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« PHILHARMONIE » : MICHAEL JARRELL – Bertrand Chamayou – HECTOR BERLIOZ – Kazuki Yamada

25 mai 2019, Philharmonie – Paris

Hector Berlioz : Te Deum

Orgue, Thomas Ospital

Barry Banks, ténor

Michael Jarrell : Concerto pour piano, « Reflection » (création mondiale)

Bertrand Chamayou, piano

Orchestre Philharmonique de Radio France

Direction Kazuki Yamada

L’énorme « Te Deum » d’Hector Berlioz, la plupart des grands chefs l’ont dirigé. De Colin Davis en passant par Barenboïm, Nelson, Beecham, Inbal, on se souvient des magnifiques interprétations d’Abbado et celle dernièrement, impressionnante, de François-Xavier Roth.

Le « Te Deum » de Yamada n’est pas à démériter, mais ce qui nous a le plus intéressé pour ce concert du 25 mai, c’est la première partie, la création mondiale du concerto pour piano de Michael Jarrell interprété par Bertrand Chamayou.

Quoi de plus judicieux que de faire parler celui à qui le compositeur l’a dédié.

Bertrand Chamayou y est plus qu’impressionnant dans ce concerto au bord de l’injouable comme il le dit.

Conversation avec Bertrand Chamayou

Est que vous connaissiez personnellement Michael Jarrell ?

Non, je l’ai rencontré il y a un an à peu près, c’est une longue histoire ; depuis très longtemps j’avais envie de passer des commandes, notamment une grande commande symphonique, un concerto. C’est le premier concerto qui m’est dédié et aussi à la mémoire d’Eric Daubresse, un ami de Michael, un compositeur de musique électronique ; Michael avait pensé à mon jeu en l’écrivant, m’a-t-il avoué.

Comment définissait-il votre jeu ?

Il m’avait entendu jouer du Liszt, des œuvres virtuoses, alors il a poussé le bouchon un peu plus loin et ce qu’il a écrit est au bord de l’injouable ! Hier à la répétition, un peu flatteur, il m’a dit que lorsque l’on a une Ferrari, on essaye de voir si elle peut rouler à 300km à l’heure !

C’est vrai qu’il faut être une formule 1 pour interpréter un tel concerto!

Là oui, c’est la formule 1 ! Lorsque je suis entré en résidence à Radio France, j’ai tout de suite émis le vœu de commander une grande pièce, mais je n’avais pas d’idée d’un compositeur ; c’est par l’intermédiaire d’un ami commun, Pierre Bleuse, un très bon chef d’orchestre, que j’ai fait la connaissance de Michael et qui a été enthousiasmé pour m’écrire un concerto.

De quoi avez-vous parlé lors de votre première fois ? De peinture, de littérature ou tout de suite de la partition, des notes…

C’était plus trivial que cela, on s’est rencontré au 104, on a essayé de développer des relations humaines, simples, c’est ce que j’ai apprécié, on s’est découvert naturellement, je connaissais son travail et il connaissait le mien.

Aviez-vous joué sa musique ?

J’avais commencé à étudier une étude qui est à l’origine du premier mouvement du concerto, mais finalement je ne l’ai jamais jouée en concert; il l’a développée, amplifiée, orchestrée, puis il a écrit un second mouvement qui est plus dépouillé ; il a eu beaucoup de mal à l’écrire, m’a-t-il dit, comme Ravel avec son mouvement lent dans son concerto en sol, il avait failli en crever pour l’écrire, avait-il raconté…Ici, cela commence avec une cadence solo très simple, pas si simple en fait, c’est une petit canon, qui s’auto régénère.

C’est une œuvre très percussive quand même ?

Oui, oui, la musique des mouvements un et trois est très violente.

As-t-il voulu raconter une histoire, ou n’est-ce qu’une construction simplement musicale ?

Le fait qu’il y ait beaucoup de notes dans sa musique, c’est souvent assez actif ; il y a beaucoup de formules qu’on retrouve au sein de ses compositions, ce sont des résonnances avec toute son œuvre ; il y beaucoup de choses qui rappellent à la mémoire ; lorsqu’on connaît bien son travail, cela devient plus logique. A l’opposé du mouvement lent, totalement éthéré, ce que je vois dans beaucoup d’action, il y a souvent un matériau qui est au niveau des accords, de l’harmonique, qui est assez étal, assez large dans les périodes, et du coup dans cette largeur, il la contrebalance par une hyper activité à l’intérieur.

Est-ce qu’il cache ses émotions ?

Je ne pense pas, le mouvement lent à la mémoire de son ami décédé est très poignant.

J’ai l’impression qu’il est très compliqué à interpréter.

Oui c’est difficile, il faut le jouer pas trop lentement mais très souple et il y a un travail très précis à mettre en place avec l’orchestre ; le titre en anglais est « reflection », il a un double sens ; il y a l’histoire du reflet, la partie de piano jaillit dans l’orchestre, tout part du piano et l’orchestration est une sorte d’amplification, d’éclatement même, ce n’est jamais un duel, c’est jamais l’orchestre qui est le moteur, c’est une manière de traiter l’orchestre comme l’ont fait Boulez ou surtout Berio quand il a écrit ses séquenzas pour instruments seuls et qui après en a fait des versions orchestrées qui s’appellent « Chemin ». Ici c’est un peu le même principe, Michael reprend la partie soliste et il la déploie dans l’orchestre ; reflection a aussi le sens de réflexion ; il m’a expliqué que c’était liée pour beaucoup à la mort de cet ami, une phase aussi correspondant à la souffrance que lui a causé la critique par rapport à son opéra « Bérénice », ça était une période de questionnement pour lui, donc dans ce concerto il y a cette double idée du reflet et de la réflexion.

On doit passer beaucoup de temps, d’énergie, pour avoir dans les doigts un tel concerto?

Ah oui oui, des heures parce que lorsqu’il y a beaucoup de passages très difficiles c’est de l’ordre de l’automatisme, je ne dis pas qu’il faut jouer comme une machine, mais il y a des choses strictement physiques, ça ne veut pas dire qu’on ne met pas d’émotion dedans, mais on ne peut rien faire d’autre que de répéter huit cents fois tel ou tel passage !

A quel moment l’avez-vous eu pour le travailler ?

Il a été fini au début de l’année, vers février je pense, et avant début avril je n’ai pas eu le temps de le travailler ; je m’y suis mis sérieusement en avril et j’ai dû mettre les bouchées doubles, j’ai sué à grosses gouttes.

Et en même temps on fait des concerts !

Et en même temps on fait d’autres concerts (rires), c’est le principe.

Alors on se lève aux aurores ?

Je me couche tard, parfois pour festoyer, pour me changer les idées, mais je travaille énormément dans ma tête, tout le temps, j’ai une espèce d’activité hyper cérébrale au niveau du travail du piano, constamment ; lorsque je travail une pièce je suis obsédé ; je ne suis pas la personne qui passe le plus de temps au piano, il faut que je sente que je vais être productif, alors là j’ai une capacité de concentration très très forte, et je peux enchaîner comme cela trois, quatre heures, pour le concerto j’ai fait des cessions beaucoup plus longues.

Et le travail avec le Philharmonique, cela doit être au cordeau, d’une précision diabolique ?

Le Philhar est fantastique mais les conditions économiques font qu’on ne répète pas assez ; pour une œuvre comme ce concerto on a répété seulement deux services, on a des musiciens magnifiques mais on est sur la corde raide tout le temps, c’est déplorable qu’aujourd’hui on n’a pas les moyens de prendre plus de temps, surtout pour des œuvres si complexes.

Le langage employé dans ce concerto n’est pas choquant, il est vraiment pour tout public.

Michael Jarrell est un compositeur qui a une soixantaine d’années et son écriture nous est habituelle, alors qu’il y a trente ans elle pouvait paraître choquante, nous les interprètes il faut qu’on continue à incarner cette musique pour que les gens se familiarisent avec elle et lorsqu’on la connaît on est comme dans un poisson dans l’eau ; c’est une musique d’émotion ; dans ce concerto l’orchestration est luxuriante, il y a des moments magiques, des moments de frénésie, de violence, c’est un concerto qui devrait avoir un certain impact.

Maintenant il faut l’enregistrer, qu’il existe

On va essayer et peut être une version pour orchestre de chambre est envisageable, on le fera sans doute dans un deuxième temps.

 

Vivement qu’on puisse l’entendre, pas seulement ce 25 mai à la Philharmonie !

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