À l’occasion des 400 ans de sa naissance, quatre siècles d’hommages mais aussi de calomnies
Molière par Pierre-Michel Alix (1762-1817). Gravure au lavis de couleur d’après Jean-François Garneray (1755-1837) Inspiré du buste de Houdon
Nous y voilà ! La nouvelle année est débutée, et avec elle son cortège d’anniversaires, de jubilés, d’hommages, récupérés ou non…S’il y en a un qui doit les surpasser tous, c’est bien la célébration des 400 ans de la naissance de Molière (1). Quelle démesure dans l’éloge, s’offusqueront certain, on croirait que les Moliéristes considèrent leur idole comme Dieu le père ! Qu’importe ! Comme le prédisait Sacha Guitry dans son ouvrage en hommage à la France De 1492 à 1942 : « Quand on parle d’un homme que l’on admire et que l’on aime sans réserve, quand on s’exprime sur son compte en termes éperdus…il se trouve toujours quelqu’un de pondéré pour briser votre élan et pour insinuer : Ce n’est tout de même pas le Bon Dieu! Cette observation vient mettre au point les choses et vous laisse interdit, car de toute évidence, la personne en question n’est pas le Bon Dieu. Eh bien, quand nous parlons, nous autres, de Molière, superlativement, si quelqu’un s’avisait de nous dire : Ce n’est tout de même pas le Bon Dieu ?! Nous répondrions : Si !
Fac smillé du manuscrit de Sacha Guitry, paru chez Raoul Solal en 1942
Pour autant, si les commentaires élogieux ne cessèrent de fleurir depuis près de quatre siècles, les calomnies, les injures, la diffamation n’ont pas manqué à l’appel…Les contemporains de Molière d’abord, qui publièrent des pamphlets outrageants, qui colportèrent des rumeurs tenaces, et ont nourri depuis ces temps anciens les élucubrations les plus folles de pseudos historiens en mal de scandale, d’écrivaillons en quête de polémique. Une des plus féroce calomnie étant bien sur la rumeur de son mariage prétendument incestueux, qui aurait été le fruit d’une union entre Jean Baptiste Poquelin et Madeleine Béjart….à une époque où il ne l’avait vraisemblablement pas encore rencontrée ! Sur le plan artistique, la plus malhonnête de ces théories fumeuses, date du début du XXème siècle et continue de temps en temps de le déshonorer.
Pierre Louÿs, bois gravé par Félix Vallotton. ©DR
Quelques médiocres oubliés en quête d’une minute de gloriole, reprennent le postulat de Pierre Louÿs, à savoir que Molière n’aurait pas écrit ses pièces, qu’il les aurait faites faire par un prête-nom, le célèbre Corneille. Si ces deux rumeurs sont sans fondement et trouvent leur explication dans la jalousie et la médiocrité, il subsiste beaucoup de zones d’ombre, dont les tentatives d’éclaircissement sont plus légitimes. Les premiers documents sur notre grand homme ont été publiés sous la forme d’éloge, de pamphlet ou de notices. C’était donc plutôt des hyperboles, et cela a contribué à façonner le personnage mythique de Molière. Tout n’est pas à jeter dans ces publications, et les faits relatés, bien que peut-être un peu romancés, permettent, si on les traite avec précautions, de servir de base à une recherche plus objective. C’est ce qui se passera par la suite. En effet, avec le temps, des recherches historiques ont semblé nécessaires, et l’on ne se contenta bientôt plus des notices approximatives de La Serre (1734) et de Voltaire, (1739) ni de la Vie de Monsieur de Molière, par J.L Le Gallois, sieur de Grimarest (1705, réédité en 1877 par l’éditeur des Fleurs du Mal )
Réimpression de 1877 de La vie de Mr de Molière par L.L Le Gallois, Sieur de Grimarest, avec une préface d’Auguste Poulet-Malassis. ©DR
On trouvera une liste exhaustive de tous les livres, articles, publications, qui ont pour objet Molière, sa vie, son œuvre et sa famille. Dans le pavé du bibliophile Jacob, alias Paul Lacroix intitulé Bibliographie Molieresque et qui ne dénombre pas moins de 1733 références.
(Bibliographie Molieresque, par Paul Lacroix, seconde édition, Paris, Auguste Fontaine Libraire, 1875).
Cette liste est bien longue, et s’allongera encore, dès 1877 avec, entre autres, Les points obscurs de la vie de Molière, par Jules Loiseleur, les publications de la revue Le Molieriste fin XIXème, ou plus récemment, Cent ans de recherches sur Molière de Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller en 1963, ou encore, plus proche de nous, la biographie, celle du sieur Forestier, sortie en 2018.
Jean Baptiste Poquelin de Molière, Poète comique décédé le 13 (sic) février 1673 âgé de 52 ans.©DR
Parmi les points obscurs, du moins pour le grand public, on sera surpris de compter la date de sa naissance. Ainsi, on a longtemps cru que Jean-Baptiste Poquelin était né en 1620. Les gravures du XVIIIème siècle adoptèrent cette date, et le premier biographe de Molière, Grimarest, suivi bientôt par Voltaire, Petitot et quelques autres, contribuèrent à pérenniser cette erreur que ne suffit pas à effacer complètement la découverte de l’extrait de baptême d’un certain Jean Poquelin, daté du 15 janvier 1622, et que l’on considère dorénavant comme celui de Molière. L’autre grande controverse qui perdure réside en l’identité d’Armande Grésinde Claire Elisabeth Béjart, Madame Molière, que l’on sait aujourd’hui ne pas être sa fille incestueuse, mais pour laquelle il subsiste un doute.
« Armande se réfugiant dans les appartements de Molière. » d’Adolphe Lalauze, 1877 – ©DR
Deux écoles s’affrontent. Ceux qui prétendent qu’elle serait la fille de Madeleine Béjart, et du Comte de Modène (2) et ceux qui avancent qu’il s’agit de la jeune sœur de Madeleine. La première hypothèse se base sur des conjectures, la seconde sur la découverte au début du XIXème siècle de l’acte de mariage de Molière par Beffara, et sur lequel on lit clairement qu’Armande est la sœur de Madeleine. Nous passerons sur la rumeur, complètement démontée depuis, consistant à nier la mort de Molière le 17 février 1673, qui aurait plutôt été arrêté en secret, et incarcéré, devenant le mystérieux Masque de Fer.
La dernière hypothèse ressortie du bois (3), se trouve dans les publications de l’acteur Francis Huster, qui prétend que le grand comédien et auteur aurait été empoisonné…(4)
Vivement le siècle prochain, et la découverte par un descendant de Fox Mulder, d’un projet d’insémination artificielle ourdie par des extra-terrestres, et visant à faire naître un grand philosophe et dramaturge, sur une planète rongée par l’immoralité…Au fond, peu importe, on touche ici au mythe, et on pardonnera à un comédien sincère et talentueux comme Francis Huster, de vouloir nous transmettre son Molière. Du reste, la théorie qu’il développe, qui pourra sembler fantaisiste, a le mérite d’avoir une portée symbolique non négligeable, l’assassinat d’un symbole de la véritable culture française, organisé par ses ennemis, révélé à une époque – notre époque – où le danger de génocide artistique guette, et s’incarne au sein même des institutions culturelles, devenues les bras armés d’une seule et unique propagande idéologique, et munie d’une arme bien plus terrible que la censure : la subvention !!
Portrait de Molière par Mignard.©DR
De nombreux mystères demeurent donc. Plus la curiosité est rassasiée, plus on se découvre de nouveaux appétits, plus on repère de nouvelles recettes intéressantes, d’autres hypothèses à gouter. Et contrairement à ce qu’affirme Forestier, il n’est pas le premier depuis Grimarest à revenir sur les « fables » établies , à commencer par la date de naissance de Molière, depuis longtemps rectifiée, et qui n’a pas eut besoin d’attendre le XXIem siècle pour venir au jour !
Georges Forestier (4), qui semble adhérer à cette date, prétend en revanche rectifier tout le reste, du haut de son autorité universitaire. Voici comment le site de l’éditeur Gallimard présente son livre: Il existe un mythe de Molière édifié sur un monceau de légendes : mari jaloux et malheureux ; d’humeur rêveuse et mélancolique ; versificateur maladroit ; acteur doué pour le seul jeu comique ; malade consumé par ses mauvais poumons… Des générations de biographes ont colporté ces fables qui composent encore aujourd’hui son portrait.
Qui sont ces générations de biographes qui auraient soi-disant tous repris le récit de Grimarest de 1705 ? Qui sont ces colporteurs de fables ? Forestier se garde bien de citer les très nombreux historiens qui ont travaillé avant lui depuis le premier quart du XIXèm siècle quand il présente son ouvrage. En gros, comme Voltaire, il se contente de justifier ses hypothèses, présentées comme des vérités, en prenant des exemples piochés dans la biographie de Grimarest, dans le pamphet de 1670 Élomire hypocondre ou les médecins vengés écrit par le Boulanger de Chalussay ou dans l’infamant ouvrage à la paternité douteuse La fameuse comédienne ou l’Histoire de la Guerin (5). C’est bien évidemment une facilité, ces sources ayant déjà été abondamment commentées, et leurs limites définies par ses prédécesseurs.
Portrait à l’eau forte et à la pointe sèche d’Auguste Poulet-Malassis, gravé par Felix Bracquemond, 1878 (Beraldi 84, IFF 380). ©DR
Auguste Poulet-Malassis nous relate déjà dans la préface de sa réédition de 1877 de la « Vie de monsieur De Molière que « la mode a été de nos jours de rabaisser Grimarest et de déconsidérer son livre, comme insuffisant, par rapport aux recherches de documents originaux, inaugurées par Beffara, qui ont rendu possible un renouvellement de l’Histoire de Molière en fournissant de nouveaux points d’appui à ses futurs biographes »
Le malade imaginaire. Argan, au centre, entouré de ses médecins, Diafoirus père et fils. © Gallica.bnf.fr
L’on voit que le patron des comédiens, n’a pas finit de faire couler de l’encre, et que le personnage historique se double d’un personnage mythique, sans commune mesure dans l’histoire des arts de la scène – à l’exception peut être de Shakespeare – ce qui ferait probablement plaisir au poète et visionnaire Jean Cocteau qui disait en 1962 : «J’ai toujours préféré la mythologie à l’Histoire, car l’histoire, est faite de « vérités » qui deviennent à la longue des mensonges, et la mythologie, est faite de mensonges qui deviennent à la longue des vérités » (Jean Cocteau s’adresse à l’an 2000) On pardonnera donc tous les excès d’enthousiasme des Néo Molièristes qui feront de Molière leur Molière, pourvu qu’ils fassent preuve de la prudence élémentaire due à l’Histoire, et qu’ils soient mus par une sincérité désintéressée.