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C’est dans une brasserie au nom célèbre, Ragueneau – pâtissier, poète et comédien chez Molière, qui servit de modèle à un personnage de Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand. – que nous avons fait notre entretien avec cette formidable, originale et talentueuse pianiste d’origine japonaise Etsuko Hirose. Alors ceci est une interview et tout ce que vous direz sera retenu contre vous etc etc…D’abord nous lui avons fait écouter une musique d’un film très célèbre – Les sept samouraïs de Kurosawa –
Elle vous parle cette musique ?
Elle pourrait être de l’Est
Curieux car c’est une musique d’un des films japonais les plus célèbres.
Ce n’est pas vrai !
Ce compositeur a fait presque tous les films de Kurosawa et de Mizoguchi ! Vous connaissez ces cinéastes ?
Je connais ces cinéastes !
Les américains ont fait un remake, un western extrêmement célèbre, il se nomme les Sept Samouraïs
Ah oui !…C’est ça ! Qui était le compositeur ?
Fumio Hayasaka…Allez on continue
De nouveau nous lui faisons écouter un autre compositeur pour le film Ran de Kurosawa
Ça c’est japonais, mais je suis désolé je ne connais pas le compositeur !
Une pianiste qui fait une carrière internationale et qui ne reconnait pas le style de ce compositeur peut-être le plus célèbre des compositeurs contemporains ! Alors ?Toru Takemitsu !
Ah oui c’est bien de lui (rires)
Allez une petite dernière, une musique célèbre d’un réalisateur extrêmement connu
(rires) Ça me dit quelque chose mais je ne me souviens pas du nom !
C’est la mélodie de Porco Roso un film de Hayao Miyazaki composée par Joe Hisaishi, le compositeur japonais le plus célèbre au monde qui remplit des salles entières de 60, 80 milles personnes !
(Énormes rires) Je suis désolée, je suis désolée !
Alors vous êtes capable de jouer Chopin, Schumann, Alkan, des compositeurs russes totalement inconnus et, honte à vous, vous ne connaissez pas les musiques, célèbres de votre pays !
C’est la faute de ma mère qui me faisait écouter que du classique occidental, dès ma naissance !
Mais c’est scandaleux !
Du matin au soir c’était complétement fou ! La musique japonaise me parait très exotique, c’est vrai que cela me fait honte, mais je ne suis pas sûr de savoir la jouer !
Je suis désolé Joe Hisaishi est le compositeur le plus célèbre au monde, j’ai entendu le pianiste du Trio Pantoum, Kojiro Okada qui a fait un bis avec sa musique! Je vous conseille d’aller sur YouTube pour entendre Hisaishi en quatuor jouer sa musique. Etsuko vous êtes trop occidentalisée ! On m’a expliqué qu’au Japon et en Corée, les conservatoires sont totalement occidentalisés !
Je suis venue à 15 ans à Paris et donc je n’ai pas fait de conservatoire au Japon, j’ai juste appris le piano en privé.
Vous étiez toute petite lorsque vous avez joué un concerto de Mozart
Oui à six ans
Vous étiez donc déjà totalement occidentalisée. Vous n’avez jamais voulu faire un retour aux sources ?
Il y a tellement d’œuvres euro…(je l’interromps !)
japonaises à découvrir ! Takemitsu ne vous intéresse pas ? C’est quand même plus intéressant que Brahms ou Schumann non ?
Vous êtes sérieux ? Même leurs œuvres pour piano ?
Surtout, Takemitsu est un compositeur passionnant. Mais qu’est-ce qui vous est arrivée de venir ainsi à 15 ans en France ?
C’est l’influence de ma mère. Elle a étudié la littérature française, elle adorait la France
Où habitiez-vous ?
On habitait à Nagoya, mon père de Guifu proche de Nagoya, mes parents jouaient en amateur du piano pour ma mère et de la guitare pour mon père. Mon père travaillait dans les assurances. Ma mère, comme le voulait la tradition, a arrêté de travailler lorsqu’elle s’est mariée. Si j’ai étudié le piano c’est pour que je puisse ne pas tomber dans cette tradition de la femme mariée à la maison.
Etes-vous fille unique ?
Oui. Avant ma naissance elle avait lu un article sur la méthode Susuki, et donc j’ai appris le piano avec cette méthode. On apprend vite et bien mais on prend aussi des mauvaises habitudes. On copie sans le savoir, on fait trois mesures de Martha Argerich, puis trois mesures de Pollini, on fait des collages inconsciemment dans sa tête. J’avais donc aucune personnalité, lorsque je m’en suis aperçue, je me suis efforcée d’écouter des répertoires que je n’avais jamais entendus. À l’époque j’apprenais d’oreille, j’ai encore des cassettes où à cinq ans je jouais le menuet de Paderewski, je faisais que des choses qu’on me disait de faire.
Vous étiez donc une jeune fille sage.
C’est cela et après la musique est devenue ma passion. Lorsque j’écoute les cassettes de cette époque c’est vraiment du copié/collé ! On avait énormément de vinyles que ma mère me faisait écouter. Je travaillais trois à quatre heures par jour à six ans ! À treize ans j’ai gagné un concours Chopin pour les jeunes à Moscou en 1992. Ma mère a payé le voyage et elle est venue. C’est ce résultat qui m’a fait penser que peut-être je pouvais faire une carrière dans la musique.
Et votre mère a eu l’idée après ce concours de vous envoyer en France ?
Pas vraiment je voulais aller à 15 ans au conservatoire de Tokyo. Mais il est très cher, et comme je suis de Nagoya, donc aller à Paris ce n’était pas plus compliqué et le conservatoire ne coûtait pas très cher.
Vous êtes d’abord aller à l’École Cortot
Oui j’ai fait l’école normale après deux ans je suis entrée au CNSMDP
Il y a beaucoup d’asiatiques à l’École Cortot
Surtout des Japonais. Cortot est très aimé au Japon, il y a même une île qui porte son nom : Cortoshima – ! Il y a aussi une salle qui porte son nom.
Mais vous ne parliez pas français ?
Non, je suis allée à l’Alliance française
Votre mère vous a laissé seule à Paris
Non elle faisait des allers-retours
Cela a dû coûter cher à votre famille
Aller au conservatoire à Tokyo c’était bien plus! J’étais contente d’être en France car j’aimais Debussy, Ravel et puis Chopin qui a aussi vécu en France.
Mais j’ai regardé ce que vous aviez enregistré et il y avait beaucoup russes. Alors avoir eu comme professeur Bruno Rigutto, élève de Samson François le pianiste de Debussy, Ravel et enregistrer Balakirev, Lyapunov, Vladigerov et Rimsky-Korsakov n’est-ce pas paradoxal non ?
J’ai quand même fait un disque Chopin. En fait on ne peut pas faire ce que l’on veut selon les maisons de disques. Ils nous imposent des compositeurs qu’ils n’ont pas dans leur catalogue.
C’était chez Denon, un beau catalogue, Rigutto est chez eux
Après je suis allée chez Mirare et à chaque fois il faut que je me batte pour que je fasse quelque chose qui me tienne à cœur !
La prochaine fois ce sera Takemitsu ! (éclat de rires d’Etsuko) Si vous le faite je viendrai à votre concert, peut-être je serai tout seul ! Qu’est-ce qu’il vous faisait travailler?
Au conservatoire c’était beaucoup Ravel, Debussy, Chopin
Et que vous disait-il ?
C’est lui qui m’avait fait cette remarque sur le copié/collé, cherche ta personnalité, je l’adorais vraiment comme pianiste, pendant les cours c’était génial, je voulais absolument le copier ! Il me l’interdisait, il voulait que je trouve quelque chose de moi ! Au départ c’était très difficile, mais c’était inconscient.
Comment faites-vous pour interpréter Debussy qui est tellement Français ?
Le fait d’avoir été éduquée par des professeurs français, de connaître la peinture, la poésie cela m’a beaucoup aidé.
Il faut aimer le steak-frites (rires)
Je ne sais pas si cela aide vraiment !
Il ne faut pas manger des sushis ! (rires) Qu’est-ce qui vous a étonné la première fois que vous êtes arrivée en France ?
Tout est si différent, la mentalité, ça m’a beaucoup choquée parce qu’au Japon, il faut copier, et si un prof vous montre quelque chose, il faut le refaire exactement, il faut être comme les autres.
Mais dans la rue, parler avec les gens, vous deviez être perdue non ?
J’ai trouvé l’attitude individualiste des gens, même au conservatoire plus confortable, j’étais très timide et me faire des amis cela m’a beaucoup aidé. Lorsque je suis rentré au Japon ; après mes études, ma carrière pouvant décoller là-bas, ce fut un autre choc, car j’avais passé mon adolescence en France. C’était impossible pour moi de revivre au Japon, c’est pourquoi je suis retournée en France. Je suis plus moi-même ici.
Et c’est pourquoi vous ne connaissez pas, ne jouez pas la musique japonaise, cette musique totalement exotique pour vous ! (éclats de rires)
Peut-être qu’un jour je retrouverai mes racines !
C’est important de savoir d’où l’on vient ?
Bon il n’y a pas que Takemitsu !
Alors vos concerts ont bien marché au Japon ?
Oui cela a bien décollé pour que je puisse faire ma carrière là-bas , j’avais un contrat signé avec Denon, j’ai fait quatre albums, j’ai joué avec des orchestres, j’ai fait pas mal de concerts, mais il n’y a pas de personnalités, tout est normalisé, il n’y a pas de couleur, c’est nickel, propre. J’ai eu la chance d’avoir des orchestres qui m’ont proposée des concerts, j’ai pu faire ainsi des expériences, la France m’a manquée.
Faites-vous de la musique de chambre ?
Oui, beaucoup, beaucoup, j’ai fait un disque avec le quatuor Elysée, on a enregistré le quintette de Bartok ainsi que celui de Catoire…
Alors j’ai trouvé sur votre site, des articles de presse! Ce sont des phrases qui sont assez incompréhensibles pour moi : donc en parlant de vous, Essayez cette visite, distante du mystère insondable comme de l’originalité de principe…une dimension musicale absolue, le sentiment accumulé non concrétisé… elle possède la sensibilité aiguë et le magma des sentiments inépuisables…vous êtes donc indispensable… C’est du japonais pour moi et c’est écrit sur votre site, vous ne les avez pas lues je suppose ? (éclats de rires)
Où avez-vous trouvez cela ?
C’est sur votre site ! Qu’est-ce qu’une dimension musicale absolue en parlant de vous ?
Ce n’est pas moi qui aie écrit ces choses-là ?
Oui mais vous les avez recopiées sur votre site ! Vous êtes une pianiste très mystérieuse si je comprends bien en lisant ce langage vulcanologique ! La seule personne qui parle correctement de vous c’est Martha Argerich qui dit que vous avez une technicité hors pair etc etc, mais avec Martha dès qu’on est japonais c’est bien !
Elle aime beaucoup le Japon !
Alors dans Chopin vous avez une loyauté et une franchise dans votre jeu ? Quel est donc votre franchise dans Chopin ?
Je ne sais pas(rires)
Qu’est-ce votre franchise dans un nocturne ou une mazurka ? J’essaye de comprendre votre jeu à travers ces respectables écrits des professionnels de la profession ! Avez-vous lu ce qui est sur votre site ?
C’est vraiment sur mon site ?
Je n’invente rien j’ai lu les extraits de presse pour faire notre entretien, il y a cette phrase une dimension musicale absolue, le sentiment accumulé non concrétisé est-ce que cela veut dire que ce journaliste trouve que vous n’allez pas au bout de votre interprétation d’une œuvre ? Ce n’est pas sympa cette phrase, il faut l’enlever ! Pour interpréter Chopin il paraît que c’est très compliqué de l’aborder, est-ce votre sentiment ?
Lorsque j’ai travaillé avec Brendel,
il est très connu pour ses interprétations de Schubert, Beethoven,
Il m’a demandé de jouer du Chopin, parce qu’il en avait marre de Beethoven, il m’a expliqué qu’il n’a pas joué Chopin, parce qu’il vénérait Cortot et surtout ses enregistrements avec les 24 préludes, il les trouvait tellement idéal
Qu’on ne pouvait pas faire mieux !
C’est ça ! C’est pour cela qu’il a évité Chopin !
Mais vous vous adorez ce compositeur
Oui j’adore, j’ai une affinité surtout avec le répertoire romantique,
Mais vous n’êtes pas une grande romantique
Oui, pas du tout,
C’est pour cela que vous savez bien jouer Chopin ?
C’est possible, mais j’adore m’exprimer à travers la musique. J’adore chez lui sa poésie, j’aime les défis et j’adore exprimer ce qui est inexprimable avec les mots. C’est donc un défi de trouver quelque chose entre la lumière et l’ombre, on montre un sourire mais derrière on pleure, c’est comme la poésie.
J’ai fait un entretien avec un pianiste qui avait du mal à comprendre Chopin et puis pour bien l’interpréter il pensait qu’il fallait le jouer comme si on le découvrait, comme si on l’inventait, l’improvisait
On ne peut pas faire n’importe quoi non plus, il y a un équilibre à trouver c’est ce qui est compliqué chez ce compositeur, trouver une fraîcheur
Alors votre amour pour les compositeurs russe ?
J’adore la littérature russe,
Bien sûr pas les Haïku ! (rires)
Tous les compositeurs ont été inspirés par la poésie, elle m’aide quand je suis moi-même en manque
Mais la poésie japonaise c’est très beau aussi (rires), je ne vais pas vous lâcher là- dessus! Vous allez vous demander pourquoi vous avez accepté cet entretien !
Oui cette littérature russe m’a donnée envie de mieux connaître les compositeurs russes, et puis d’avoir connu en 92 ce pays m’a aidée, depuis je suis retournée en 2000 et c’était très occidentalisé. J’adore chercher des compositeurs qu’on n’interprète pas souvent, les pianistes tournent toujours autour du même répertoire et c’est vraiment dommage, donc c’est un vrai plaisir de faire découvrir .
Alors on est encore chez les Russes avec votre Shéhérazade et vous avez fait les arrangements.
Plus jamais je ne ferai des arrangements ! J’adore cette musique, je l’ai beaucoup jouée à quatre mains, c’est pour cela que je connaissais bien la partition et de plus je savais que cela marchait bien au piano et que le public adore cette musique. J’avais envie de faire ma version. Elle est très différente de la version d’orchestre, elle est plus intime, c’est de la musique de chambre.
Oui de chambre c’est le mot exact, une histoire à deux…
Oui c’est vrai,
Ils sont seuls tous les deux et si elle ne continue pas à raconter des histoires on lui coupe la tête ! C’est très long, les mille et une nuits, le contraire d’un Haïku (rires).
Á quatre mains ce n’était pas très facile de jouer cette pièce, on mélange les mains, il n’y en a qu’un qui a les pédales, un qui à la partie chant, je voulais avoir le piano pour moi toute seule, pour pouvoir exprimer vraiment jusqu’au bout !
Mais qu’est ce qui vous a plu dans cette musique ?
Cet exotisme m’a touché, je suis quelqu’un de très émotif
Vous aimez les Russes, alors Prokofiev ?
Pas trop lorsque c’est percussif ça ne me parle pas !
Alors vous ne supportez pas les tambours japonais ! Ce qui est étrange c’est que vous aimez Debussy qui a été influencé par le Japon, même Dutilleux. Alors vos prochains concerts…
C’est avec Shéhérazade et puis je reprends Lyapunov, je suis fier d’avoir enregistré ce répertoire russe oublié, et puis je joue la sonate au clair de lune de Beethoven pour plaire au public.
Chère Etsuko Hirose merci infiniment d’avoir accepté ce jeu qu’est un entretien occidental et n’oubliez pas d’être un magma de sentiments inépuisables ! Pour une non sentimentale cela risque d’être compliqué !
Si on veut en savoir plus sur sa vie, son œuvre, il existe son site :