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« LES PROFANATEURS – JACQUES HENRIC » : UN JOURNAL DE VEILLE 

Journal (1971-2015)

Edition Plon, 537 pages

Les Profanateurs n’est pas un journal intime, ni un exercice de style autobiographique, il est pourtant d’une franchise remarquable.

©DR

Jacques Henric y consigne, jour après jour, ses observations sur le monde contemporain, avec une rigueur qui exclut la nostalgie comme la mise en scène de soi. C’est un journal de veille : une écriture qui accompagne l’actualité culturelle de son temps, et en premier lieu la littérature et le petit milieu littéraire dont il est lui-même issu (la bande de copains à l’origine de « Tel quel » où trône en majesté un Sollers plus André Breton que jamais), mais aussi le monde de l’art contemporain et la nouvelle critique d’art (naissance et croissance de « Art press » avec Catherine Millet), enfin les prises de positions idéologiques, en refusant l’indifférence comme l’emphase.

Henric ne s’installe pas dans une posture polémique, même s’il ne ménage ni ne dissimule les hypocrisies ni les reniements du champ littéraire ou politique (voir les retournements et autres rodomontades à l’heure de la sortie du très indigeste film de Bernard Henri-Levy  Le jour et la Nuit ). Il traverse les conflits politiques, les errements des élites culturelles, les retournements idéologiques, sans jamais prétendre occuper une position de surplomb, témoignant depuis l’intérieur. Son ton est calme, mais ferme, toujours juste intellectuellement. Jacques Henric y apparaît moins comme un polémiste en croisade que comme un observateur tenace, attaché à documenter les tensions, les signes, les transformations qui traversent son époque. Il observe les conflits idéologiques dans leurs effets concrets, dans leurs glissements ou leurs contradictions (Henric manie l’ironie avec une rare efficacité). Loin de la nostalgie d’un âge d’or intellectuel, c’est le regard et la vitalité de la critique qu’il défend, par fidélité à ce que penser veut dire. À travers ces fragments quotidiens, ce n’est pas une doctrine qui s’élabore, mais une forme d’attention continue, exercée sur ce que disent, montrent, publient les autres. En ce sens, Les Profanateurs n’est pas un geste littéraire anodin, mais une pratique d’écriture sobre et constante, portée par un principe simple : ne pas laisser le monde filer sans y opposer une lecture, donc une écriture, nous laissant ainsi un témoignage passionnant et unique sur l’aventure intellectuelle et artistique – d’une durée couvrant plusieurs décennies – d’un noyau d’écrivains et d’artistes majeurs échappés ou rescapés de la constellation « Tel quel ».

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