UA-159350346-1

« SALLE GAVEAU » : JEAN-NICOLAS DIATKINE, piano

Salle GAVEAU

45 Rue la Boétie, 75008 Paris

3 avril 2019

Mozart : Adagio en si mineur KV540

Variations sur un air de l’opéra Les pèlerins de la Mecque de Gluck

Beethoven : sonate n°23 en fa mineur Appassionata

Chopin : 24 préludes op 28

Polonaise op 53 ”Héroïque

En fin analyste, Jean-Nicolas Diatkine a rédigé lui-même la notice du programme qu’il présente ce soir 3 avril à la salle Gaveau. Car il est pianiste et interprète ce soir Mozart, Beethoven et Chopin. Rien de révolutionnaire mais du solide.

En 1788 Mozart est en délicatesse avec son empereur : « Ce plat n’est pas pour les dents de mes viennois » s’écrie-t-il en écoutant la musique du compositeur qu’il délaisse et qui plonge dans une profonde dépression. Cet adagio en si mineur KV 540 en est la parfaite illustration.

Ce morceau écrit en si mineur, une tonalité poignante et très rare chez Mozart, se déroule comme un long ruban de notes nostalgiques, criblée de trous béants, de silences qui le dramatisent et dont Jean-Nicolas Diatkine tire un beau parti en étalant le désespoir de Mozart avec un toucher subtil. C’est une musique de l’intime, un cœur qui bat lentement, une musique qui glisse lentement vers l’abîme, allers retours incessants entre la vie et l’au-delà, il faut une énergie subtile pour éviter l’ennui et comme le dit Jean-Nicolas Diatkine , après les sentiments tragiques, les dernières mesures se concluent heureusement dans la sérénité.

Changement de registre avec les Variations sur un air de l’opéra : Les pèlerins de la Mecque de Gluck. Dix variations légères et gaies d’un temps où Mozart se produisait encore devant Joseph II, il les avait improvisées en même temps que d’autres sur un air de Paisiello. Bien que malade et composant très peu, il leur fera un sort meilleur et plus éternel en les écrivant six mois plus tard en août 1784. Jean-Nicolas Diatkine garde de ses variations leur côté ludique et primesautier en “mettant en scène“ une gestique simple des enchaînements de notes piquées, particulièrement dans les nombreux croisements de mains et surtout dans la variation n°10. Après un tel morceau, on garde longtemps en mémoire le schéma presque obsessionnel des toutes premières mesures.

Sautons vingt ans jusqu’à une des plus incontestées sonates de Beethoven: la sonate n°23 en fa mineur : l’Appassionata réputée comme une des plus difficiles techniquement. En concert, quelque soit l’interprète, on a toujours cette crainte qu’il ne surmonte pas les difficultés, qu’il bute, qu’il stoppe net pour trou de mémoire ou embrouillamini des doigts.

Cette fois encore, il n’arrivera rien de tout cela. Jean-Nicolas Diatkine a la puissance et possède la virtuosité indispensable à cette sonate baptisée Appassionata ainsi bien plus tard.

Devant un tel déluge de notes, il faut de la fougue, de la précision et n’oublions pas : du sentiment. Comme à chaque écoute, le premier et le troisième mouvement nous submergent, Beethoven confiait dans ses carnets de conversation (il était déjà sourd) avoir puisé l’élément poétique de la sonate dans La Tempête de Shakespeare et tempête il y a. Dans cette Appassionata on se délecte des voies multiples qu’utilise Beethoven pour nous ramener à son thème initial et à chaque écoute, les arpèges sont tantôt fluides tantôt ciselées comme le veut l’humeur du morceau, on retrouve avec un plaisir infini ce passage presque dansant à quelques mesures de la fin, un court passage où Jean-Nicolas Diatkine nous entraîne avec l’enthousiasme et la précision de frappe nécessaires à la restitution de chaque note de ces accords.

Les 24 préludes de Frédéric Chopin forment un tout, la plupart du temps, ils sont joués intégralement pour ne pas casser l’ambiance dans laquelle ils ont été écrits : Á Majorque lors de vacances avec George Sand, des vacances censées échapper au climat hivernal de Paris, des vacances apocalyptiques tellement l’air humide et oppressant des Baléares n’arrangea pas la phtisie de Chopin qui ne cessait de tousser et de cracher du sang.

Paradoxalement, ces préludes écrits dans l’ordre des tonalités, comme le clavecin tempéré de Bach, alternent le tragique et l’aérien, le court (parfois 10 mesures) jusqu’à cinq minutes.

On raconte que George Sand, après quelques jours d’absence, retrouva Chopin seul, qui pleurait en jouant ses préludes tout juste écrits.

Jean-Nicolas Diatkine, grâce à l’utilisation d’une pédale tantôt prégnante tantôt discrète, réussit à extraire de ces préludes le côté ambivalent des sentiments qui ont guidé Chopin tout au long de cette écriture à la fois heureuse et chaotique, à la fois légère et douloureuse. La musique se déroule comme dans un rêve, Chopin l’a voulu ainsi, un rêve malheureusement contrarié par un tousseur un peu trop présent qui a éclaboussé le cours de quelques préludes en mineur, ceux qui réclament le plus de silence recueilli. Mais dans ce combat contre l’ambiance, les gammes ultra rapides, les arpèges fulgurants et les accords saccadés ont eu raison de cet incident.

Pour terminer, Jean-Nicolas Diatkine a-t’il eu raison de vouloir interpréter la Polonaise op 53 dite héroïque de Chopin, l’une des plus connues, mais aussi l’une des plus difficiles ? Après l’Appassionata et les 24 préludes de Chopin, la main se fatigue, est-ce la raison pour laquelle Jean-Nicolas Diatkine s’est un peu embourbé dans des suites d’arpèges et d’accord techniquement périlleux qu’il a résolus par quelques acrobaties dans le même ton. Heureusement la passion un peu fantasque de Jean-Nicolas Diatkine a sauvé la Polonaise et la Pologne est sortie bien vivante de l’épreuve, le plaisir était sauf.

Articles similaires

Laisser un commentaire