Jeunes Talents a 25 ans d’existence, une manière de permettre aux jeunes musiciens de faire leur premier concert. Cette association a été initiée par Laurent Bureau – voir sur le site son entretien du 30/07/2022 -. Depuis quelques temps nous avions remarqué une jeune femme discrète qui à l’occasion présentait les récitals ou se mettait à la billetterie. Vu son jeune âge elle ne devait pas être une bénévole. C’est ainsi que nous avons fait la connaissance d’Aurore Dermagne la programmatrice des excellents concerts auxquels nous assistions. Une occasion d’en savoir plus sur elle, un rendez-vous fut pris le 1er mai au café restaurant le Ragueneau (Cyrano de Bergerac), face à la future fondation Cartier, à deux pas du Ministère de la Culture, un lieu donc lié à la culture ! Aurore a 28 ans, une vraie parisienne, elle a demandé à relire l’entretien a lissé ses questions-réponses et supprimé certaines que je lui ai posées (elle pouvait dire joker). Everything is under control of course ! Déjà politiquement correct, Aurore Dermagne ira loin c’est évident…Ceci est donc juste un banal entretien, tout ce que vous direz… pas vraiment…
Que signifie « Aurore » pour vous ?
Aurore, c’est le matin, le début de la journée. Et moi, je suis toujours de bonne humeur le matin, j’ai une humeur stable, j’aurais pu m’appeler Constance ! (rires) Le soleil, la joie, ça me ressemble. Et puis, au-delà de ça, j’y vois aussi un commencement, une naissance, quelque chose de nouveau.
Je vous ai découverte avec Jeunes Talents. Pour moi, vous êtes un peu l’aurore de la carrière de ces jeunes artistes.
C’est joliment dit. C’est vrai que je les accompagne au tout début, c’est poétique… comme une sorte de prédestination. Je n’y avais jamais pensé comme ça, mais j’aime bien cette image. Merci ! (rires)
Vous êtes jeune, dynamique, vous avez du charme. Vous avez envisagé une carrière artistique ?
J’ai longtemps étudié le piano, mais ce n’était pas un objectif professionnel. J’ai fait Sciences Po Grenoble et une licence de musicologie en parallèle. Je savais que je voulais évoluer dans l’univers de la musique classique, mais plutôt côté organisation.
Et le théâtre ?
Oui, j’en ai fait et j’adorerais en refaire, mais mes journées sont trop courtes !
Vous devez être ravie d’être ici, au Ragueneau, du nom du pâtissier poète de Cyrano de Bergerac ! Et donc ensuite ?
Oui, c’est un joli clin d’œil ! Ensuite, j’ai travaillé chez Medici TV, sur les captations et la gestion des livestreams. C’est un peu le Netflix de la musique classique, donc beaucoup d’organisation et de coordination à l’international.
Quel est votre objectif professionnel ?
Diriger une structure dans le domaine de la musique classique. Mon rêve ultime ? La Philharmonie de Paris, ou bien un festival, une salle de concert, un ensemble indépendant… Mais dans ce milieu, les postes de direction restent rares pour les jeunes.
Et dans un ministère ?
Bien sûr, pourquoi pas !
Le piano, c’était surtout pour le plaisir ?
Oui, comme dans beaucoup de familles bourgeoises, on met ses enfants au piano. Mais mes parents n’étaient pas du tout du milieu artistique. Ma mère est assistante sociale, mon père commissaire aux comptes. Mais on écoutait toujours de la musique classique, surtout le dimanche matin ou en voiture, on avait plein de CD. On écoutait Bach, Mozart… Aujourd’hui mes goûts sont très éclectiques et c’est essentiel lorsque l’on fait de la programmation…
Mais votre goût ?
J’adore Bach bien sûr ! Les suites françaises, les préludes et fugues, la Messe en si, les concerts brandebourgeois… je pourrais écouter cela tout le temps. En ce moment, j’écoute beaucoup Fauré et Debussy, la musique française…
J’ai vu que vous aviez fait des articles pour Le Figaro
J’ai fait un stage au Figaro et j’y ai écrit plusieurs articles. Je me souviens d’un papier sur Jeff Bezos, alors première fortune mondiale. Il y avait en parallèle des grèves chez Amazon, et j’avais proposé de traiter les deux ensemble. On m’a répondu : Si vous voulez travailler chez Libération, la porte est grande ouverte ! (rires). C’était clair qu’il fallait écrire selon la ligne du journal, mais c’était formateur. J’écris aussi pour Olyrix, ce qui m’a permis d’assister à des concerts à Paris, Genève… Mettre des mots sur la musique, c’est essentiel dans ce métier.
Et Jeunes Talents ?
Quelques mois après mon diplôme, j’ai été recrutée comme programmatrice.
Vous avez changé des choses ?
C’est une association bien rôdée. La difficulté, c’est qu’on n’a pas notre propre salle. On doit jongler entre les lieux, chercher des financements, s’adapter à des contraintes – par exemple, au Musée Guimet, il faut un lien avec l’Asie.
Comment trouvez-vous les artistes ?
Je vais à des concours, à des auditions. On en organise aussi en février-mars, avec une présélection sur dossier puis un jury, généralement composé de trois à cinq membres.
Sont-ils encore dans les conservatoires ?
Certains oui, d’autres sont déjà diplômés. Les profils sont variés. Ils cherchent tous à jouer, car les opportunités sont rares. Et le niveau technique est incroyable aujourd’hui.
Avez-vous fait venir plus de musique baroque ?
J’essaye, surtout aux Archives Nationales. À Paris, il y a un vrai public, mon rôle est aussi de connaître ses attentes et qu’on puisse ramener le plus de monde possible. Il faut toujours équilibrer entre découverte et répertoire connu, entre faire découvrir des compositeurs et des compositrices et faire interpréter des chefs-d’œuvre du répertoire.
Avez-vous d’autres fonctions ?
Mon travail est aussi de gérer, outre le côté artistique et la production, les relations avec les partenaires, aider au montage de dossiers de subvention, faire les contrats de cession…
Tenir un planning cela doit-être compliqué je suppose…
On organise 160 concerts par an, il ne faut pas oublier qu’on fait aussi des concerts de solidarité : dans des écoles, des maisons de retraite, des hôpitaux. Il faut aussi répondre aux musiciens quel que soit le moment ou le jour ! Ils travaillent tout le temps c’est leur vie et souvent ils ne savent pas ce qu’est un week-end.
Les concerts à midi sont souvent peu fréquentés, c’est une heure en France qui ne convient pas trop pour les mélomanes, qu’en pensez-vous ?
C’est une vraie question. En France, ce n’est pas une tradition comme ailleurs. Mais on essaie de nouveaux lieux comme le Village by CA, un incubateur de start-up.
Avez-vous une vision artistique très globale?
Oui, pendant le festival par exemple au mois de juillet on organise 22 concerts, alors il faut avoir une vision globale, d’avoir une grande variété d’ensembles instrumentaux, un quintette à cordes et piano va jouer le Concert de Chausson qui est encore trop peu connu et à côté de cela on aura la Fantaisie de Schubert, le trio n°2, La Truite qui sont des chefs-d’œuvre très connus et qui continuent de nous émouvoir. On aura aussi des airs d’opéra-comique, un petit orchestre baroque, un duo violon-harpe…
Parmi les jeunes de cette année, qui vous a marqué ?
Une violoncelliste, Maya Devane. Elle a beaucoup de potentiel.
Comme Gaspard Thomas que j’ai découvert chez vous
Oui, qu’on a beaucoup programmé et qui a fait son chemin. Il y en a pas mal qui font des grandes carrières aujourd’hui et qui sont passés par Jeunes Talents, sur 25 ans c’est normal. L’enjeu c’est ceux qu’on pense qui sont en devenir, il faudrait souvent les programmer. Je fais aussi du conseil artistique et j’envoie des musiciens dans des associations partenaires, on a une bonne dizaine d’associations dans toute la France.
Et la harpe ? On ne l’entend plus trop…
Elle reviendra en septembre au Village by CA ! En ce moment, un musicien s’entraine sur notre harpe pour un concours à Marseille, elle est utilisée hors champs, dans les coulisses.
La programmation 2026 est-t-elle prête ?
Elle est en cours. Celle du Festival sera bientôt en ligne. Je finalise actuellement celle de septembre à décembre.
J’ai un très beau souvenir d’un concert pour la fête de la musique en 2024 dans cet excellent lieu qu’est la Cité de l’Architecture au Trocadéro.
En ce moment on organise pour la fête de la musique trois concerts dans ce lieu.
Vont-ils vous le prêter pour d’autres concerts ?
C’est un Musée, cela met du temps avant de nouer des relations de confiance, on renouvelle l’expérience de l’année dernière avec des concerts de 16h à 19h. Les choses avancent lentement. Pendant la fête de la musique, il y aura aussi les concerts de 13h à 19h dans la Cour d’honneur des Archives Nationales.
Et l’accordéon on en aura bientôt ?
Oui, pour la fête de la musique, mais on va avoir bientôt un récital le 27 mai au Village by CA. Il faut mélanger des concerts classiques dans des lieux inattendus, et l’inverse !
Un mot sur la Suisse ?
J’y vais souvent, mon compagnon y travaille comme accompagnateur et chef de chant. Je connais bien la scène artistique suisse, j’aimerais y travailler un jour.
La vie des musiciens y est très complexe
Oui, ils n’ont pas le système d’intermittence comme en France mais la reconnaissance des musiciens y compris financière y est bien meilleure.
Merci chère Aurore, j’apprécie vôtre enthousiasme à nous parler de ce que vous faites. Alors à samedi prochain aux Archives Nationales à 20h pour écouter Agathe Aspaord Bugnon, flûte et Wenjia Guo, piano.