COSMOGONIES
Mo.CO, 13 rue de la République Montpellier
Jusqu’au 10 octobre 2021
Dans un espace intelligemment utilisé, l’exposition sur une partie de la collection de Marie-Cécile Zinzou, Cosmogonies présente près de 110 œuvres (sculptures, photographies, peintures et installations) de 37 artistes africain(e)s de 14 pays africains et de générations différentes. Ils ont pour nom Agbodjelou, Akpo, Andrianomearisoa, Aston, Baloji, Bodo, Bruly‐Bouabré, Camara, Chérin, Demester, Depara, Diop, Dossou, Fani-Hayode, Fosso, Guerrier, Hazoumè, Keïta, Kouyaté, Lilanga, Mahama, Mahlangu, Medeiros, Moké, Muholi, Nimi, Ojeikere, Owusu-Ankomah, Quenum, Rahim, Sales, Samba, Sanogo, Sidibé, Snoussi, Sory, Tokoudagba.
Comme fil conducteur de cette histoire, l’équipe curatoriale du MO.CO. avec à sa tête Pauline Faure, a choisi la figure du Béninois Cyprien Tokoudagba (1939‐2012).
Tokoudagba peignait à l’origine sur les palais et les temples, restaurait des fresques, créait des sculptures, répertoriant ainsi les différentes divinités vaudou ou scènes liées aux Rois d’Abomey. Il transposa ensuite ces mêmes motifs sur toiles. Ses peintures illustrent la porosité entre la réalité et le surnaturel, entre le quotidien et la légende, ces cosmogonies qui mêlent magie et réalisme.
L’affiche de l’exposition est une de ses peintures qui est dans la continuité entre tradition et modernité.
©DR
Marie-Cécile Zinzou est née en 1982 à Paris d’une mère vosgienne, professeure de français, et d’un père franco-béninois, banquier d’affaires. Historienne de l’art elle a ouvert une Fondation, avec l’aide de son père, à Cotonou en 2005, pour renouer les liens entre la population et son art.
En 2013, la Fondation ouvre un musée d’art contemporain à Ouidah. Ouidah est un lieu lié à la traite négrière où il y a tout un patrimoine mémorial.
La première exposition était dédiée à Romuald Hazoumè de renommé internationale mais jamais exposé en Afrique puis une autre avec Cyprien Tokoudagba. Petit à petit Marie-Cécile Zinzou a créé une collection sans s’en apercevoir. Elle organise des expositions gratuites, des ateliers gratuits, elle fait même venir des bus scolaires pour que les enfants prennent connaissance de la culture africaine…
Cette importante exposition j’ai eu la chance de la visiter avec Pauline Faure qui pendant plus d’un an a fait le choix des œuvres, écrit les cartouches et a choisi avec Marie-Cécile Zinzou les œuvres essentielles pour construire Cosmogonies. Pauline s’exprime : « On a choisi de dérouler une histoire qu’on a appelé Cosmogonies. Comment engendrer des mondes c’est le propre des artistes et après on a réfléchi sur ce qui pouvait être des points d’appuis sans que cela soit forcément un parcours ni didactique ni dogmatique, donc cela va être alphabet et code car il m’a semblé que pour faire naître, il fallait le formuler, puis cela va être intimité et mémoire parce que l’intimité de soi est importante pour faire naître des mondes, ensuite on va aller dans le quotidien et dans la vie quotidienne, un air du temps, avec la vie comme elle vient parce que pour se définir il faut connaître son environnement, après on se rend compte aussi comment on veut se montrer et on décide à un moment on pose, on s’habille, ce qui va définir notre identité, poses et mises en scène,
suivront, distance critique, légendes et symboles et métamorphoses. Chaque œuvre est forcément intrinsèquement polysémique et bien sûr elle va nous dire des choses différentes. Nous on crée un parcours, on crée une dynamique, elle va se faire dans une évolution narrative, peut être avec les textes dans une évolution formelle, donc une réflexion sur un rapport entre les œuvres, mais ce n’est qu’une proposition. »
Alors j’ai suivi Pauline et ses explications. Dans la première salle on trouve des œuvres de Frédéric Bruly‐Bouabré. Il va déchiffrer un nuage, une pierre, des signes qu’il va transformer en dessins, il va inventer près de quatre cents signes,
la sud-africaine Esther Mahlangu a porté la culture Ndébélé sur toile, un moyen de faire vivre cette tradition malgré la colonisation, c’est un signe de résistance; le Béninois, Meideros, élabore des Contextures et Métissage, la tradition des peintures appliquées qui existent sous le royaume du Dahomey, avec les tentures royales, il reprend avec des motifs contemporains des motifs anciens.
Au Mali la photo est très importante avec les studios à Bamako, on retrouve Keita avec sa poésie, et
Sidibé qui photographie les nuits de Bamako pour les vendre aux gens qui se reconnaissaient.
Le Malgache Andrianomearisoa propose une installation avec des poteries du marché et les accompagne du Poème du Bien Aimé d’Apollinaire.
Les photos d’Ojeikere sur la série hairstyles ont inspiré les sculptures de Pauline Guerrier,
Akpo avec son projet AGBARA Women, à partir de documents d’archives a découpé les visages des rois et les a remplacés par des femmes pour révéler cette puissance des femmes qu’on veut rendre invisible.
Pauline s’exprime : «Je construis l’universel en me choisissant disait Sartre, alors ici on fait le lien entre la tradition et le contemporain, pour pouvoir s’adresser à l’universel, pour se comprendre, et s’assumer.»
Dossou à la veille d’une élection présidentielle au Bénin sur les problèmes à résoudre en priorité, a fabriqué 10 masques-statuettes en bois par rapport aux fonctionnaires, agriculteurs, aux routes, sur l’alimentation, l’eau, l’électricité, la violence urbaine, les médecins, les accidents de la route ; ces masques traditionnels portent les images des problèmes à résoudre ; après une danse rituelle on les brûlait et le problème disparaissait.
Fosso, dans le cadre de sa série Tati pose en golfeur, en businessman.
Dans la partie distance critique le congolais Samba mêlant grands et petits événements a peint le combat du siècle, le fameux match entre Ali et Foreman à Kinshasa sous le regard du dictateur Mobutu où la population n’a pas sa place.
Mahama a collé des toiles de jutes qui servent à transporter les graines de cacao et le tissu qui est fait à Java ; importées par les Hollandais et exportées en Afrique, c’est une critique du circuit commercial ;
Bajoli avec les scarifications en cuivre tirées de photos existantes, montre l’importance du cuivre pendant la colonisation belge et ces scarifications interdites. On devait dénoncer ces pratiques et on recevait une médaille!
Fosso lui s’est photographié en chef de tribu qui vend sa population,
Hazoumé avec ses photos sur les bidons d’essence frelatée dénonce ce trafic.
Une œuvre très étonnante est celle de Rahim avec son intitulée Missing. C’est un tapis où toutes les roses ont été supprimées et où les trous laissés dans le tapis symbolisent les traces des migrants.
En descendant d’un étage on se retrouve dans la salle métamorphoses où l’animisme, le spirituel, sont partout.
Les œuvres préférées de Pauline Faure sont les sculptures de Camara, un univers fantasmagorique qui mêle les éléments traditionnels avec sa propre mythologie, une déesse qui fait plein d’enfants ; il y a de l’ordre du mystère dit Pauline et … « d’une manière plus caricaturale l’art est ici comme une forme de résilience, pour se retrouver soit même » Camara ne peut pas avoir d’enfant…
En face se trouve des autoportraits de Fani-Kayode. Il est né au Nigéria, sa famille s’est exilée lorsqu’il avait cinq ans, à dix-neuf ans il est parti en Grande Bretagne, parce que ses parents n’ont pas accepté qu’il revendique son homosexualité; il monte une Association for Black Photography et meurt du sida à 29 ans ; ses autoportraits sont des mélanges de culture, marqués par l’Occident de Caravage et la culture Yoruba.
Le Béninois Agbodjelou va photographier une série qu’il appelle les Demoiselles de Porto-Novo en parallèle avec celles d’Avignon avec l’emploi de masques pour retrouver l’atmosphère de Picasso. Pauline Faure s’exprime : « On a fait un déroulé de la grammaire des codes à soi-même à ce qui nous entoure, comment on réagit au monde, comment on peut en échapper et dans cet espace on se demande qu’est qu’on est, qu’est qu’on veut dire de nous, et comment on existe dans une société qui nous empêche parfois d’être ce que l’on est vraiment, qu’est-ce qu’on veut devenir et on l’est par la force de l’art … ».
Ainsi Muholi, militante LGBT, pendant longtemps n’a pas eu le droit d’exposer en Afrique du sud, sa démarche photographique est intrinsèquement liée à son engagement. Ses autoportraits nous interpellent.
Cette idée qu’on a tous en soi du divin ou du surnaturel, Tokoudagba l’a très bien illustrée avec la lignée des rois du Dahomey, nés de l’accouplement d’une panthère et d’une princesse. Les rois ont donc des animaux totem et sont définis par des devises.
Marie Cécile Zinsou et le MO.CO. ont produit une installation de la Tunisienne Aicha Snoussi. C’est une pyramide, une sorte de mémorial reconstitué par des fragments retrouvés par des chercheurs d’une mission archéologique qui s’appelle lixe (exil à l’envers). Ces trouvailles ont été faites au large de l’île de Zembra qui est dans le golfe de Tunis.
Cette reconstitution est pour témoigner d’une culture et d’une civilisation d’il y a plus de cinq mille ans ou amants et amantes se retrouvaient sur l’île. Lorsqu’ils partaient, ils laissaient une bouteille, en mémoire, avec des lettres d’amour glissées à l’intérieur des bouteilles et avec certains objets.
Il y a huit cents bouteilles qui sont posées sur ces marches qui ressemblerait à une medersa arabe, un monument funéraire, la sépulture est en hommage aux noyés, sur ses marches sont gravés un certain nombre de signes qu’on ne sait pas déchiffrer, ce monument en béton cellulaire est devenu intemporel parce qu’il y a des graffitis contemporains, Aicha produisait aussi des wall paintings sur des cahiers d’écolier.
Cette exposition dont la scénographie est astucieusement construite, demande pour l’apprécier pleinement de nombreuses informations et avoir le catalogue ou un audio guide est presque une nécessité. Il reste encore un mois pour faire ce voyage dans l’art africain contemporain, sans bouger de chez soi, le dépaysement est garanti, une réussite, merci Madame Pauline Faure et votre équipe.