Le sort d’Ibiza dépendra-t-il des municipales du 26 mai 2019?
Une île magique ne peut pas mourir, dit on. Ibiza, ce petit caillou perdu au beau milieu de la Méditerranée, que Nostradamus considérait comme l’ultime refuge en cas de catastrophe, ce petit caillou n’est plus, en ce début de saison, que l’ombre de lui-même. Comme le reste du monde, Ibiza a été conquise par les suppôts du mondialisme et de l’uniformisation.
Il existe beaucoup de clichés sur l’île, beaucoup de raccourcis, de malentendus. Ainsi, on la réduit trop rapidement comme la capitale de la fête, de la drogue ou de la techno.
Mais c’était avant tout la capitale de la liberté. Un refuge où la marginalité et le respect d’autrui étaient roi, d’où la possibilité de danser sous les étoiles, de jouer des percussions, éclairé par la seule lumière de la Lune, et où on accueillait généreusement le voyageur. Une bienveillance contagieuse, et pour les hôtes, la promesse d’une égalité tangible.
De gros changements ont commencé à avoir lieu il y a quelques années et ont remis en cause ce caractère unique de l’île.
D’abord au port. On connait bien sûr cette vue de la cathédrale surplombant Dalt Vila, la ville haute, dont les murailles majestueuses, datant du XVIème siècle, côtoient un dédale de ruelles qui raisonnaient de joie et de musique.
Mais ce port n’est maintenant que silence oppressant. Un parvis et des réverbères au design contemporain enlaidissent un bord de mer, qui n’a plus rien d’un port de pêche, tandis que l’avenue Vara de rey et la place du parc, celle où l’on voit le personnage du film « More », de Barbet Schroeder, jouer un instant aux fléchettes, sont devenues méconnaissables, transformées en un parvis sans charme.
Le café concert installé dans le foyer d’un ancien théâtre, le «Teatro Peyreira», a fermé ses portes. On dit que le propriétaire des murs a des projets pour ce lieu.
Le propriétaire serait le même qui a défiguré Playa d’en bossa, la longue plage qui s’étend à l’ouest de Dalt Vila, au delà de Figureretes, jusqu’aux abords de l’aéroport, et qui était connu pour abriter le célèbre « Space ». Abritait ? Car non content d’avoir fait pousser de monstrueux buildings, fleuron d’un auto-proclamé tourisme de luxe, le sinistre promoteur a également décidé de ne pas renouveler le bail du Space à Pepe Rossello, pour récupérer les lieux et en faire un club « vip », à l’opposé de l’esprit convivial originel; dorénavant, c’est une extension du très branché « Ushuaia », où sévissent les DJs starlettes du top50…
Et ce n’est qu’un début. Une nouvelle loi interdisant la musique en extérieur, des normes acoustiques absurdes, ont empêché les petits lieux – ceux qui ne peuvent pas payer les énormes amendes, qui ressemblent fort à des pots-de-vin, d’organiser des évènements. Tout ceci au profit, entre quelques autres, du même et sinistre personnage, qui bénéficie ainsi d’un quasi monopole. En même temps, dans la zone plus populaire de San Antonio, connue pour ses célèbres couchés de soleil, mais aussi pour son alcool bon marché, une « zone de protection acoustique » a été décrétée, qui concerne quelques rues, le ‘West End ». Dans ces rues, les terrasses doivent disparaître avant minuit. Les bars doivent fermer deux ou trois heures plus tôt qu’ailleurs, soit à 3h00. Le tout sous la menace d’amendes, de saisies de matériel. A 50 mètres de là, un petit disco-pub espagnol a le droit de fanfaronner jusqu’à 6h du matin….la loi n’est pas la même pour tout le monde. Dans ce quartier, on attend beaucoup des élections municipales qui auront lieu le 26 mai, en même temps que les européennes, et si les choses ne changent pas, beaucoup pensent à renoncer.
Mais pour l’immense zone touristique, qui, plus au sud, dépend de la mairie de Sant Josep de Sa Talaïa, l’avenir est tout aussi incertain. Une association se bat depuis un an pour tenter d’obtenir une régulation de la musique en direct. Ses membres ont pour le moment obtenu l’autorisation de pouvoir organiser un maximum de deux événements par semaine, finissant au plus tard à 23h et respectant des niveaux sonores ridiculement bas. Aujourd’hui, bien souvent, la rumeur du public couvre le son des enceintes.
Qui croirait que l’on parle en ces termes de cette île qui, soi disant, ne dors jamais?! Alors bien sûr, ceux qui ne jurent que par les grands clubs, ceux qu’on vous montre à la télé, y trouveront toujours leur compte. Mais pour avoir l’illusion de vivre la grande vie il faudra sortir la carte bleue et accepter de payer des fortunes ce que la nature offrait encore il y a peu, et la sensation de liberté qui se dégageait d’Ibiza, et qui se propageait au visiteur au point que beaucoup l’ont qualifiée d’île magique, cette sensation, a pour l’instant disparue.
Le tableau est déjà bien sombre, mais il faut y ajouter une crise immobilière sans précédent qui pousse les travailleurs à dormir dans leur voiture, sur des balcons ou des sofas, faute de pouvoir assumer les loyers exorbitants en vigueur depuis quelques années. Un groupe Facebook dénonce régulièrement les drames relatifs à ce fléau. (La voz de los que nadie quierre escuchar. La voix de ceux que personne ne veut écouter). La solution pour Abel Matutes Prats, directeur du Palladium hôtel group: laisser « répondre à la demande » en facilitant le bétonnage et la construction de logements. La construction et le » luxe » «Las Vegas », tels sont les chevaux de bataille qu’il défend dans la presse. Ainsi, dans le numéro du 17 juin 2017 du quotidien Diario de Ibiza, il affirmait que l’un des défauts majeurs de l’offre touristique locale se résume en l’absence d’un golf…Qu’il avait en projet de construire avec son groupe, comme le montre le projet initial de « reconversion de la zone de Platja d’en bossa », un golf et un centre commercial de 56000 mètres carrés…rien que ça! Alors beaucoup d’habitants, d’entrepreneurs, de fidèles, se demandent si le temps des adieux n’est pas malheureusement venu.
Certains sont d’ailleurs déjà partis.
Pour avoir eu la chance d’y avoir vécu, d’y avoir été adopté, accueilli et guidé, pour avoir gouté à certain de ses secrets les plus simples, loin des excès dont raffolent les médias, c’est avec grande tristesse que j’écris ces lignes. Un changement de politique municipale pourra-t-il nous rendre notre île? Quelques éléments de réponse d’ici l’été, mais rien n’est moins sûr.
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