Dès la couverture, une figure en rouge et noire, moustachue, barbue, ceinte d’une couronne d’épines, annonce la couleur aux futurs lecteurs : Jésus – Che Guevara, même combat. « Che Guevara prêchait l’utopie marxiste, Jésus celle du Royaume de Dieu. Che Guevara était médecin, Jésus l’était en fait aussi : ses exorcismes équivalent à des guérissons. Enfin tous les deux ont été trahis, arrêtés et exécutés en l’espace de 24 heures, Jésus par les Romains, Che Guevara par l’armée bolivienne en collaboration avec les Romains de notre temps, les Américains. »
Paul Verhoeven est un cinéaste provocateur. Dans sa période hollandaise, il a réalisé des films iconoclastes tels que Business is Business, Turkish Delight , Spetters , Quatrième Homme , La Chair et le Sang . Aux Etats Unis il a critiqué la société américaine avec des réalisations comme Robocop, Starship Troopers, Basic Instinct ; mais le film qui lui tient le plus à cœur et qu’il n’a toujours pas réussi à produire c’est la vie réelle, historique de Jésus. Ce livre passionnant explique pourquoi il tient tant à raconter l’histoire de cet homme et quel homme il était. Car Jésus est un homme qui a bien existé, qui avait tous les défauts qu’un homme peut avoir, irascible, bon vivant… C’était un prédicateur qui s’est opposé à un système mis en place par les Romains, aidés par la communauté juive de l’époque et qui l’a mené à la mort.
« Je vois en Jésus un homme. Je ne le considère pas comme le « fils de Dieu », mais plutôt comme un Jésus mythologique, né de notre aspiration à reconnaître en autrui l’image de Dieu. »
Pendant 30 ans, à partir d’études minutieuses sur les évangiles, les textes, et les travaux des théologiens, Verhoeven a désacralisé la vie de Jésus. Le film reste à faire et il démontre comment tous ceux qui ont été réalisés ne sont que des illustrations naïves, saints sulpiciennes, cathos, du Nouveau Testament. Seul celui de Pasolini mérite quelques attentions à ses yeux. En 11 chapitres et quelques 270 pages et autant de notes, il décrypte, démonte, prouve, ce qui est du monde de la légende, de la mystique et ce qui est probablement de l’ordre du fondé. Il bat en brèche tout ce qu’a voulu introduire la religion pour faire de Jésus le fils de Dieu qui est mort sur la croix pour nous libérer du péché originel et établir notre lien avec Dieu. Verhoeven pose les questions essentielles, à savoir en Occident vivons-nous depuis deux mille ans dans un gigantesque mensonge et les Evangiles nous ont-ils bernés à propos de Jésus et de la personne qu’il était réellement ? Cet ouvrage nous aide-t-il à reconstruire les fondations du christianisme ? « Deux faits, considérés par les théologiens, sont totalement fiables sur le plan historique : il a été baptisé par Jean-Baptiste et crucifié sous le règne de Ponce Pilate. Sans que cela ait jamais été dit explicitement, ils admettent aussi comme vérité historique un troisième fait, à savoir que Jésus seul a été arrêté, qu’aucun des douze apôtres ne l’a été. ». Mais étaient-ils vraiment présents cette nuit là à Gethsémani ? Il va démontrer que Jésus avait des disciples, que les apôtres sont une vision dogmatique plus que réelle. A travers une étude minutieuse, il pose de nombreuses questions sur la paternité de Joseph, (Jésus était-il un bâtard ?), sur l’existence et le rôle de Marie Madeleine, des femmes qui ont entourés Jésus, sur Judas, sur les miracles, sur l’épisode du Temple…. A travers ce livre tout est remis en question de manière cartésienne, comme une vraie enquête. A la lecture de sa démonstration, on se rend compte qu’il a des affinités avec une conception nietzschéenne:
« C’était une insurrection contre (…) la hiérarchie de la société, (…) contre la caste, le privilège, l’ordre, la formule (…) un non prononcé contre tout ce qui était prêtre et théologien (…) une attaque contre son profond instinct populaire, contre la plus tenace volonté de vivre d’un peuple qu’il y ait jamais eu sur la terre (…) avec un langage qui, maintenant encore, mènerait en Sibérie, si l’on peut en croire les Evangiles, cet anarchiste était un criminel politique (…), autant du moins qu’un criminel politique était possible (…)Ceci le conduisit à la croix : l’inscription qui se trouvait sur cette croix en est la preuve. Il mourut pour ses péchés – il manque toute raison de prétendre, quoique on l’ait fait assez souvent, qu’il est mort pour les péchés des autres. » ( Nietzsche ). Tenter de comprendre secte qui a réussi à devenir une église telle est l’intention première de Paul Verhoeven. Alors Jésus était-il un rebelle, un terroriste, un humaniste ? Pour Verhoeven ce n’était qu’un homme, un militant avec de vrais convictions qui n’ont pas plu ni au Romains, ni aux notables juifs d’où sa crucifixion ; il n’était sûrement pas seul en croix, de nombreux disciples avaient dû subir le même sort que leur maître. Un livre détonnant comme le cinéma de ce réalisateur de talent.