MUSÉE EUGÈNE DELACROIX, 6 Rue de Furstemberg, 75006 Paris
exposition jusqu’au 23 août 2021
Eugène Delacroix, Le Combat du Giaour et du Pacha 1826 (catalogue Robaut de l’œuvre de Delacroix N°202. Curieux destin que celui de cette exposition maintes fois reportée à cause de la crise sanitaire. Finalement fixée au mois de décembre 2020, soit 2 ans et demi après la clôture de l’exceptionnelle rétrospective Delacroix montée au Louvre en 2018, elle aura dû faire face aux frustrations d’un jeûne muséal forcé. Mais on aurait tort de la comparer à l’exhaustif hommage dont nous gratifia le plus célèbre musée du monde. L’atelier du peintre est une maison-musée intimiste et sa vocation n’est pas la même. Pourtant, un heureux témoin de cet évènement déjà trop lointain, sera probablement tenté de le faire, et aura peut-être la sensation de rester sur sa faim, s’il cédait à ce piège.
Thales Fielding Portrait de Eugène Delacroix vers 1825.
Il faut bien se rendre compte que le sujet abordé ici, n’est pas tant l’œuvre de l’un de nos plus célèbres peintres du XIXème siècle, que la redécouverte d’un auteur méconnu, Lord Byron, qui eut pourtant une influence considérable sur ses contemporains et sur les artistes français. Il est vrai que la troisième république rechigna à mettre à l’honneur des auteurs trop liés par leurs idées ou par leurs origines, à la monarchie, si récemment évincée. Un Lord anglais, fût-il héroïque, n’en restait pas moins un noble, un ressortissant d’un pays ennemi qui donna asile aux opposants de la république, et honora la mémoire de Napoléon III. On avait assez de traumatismes à soigner, de plaies à panser après le traité de Francfort. Né en 1788, le jeune Lord fut un fervent défenseur de la liberté sous toutes ces formes, à tel point qu’il perdu la vie à l’âge de 36 ans en allant se battre aux cotés des Grecs opprimés. Cette révolte intérieure permanente, commune aux romantiques, car véritable pilier du mouvement, trouva en de nombreux auteurs postérieurs un écho dont on garde la trace.
Lord Byron Frontispice de l’édition Française de 1821 Paris, Ladvocat librairie, Palais Royal.
Delacroix fut touché par ses textes, qu’il lut dans la traduction d’Amédée Pichot. Théodore Géricault s’inspira de nombreux poèmes et nouvelles du britannique comme Mazeppa, Lara, le Giaour…
Lithographie de Théodore Géricault et Eugène Lami, 1823,Catalogue Delteil N°95, du 2ème état, avec l’adresse de l’imprimeur Villain Cachet de la bibliothèque Royale (Lugt N°409).
Fantin-Latour, également, qui suivit Robert Schumann dans une interprétation de Manfred – le Faust de Byron.
Manfred Lithographie Henri Fantin-Latour 1881 (Catalogue Hédiard N°34).
Dans la troisième édition française de 1821, le traducteur, qui n’osa apposer son nom complet, probablement par crainte des scandales dus à la réception par la critique anglaise de Don Juan en 1819, nous apprend ceci: « …il est de peu d’importance que la lime du poli passe sur des poèmes comme ceux de Byron, dont l’objet est de parler à l’imagination et d’éveiller les passions. Le Giaour, La fiancée d’Abydos, Le Corsaire, Lara, qui suivirent de près les premiers chants de Child-Harold, obtinrent le même succès d’enthousiasme… Le sentiment exquis du beau semble se perfectionner de plus en plus dans l’âme de Byron. Parisiana, le mieux fini de ses poèmes, et Le Prisonnier de Chillon, en sont la preuve à chaque page, mais c’est dans Manfred qu’il brille et éclate au milieu des fleuves et des cascades, sur la cime des monts et dans les plaines de l’air ». A—EP—T
Cette analyse fait écho à ce qu’écrivit Eugène Delacroix dans son Journal le 27 avril 1827: « Nous avons parlé de Lord Byron et de ce genre d’ouvrages mystérieux qui captivent singulièrement l’imagination ». Cette même année, il réalisa La Mort de Sardanapale d’après le poète.
L’exposition se limite ici en grande partie à la source d’inspiration puisée dans l’œuvre Le Giaour, publiée en Angleterre en 1813. Il faudra accepter cette limite pour ne pas être déçu. On aura donc l’occasion d’admirer des œuvres de contemporains du grand peintre, comme Ary Scheffer, Achille Déveria, Théodore Gericault, qui, tous, se sont inspirés de l’histoire du Giaour…
Louis D’Antoine « Confession du Giaour ».
Mais qu’est-ce donc que ce Giaour?!
Le Giaour Lithographie de Théodore Gericault, 1823 (Catalogue Delteil N°71 ).
L’édition française nous éclaire immédiatement sur le sujet, une note sur le titre même de la nouvelle nous indiquant ceci : Giaour (infidèle), c’est le nom que les Turcs donnent aux chrétiens. Et Byron lui-même d’expliquer dans l’avant-propos : « La nouvelle dont nous présentons ici les fragments est fondée sur un évènement moins commun aujourd’hui qu’autrefois chez les Orientaux…Cette histoire, lorsqu’elle était entière, contenait les aventures d’une jeune esclave coupable d’infidélité, et que son maître fit jeter dans la mer selon l’usage des Turcs. Elle fut vengée par un Vénitien qui avait été l’amant préféré. La république de Venise possédait alors les Cyclades…»
Théodore Géricault & Eugène Lami, Mazeppa 1823. Catalogue Delteil N°94 du 2èm état /3 avec le C majuscule. Photo © Galerie Maillard.
Ainsi, le Giaour est un natif des terres grecques, alors sous domination vénitienne. Et l’actualité du conte rejoignait l’actualité de ce début du XIXème siècle. Dans le même temps, l’actualité de l’exposition rejoignait les tensions entre le régime turc actuel d’Erdogan et l’Union Européenne, particulièrement en Grèce. Cette dernière concordance, à l’impact minoré par l’omniprésence médiatique d’un certain Corona Virus, aura peut-être perdu de son intérêt, mais la force des grands artistes, est qu’ils survivent à l’actualité, à l’anecdote, et que les vérités qu’ils expriment, se passent fort bien des évènements quotidiens qui pourraient sembler en réduire l’universalité.
Eugène Delacroix, Combat du Giaour et du Pacha 1835 ©Paris Musées / Musée des beaux arts de la ville de Paris, Petit Palais. (Catalogue Robaut N°600).
Or si l’on sait depuis longtemps que Delacroix est un grand artiste, un phare comme l’écrit Baudelaire, il est temps de remettre Lord Byron à sa juste place. Ce fut facile avec un Victor Hugo dont l’opposition à Napoléon III servait les intérêts du régime suivant. Le génie associé à l’intérêt des politiques font bon ménage en termes de postérité. La liberté guidant le Peuple en est un autre exemple; œuvre connue du grand public, qui la prend souvent comme un symbole de la révolution de 1789, bien qu’elle décrive un épisode postérieur à la restauration, et dont les plus anciens se rappellent la réduction sépia ornant les billets de 100 francs…Pour Byron, aucun malentendu de ce type, au contraire: un aristocrate, qui admira un temps l’empereur Napoléon 1er ne peut compter que sur son propre mérite, et ne sera pas aidé par les manuels scolaires du temps. Cette exposition contribue à mettre en avant ce mérite, à pousser le lecteur à se réapproprier l’œuvre poétique. Ceux qui ont la chance de profiter d’un Paris estival propice aux flâneries, devraient se laisser tenter par cette exposition, en emportant pourquoi pas avec eux, un des courts récits de l’auteur anglais, qu’ils pourraient lire dans le jardin du musée, renforçant ainsi l’atmosphère intimiste et hors du temps que continue de cultiver ce lieu.
Eugène Delacroix, Combat du Giaour et du Pacha Lithographie originale de 1827 (Robaut 203, Delteil 55) Publiée dans « Delacroix, peintre, graveur écrivain » par R.Escholier, Floury, 1926.
Il reste donc quelques jours pour apprécier cette exposition. Le samedi 21 août, deux violoncellistes viendront confronter le Giaour et le Pacha dans un duel romantique et musical.
Dans la collection Folio Biographies chez Gallimard, on peut trouver deux biographies intéressantes, une sur Delacroix écrite par Frédéric Martinez, et une sur Lord Byron par Daniel Salvatore Schiffer.
Pour plus d’informations sur l’exposition et le Musée Delacroix :
– http://musee-delacroix.fr/IMG/pdf/20210519_mnde_dp_un_duel_romantique-compresse-2.pdf
– http://musee-delacroix.fr/fr/actualites/expositions/