ÉDITION LIMITÉE – VOLLARD, PETIET & L’ESTAMPE DE MAÎTRE
PETIT PALAIS
Avenue Winston Churchill,
75008 Paris
du 19 Mai 2021 au 24 Août 2021
Le Baron PETIET, C’est le plus grands des VOLLARD……oui mais c’est un gentleman… chanterait Dutronc pour décrire Henri Marie Petiet, lui qui prêtât sa voix au générique d’une des multiples adaptations des aventures d’Arsène Lupin. Point de cambriole ici, mais deux personnages incontournables du monde des arts de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, à l’œil et à l’audace tout aussi remarquables que ceux du célèbre dandy de Maurice Leblanc.
©Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.
Songez seulement que c’est à l’ainé de ces deux marchands d’art, monsieur Ambroise Vollard, que l’on doit la reconnaissance de grands peintres comme Cézanne, qu’il côtoya Lautrec, Degas, Renoir, Forain, et la liste complète serait trop longue à dresser ici. Il naquit en 1866 pour s’éteindre en 1939, des suites d’un accident de voiture. Nous avons la chance d’accéder à ses mémoires grâce aux nombreux livres qu’il publia de son vivant, comme Souvenirs d’un marchand de tableau, qui constitue une lecture parfaite pour qui souhaite visiter l’exposition avec quelques bagages préliminaires. En outre, ce qui nous intéressera pour appréhender au mieux notre visite tant attendue, ne concerne pas toute l’activité de Vollard. C’est son rôle dans le renouveau de l’estampe originale, de l’estampe d’artiste, et du livre d’art qui nous concernera ici. Henri Marie Petiet, qui acquis une partie du fond du célèbre marchand, fut l’un de ses plus complets descendants, comme on le verra un peu plus loin dans ces lignes. Avant de rentrer dans le vif du sujet et de présenter celui que certain de ses collègues appelaient le Baron, permettez-moi d’attirer votre attention sur la chance que nous avons ici, à Paris, de partir à la rencontre de ces personnages, dans des décors et dans une atmosphère proche de ceux qu’eux même ont connus. Même si les galeries souffrent en ce moment de la crise sanitaire, certaines galeries historiques contemporaines de Petiet, ainsi que leurs descendantes, sont encore là. Ainsi les galeries Prouté, Sagot Le Garrec, accueillent toujours les amateurs, tandis que Monsieur Martinez s’est récemment installé dans les murs qui abritaient la galerie d’Arsène Bonafous-Murat. D’autres voient leur fantôme réapparaitre lors de ventes aux enchères publiques incroyables, comme celle de la dispersion du fond de Marcel Lecomte cette année, de Roger Passeron, ou de la galerie R-G Michel. Enfin, les héritiers que sont messieurs Seydoux, Collin, ainsi que Sarah Sauvin et Julie Maillard font honneur à leurs prestigieux ancêtres ! La prochaine vente exceptionnelle, qui mériterait un article à elle toute seule, doit avoir lieu le 9 juin…Elle proposera aux collectionneurs et héritiers de nos deux marchands d’élite, une collection complète des gravures que Picasso réalisa en écho à la suite Vollard et que l’on nomme les 156. Elle provient directement de la collection d’Henri Petiet. L’histoire passée et présente se confondront donc en cette semaine de juin, et il serait dommage de goûter à l’exposition du Petit Palais sans s’entourer de tous ces formidables à côté que nous réserve encore parfois la vie parisienne.
©Petit Palais
Pour céder la place à nos invités du jour, c’est à un autre évènement relativement récent de notre belle capitale que nous allons faire appel : La 50ème et dernière vente de la collection Petiet, qui se tint à L’Opéra-Comique les 24 et 25 Novembre 2017, et à l’occasion de laquelle Christine Petiet-Oddo présenta une biographie de son parent, aux éditions des Cendres:
Mais commençons par le commencement. Le musée nous présente par ces mots son exposition tant de fois reportée : « Le Petit Palais explore avec cette exposition inédite l’activité d’éditeur d’estampes et de livres illustrés de l’emblématique Ambroise Vollard. Vollard travailla avec les plus grands artistes de son temps : Picasso, Bonnard, Cassatt, Chagall, Maillol, Redon, Rouault, et tant d’autres. Passionné par l’édition, il y a investi l’essentiel de sa fortune tirée de la vente des toiles des maîtres modernes et hissa cette activité à un niveau d’exigence jamais vu jusqu’alors…L’exposition sera l’occasion d’évoquer également la personnalité d’Henri Marie Petiet, successeur de Vollard, et figure majeure du commerce de l’estampe d’après-guerre… ». Le catalogue publié à la fin de l’édition limitée des « Souvenirs d’un marchand de tableau, accompagnée d’images choisies et commentées », paru chez Albin Michel en 1957 et qui inventorie les publications du marchand et éditeur, fait état de 9 recueils d’Estampes publiés entre 1895 et 1913, 30 livres illustrés entre 1900 et 1939 par des noms aussi prestigieux que Maurice Denis, Georges Rouault, Auguste Renoir, 21 projets inachevés ou non publiés, et enfin 12 bronzes de Maillol, 5 de Picasso, 14 de Renoir. Sans oublier la fameuse « Suite Vollard »…
Gromaire – L’Art et son marchand. Henri-Marie Petiet.
©Petit Palais
©Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit Palais.
A ceci il faut ajouter les trésors conservés dans son hôtel particulier ; on parle de milliers de toiles…Alors quand la faucheuse vint cueillir Monsieur Vollard, un soir de juillet 39, sur une route des Yvelines, beaucoup d’appétits furent éveillés. Dans son livre Rouault-Souvenirs Claude Roulet décrit l’importance de la disparition du partenaire de l’Artiste:
« Paris Jeudi 27 Juillet 1939.
Vu Rouault hier soir. Il me parle de la mort de Vollard, du changement qu’il va y avoir dans sa vie…Il me dit que lorsqu’il apprit la mort de Vollard, rue de Martignac, où se trouve son atelier, dans l’hôtel même de Vollard, il en reçu une impression si vive qu’il dut s’assoir. Il était si ému que, revenant à lui, il pria le concierge d’aller annoncer la nouvelle à sa fille, qui était alors seule à Paris avec lui ; il se sentait incapable de monter lui-même…
Genève Lundi 31 Juillet 1939.
Rouault n’a pas l’air de croire à ses vacances…le nom de Vollard revient sans cesse dans sa conversation. Depuis que je le connais c’est le nom que je lui ai entendu le plus de fois prononcer »
La succession fut délicate, la gestion des droits d’édition également. D’autant que la seconde guerre mondiale allait engendrer des troubles durables et un bouleversement dans la vie des acteurs économiques non essentiels. Christine Petiet-Oddo raconte que, pour envisager l’avenir, Henri Petiet tournait à ce moment-là son regard vers l’Amérique. La France craignait les bombardements, la destruction des œuvres, dans ce contexte, vers qui se tourner pour vendre ? Or, Vollard possédait un fond important de l’artiste américaine Mary Cassatt, et Henri pensait qu’il serait opportun de l’acquérir pour s’attirer des acheteurs, outre atlantique. Il lui faudra en revanche attendre la fin de l’hiver 1944 pour disposer des fonds nécessaires à l’acquisition de la fameuse suite de 100 gravures que Picasso réalisa entre 1930 et 1937, et que l’on a coutume d’appeler La Suite Vollard. L’exemplaire complet de cette suite, exemplaire que Petiet s’était réservé pour lui-même, a été adjugé le 25 novembre 2017 pour plus de 2 millions d’euros. Elle offrait la particularité suivante : chacune des cent planches qui la compose revêtait la signature de Picasso. Ces suites ont souvent été démantelées pour permettre à des acheteurs d’en acquérir un plus petit nombre, à un moindre coût. Il est donc très rare d’en rencontrer des complètes. Il faut savoir aussi qu’un certain mystère entoure cette réalisation, et que Picasso n’avait pas signé toutes les épreuves. Henri du parfois négocier férocement pour arracher au peintre catalan sa précieuse signature, que ce dernier monnayait à prix d’or… De plus, Lucien Vollard et Martin Fabiani avaient déjà vendu trois des cents planches à un concurrent de Petiet, un certain Marcel Lecomte. Il fallut faire preuve de patience et d’acharnement pour enfin réunir les feuillets séparés. Il faut bien comprendre qu’ici, nous parlons d’achats exclusifs. Les cent matrices gravées par Picasso ont semble-t-il été tirées chacune à 310 exemplaires, pour un total de 31000 feuilles sur 3 types de papier différents ! Un marchand qui désirait être incontournable devait donc acquérir la totalité du stock de l’image qu’il voulait mettre en vente. C’est ainsi que Marcel Lecomte avait probablement acquit les 310 épreuves des 3 planches qui manquaient initialement à Henri Petiet et qui représentaient des portraits d’Ambroise Vollard.! Á l’occasion de la mise en vente le 9 Juin d’une autre suite mythique, il est assez tentant d’essayer d’éclaircir ce mystère ! Christine Petiet-Oddo nous apprend qu’en 1950, Henri parvint à racheter 2 des 3 portraits qui manquaient à sa suite, et qu’en novembre de la même année, Picasso accepta enfin de lui signer chaque gravure pour la modique somme de 100 francs chacune…Le marchand repart avec une suite signée ou plutôt les 97 tirages complétés par deux des trois portraits de Vollard. Mais le travail de ces deux titans ne se résume pas à une affaire de gros sous. Comme les producteurs de cinéma exigeants sans lesquels beaucoup de chef d’œuvres dû n’auraient pas vu le jour, ils ont tous deux produit de véritables projets artistiques. Eugène Delacroix fut l’un des premiers à aller au bout d’une telle démarche en proposant une suite inspirée du Faust de Goethe, puis une autre inspirée d’Hamlet.
Faust tentant de séduire Marguerite Eugène Delacroix 1828. Épreuve sur papier de chine Volant, teinté bleu pâle, du premier tirage, ex collection Maurice Le Garrec.Photo ©FDBacala
Son influence amena Théodore Chassériau à exécuter une merveilleuse série sur Othello, et à leur suite, un très grand nombre d’artistes leur emboîtèrent le pas. Ainsi, Ambroise Vollard commanda-t-il à Rodin une suite pour le Jardin des Supplices d’Octave Mirbeau, et une autre à Rouault pour La Passion de Suares…
Othello, Eau forte et roulette par Théodore Chasseriau BNF
L’exposition au Petit Palais entend également expliquer au grand public ce qu’est une estampe et offre, outre une vidéo sur la technique de la lithographie, la présentation du matériel, et des séances de démonstration d’impression sur une presse à taille douce ancienne. Terminons sur cette phrase de l’artiste Edouard Goerg, qui décrivait ainsi le Baron Petiet:
C’était le plus Vollard des marchands….
©Petit Palais
Pour préparer l’exposition :
– Souvenirs d’un marchand de tableaux Ambroise Vollard (Albin Michel)
– L’art et son marchand Henri Marie Petiet Christine Oddo (éditions Des Cendres)
– Catalogue de la vente : Un lot une vente. Picasso – Les 156 Hélène Bonafous-Murat (Ader Nordmann)
– Le dossier de presse du Petit Palais
– Catalogue de l’exposition (160 pages -150 illustrations. Editions Paris Musées 29€)