêt pour ce genre de projection, les formats très courts on ne les voyait nulle part.
Etait-ce facile de trouver ces courts ?
Au départ c’est nous qui cherchions les films, on faisait fonctionner le bouche à oreille, on a eu un réalisateur surdoué, un italien, qui a proposé une trentaine de films, il a fait partie du premier festival, on avait 80 % de fictions et 20% d’expérimental.
Et ensuite ?
On avait monté une association pour la première et puis on a continué, elle s’appelait « Trait D’esprit » qui a été remplacée par une société de production puis par une autre association. Ce n’est qu’à partir de la septième édition que l’on s’est professionnalisé lorsqu’on a vu l’importance que prenait le festival, on faisait cela en plus de notre boulot, au départ ce n’était que pour s’amuser…
Vous avez ensuite diversifié les lieux
La province nous a demandé de voir ces films, mais on ne voulait pas faire des tournées, alors on a proposé aux villes intéressées de faire le festival en même temps que Paris. Ca résolvait le problème des droits sur un jour plutôt que sur une année. A partir de la quatrième édition on a eu quatre villes, puis d’autres sont venues. On a pu le faire grâce à des associations, des copains, qui vivaient dans ces villes. Il y a un phénomène curieux avec les courts c’est que lorsque les gens venaient en voir une année, automatiquement ils revenaient l’année suivante, il y a une sorte de phénomène désinhibant avec le très court, on pense en le voyant qu’on peut le faire aussi, que c’est plus accessible qu’un court métrage traditionnel… ce qui est une fausse idée,
Quelle est la difficulté selon vous pour réaliser un court de moins de quatre minutes ?
Trouver une idée originale et apporter un style, même un gimmick peut suffire ! On accepte des films d’une à deux minutes, le principe est que les films ne doivent pas durer trop longtemps !
Avec You Tube la donne a changé non ?
You tube c’est la foire totale, ce n’est pas évident de trouver de bons courts-métrages, la profusion c’est le problème de You Tube.
Le choix des films ne doit pas être évident à faire ?
Il y a plusieurs manières d’arriver au « Très Court » ; il y a des inscriptions ouvertes où les gens s’inscrivent directement, il y a des appels sur des plateformes spécialisées, nationales ou internationales qui sont des lieux connus des réalisateurs pour être sélectionnés dans des festivals, il y a aussi des festivals qui ont d’énormes cinémathèques.
Le Très Court est devenu encore plus important aujourd’hui.
Oui car il y a toute une génération qui grâce aux portables s’amuse à faire des films très courts et le CNC s’intéresse à nous. 72 villes le projettent !
Y’a-t-il eu des jeunes réalisateurs qui ont fait de très courts, qui sont passés par le festival et qui sont aujourd’hui des réalisateurs de longs?
Oui plusieurs, par exemple Chapiron qui a fait une kyrielle de très courts très sympas qu’on a passés au festival avec Cassel et sa bande de copains, Benoît Pétré aussi et d’autres…
Y’a-t-il beaucoup de femmes réalisatrices sur ce format ?
On ne s’intéresse pas au sexe du réalisateur, c’est un bon court ou pas. Par contre on a une section paroles de femmes, pour mettre en avant les femmes à l‘écran, on remet un prix dans la section : « Paroles de Femmes ».
Est ce qu’en 20 ans la qualité des courts s’est améliorée ?
90% des films d’il y a 20 ans ne passeraient plus la barre aujourd’hui; au départ on avait des VHS, du matériel lourd que tout le monde ne pouvait s’offrir, puis on a eu les DV qui étaient de meilleure qualité et plus facile à manipuler, aujourd’hui l’apparition des appareils photos numériques donnent des images exceptionnelles, en 4K, et ont des objectifs de folie ! On n’a la même image que celle des longs-métrages ! La qualité technique s’est considérablement améliorée…
Et au niveau du fond ?
Il y a toujours eu des gens qui avaient de bonnes idées, on laisse encore aujourd’hui de la place aux films réalisés avec des bouts de ficelles, on n’est pas des fanas que de la forme, néanmoins il y a des films qui ont une facture sans commune mesure avec ceux du début du festival. Le propos est très important quand même, un film très bien filmé mais qui ne raconte rien n’est pas sélectionné.
Et l’animation ?
Dès le départ on a été sensible à l’animation et le format très court est parfait pour ce genre ; on ne se lance jamais dans de longs films lorsqu’on commence à faire de l’image par image ; il y a eu beaucoup de créations en deux, trois minutes. On a aujourd’hui beaucoup de films en stop motion mais aussi avec d’autres techniques sauf la 3D bien sûr.
Y’a-t-il une sélection qui passe que des films trashs ?
On appelle ça « Ils Ont Osé » c’est Trash and Glam ! C’est tout ce que l’on n’ose pas passer au festival et en même temps on trouve ça bien, donc c’est une sélection à part avec des films de genre, des séries Z, des grosses conneries, des trucs à deux balles, scato, cul, tout est dans cette sélection et c’est une partie où il y a la meilleure ambiance dans la salle !
Est-ce que le festival a tout de suite été international ?
Dès le début on avait eu des films de plusieurs provenances, puis on a eu des projections qui se sont faites en dehors de nos frontières pour la six ou septième édition, comme la Suisse, la Belgique, puis à un moment on s’est retrouvé en Roumanie et là-bas c’était un événement plus grand qu’en France. Il y a plus de villes en Roumanie qui projettent des films courts qu’en France ! C’est un événement national important !
Y’aurait-il un style roumain ?
On a régulièrement des courts roumains, ils ont une sélection nationale qui ne passe qu’en Roumanie, je n’ai pas encore décelé des spécificités dans leurs films mais il y a des talents, c’est certain !
Comment se passe les sous-titrages, cela coûte de l’argent ?
Le sous titrage demande deux choses, du time code et de la traduction ; lorsqu’on a la précision du time code, on peut mettre la langue que l’on veut ; les pays nous envoient la traduction des films et on intègre ces traductions dans le time code. On le fait dans six ou sept langues…
Qui dit international dit problèmes de censure ?
Oui carrément ! Nous on en tient pas compte, on envoie les films tel quel mais on sait que dans certains pays il y a des films qui ne vont pas passer En Afrique sub-saharienne impossible de parler d’homosexualité, y’a émeute ! Il y a quelques années on était présent à Singapour, c’est la censure la plus rude au niveau des mœurs, le moindre bout de chair ça ne passe pas, on est projeté en Chine aussi, on n’a pas eu énormément de censure, ils regardent quand même les films. Le problème lorsqu’il y a un film censuré il y a un trou dans la programmation, on passe du numéro 36 au 38 par exemple, c’est assumé par les organisateurs sur place qui doivent expliquer au public pourquoi ils ont dû enlever un film ! Nous on ne censure rien, on leur envoie la bande des courts programmés en France.
Un festival ça un coût, au départ cela devait être vos fonds propres je suppose
Oui c’était associatif, mais on avait très peu de dépense, aujourd’hui cela coûte un peu plus cher, l’économie des festivals est très compliquée, la période n’est pas bonne pour l’économie de la culture !
Avez-vous des permanents ?
On a des bénévoles qui sont intéressés par la sélection des films, on l’a mise en place par réseaux, ça marche très bien ; la difficulté ce sont les gens qui vont travailler sur la production du festival ; c’est sur une période de quatre mois, de janvier à juin où là, il y a du temps plein avec des postes à rémunérer pour réaliser les sélections, coordonner le réseau international, faire la communication, cela correspond à cinq personnes.
Et vous dans toute cette organisation ?
Cette année cela change pour moi, car jusqu’à présent je coordonnais le festival et cette année j’ai pris un peu de distance, c’est la personne qui m’assistait, Charlotte Lasne, qui a pris ma place, elle est la nouvelle coordinatrice du festival ! Elle travaille à deux tiers de temps ! On a une personne à la technique et on a deux stagiaires qui sont d’un grand secours et un prestataire pour la communication.
Comment se compose le jury, puisqu’il y a des prix ?
Aujourd’hui il se compose de huit personnes, il voit une quarantaine de films et il attribue trois prix. Il y a le Grand Prix, un prix animation et un prix originalité. Canal plus remet aussi un prix et on a un prix public. Tous les publics des pays où passe le festival votent. Il y a un trophée et un chèque qui va de 500 à 1500 euros.
Quelle allure a le trophée ?
C’est un bloc de verre avec le picto du Très Court et le nom du prix gravé au laser à l’intérieur du bloc.
Les très courts on peut les voir dans votre festival, certains à la télévision qu’en est-il des projections en salle ? Vaste programme ?
C’est très complexe et cela a donné lieu à des distorsions ! Au départ il y avait le dispositif classique du réalisateur, du producteur, qui associaient un court à leur long-métrage pour récupérer des sous, dispositif qui a totalement disparu, les distributeurs préfèrent passer de la pub ! Les cinés « Art et Essais » passent le court parce qu’ils peuvent avoir le label ! Ce n’est pas le seul critère. Nous on est arrivé à proposer une offre qui lève tous les freins qui empêchent de mettre du court avant le long. Quels sont ces freins : il y a peu de temps entre deux séances, avec la proposition des très courts on ne peut pas faire plus court ! On peut aussi le passer simplement sur une séance ! Un autre frein c’est le coût, le droit de diffusion ; le coût d’un très court c’est de 10 euros par mois ! C’est indolore dans le budget du programmateur. Un autre argument contre était qu’il visionne beaucoup de longs et n’a pas le temps pour choisir les courts ! Alors on propose un court pour tout le monde et par semaine. Il peut nous faire confiance vu la qualité du festival ! On lui propose donc un film pour par cher et qui ne bouscule pas sa grille ! On a eu en un an 80 salles qui passent des très courts et cela va se développer car les spectateurs apprécient ! Il faut choisir entre la pub et les pops corn et la création ! Si j’ai pris du recul par rapport au festival c’est pour développer ce concept de Très Courts en avant programme!
On espère ne pas attendre 20 ans pour que les grands circuits de distribution vous suivent dans cette initiative ! A suivre donc et à l’année prochaine !
Pour voir les films primés ou autres informations sur le festival :
trescourt.com
parolesdefemmes.trèscourt.com
linstant.trescourt.com