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[ENTRETIEN] : Nicolas ERRÈRA, Il faut que la musique touche !

Nicolas Errèra, la belle quarantaine, a une formation classique – cours de piano et de composition à  l’École Normale de Musique de Paris avec pour professeurs Serge Petigirard (pour le piano),  Max Deutsch (pour la composition) et LaurentPetitgirard (pour la composition de musique de film). Plus tard, il participe à la classe de musique acoustique au CNSMD. Il est le compositeur de « Le Papillon« , du générique de « En Terre Étrangère« , de la série » XIII« , de « L’Outremangeur« , « Nocturna« , « Le Guetteur« , des pièces mises en scène par John Malkovitch, et d’autres films dont il nous parle dans cet entretien.

Il a accepté, entre deux avions pour la Chine ou les USA, de nous recevoir dans son studio dans une proche banlieue parisienne.

Vous n’allez-pas être surpris si mes questions commencent par pourquoi !

J’imagine la raison !

Pourquoi la musique de film ?

Je ne saurais répondre à cette question…Je pense que cela vient de l’enfance. Pourquoi j’étais passionné par la musique de film ?…Pourquoi ? Parce que cela m’aidait à créer des mondes imaginaires, virtuels. J’écoutais des vinyles sur le tourne-disques et je m’endormais en entendant de la musique de film. C’était beaucoup des musiques de John Barry, je ne sais pas pourquoi, il créait des univers ; ou bien de Bernard Hermann. J’avais l’impression de plonger dans des mondes particuliers et cela m’aidait à m’endormir. A la base ça ouvre l’imagination à d’autres mondes. C’est ce que j’aime dans la musique de film. La pop musique, que j’apprécie aussi, l’ouvrait également. Et venant du classique, ces musiques contrebalançaient pas mal cette musique.

Ce sont des musiques descriptives qui vous attirent ?

Non, John Barry vient de la pop. La musique de film c’est un carrefour de plein de musiques différentes : on peut trouver cela dans le jazz. C’est pour moi la musique classique du XXème siècle, XXIème siècle. Il y a une sorte de liberté musicale qui va de l’expérimentation à une musique très classique, et cet éclectisme permet d’être très ouvert sur le monde. La réalité de la musique de film c’est autre chose. L’envie de cette musique vient de cette liberté imaginative.

 Pourquoi France Culture comme première expérience de composition?

J’étais très jeune, 14,15 ans, et il y avait des dramatiques radiophoniques à l’époque sur cette radio. Ils employaient des compositeurs pour écrire des musiques originales, c’était très proche de la musique de film. Il y avait des univers assez étranges. J’adorais ce genre de  composition ; j’ai dû travailler sur cinq, six pièces. On pouvait jouer avec les musiciens de l’orchestre de la radio, c’était très intéressant.

Pourquoi par la suite avez-vous changé de voie ?

Je suis allé voir ailleurs effectivement. J’ai rencontré des DJ, des musiciens du Trip Hop, ils m’ont complétement déstabilisé par rapport à ce que j’avais appris dans le classique. J’aimais beaucoup ce côté abrupt, cette rupture de ton. C’était la naissance du sample. J’ai créé des groupes de musiques électroniques, Grand Popo Football Club, Rouge Rouge. Avec Jean Croc, on samplait des musiques françaises totalement inédites. Puis en 2002 je suis revenu à la musique de film avec « Cravate Club » de Frédéric Jardin.

Pourquoi ne me parlez- vous pas de cette expérience avec Confortés ?

C’est une autre époque de ma vie !

Vous n’étiez pas vieux ! « Vive les femmes » d’après Reiser, c’est en 1984 !

J’avais 16 ans. C’est tellement différent de ce que je fais maintenant, c’est pourquoi je n’en parle pas !

La séquence avec Roland Giraud qui drague sur la plage sur votre musique est quand même cultissime !

Cela n’a rien à voir avec mon travail d’aujourd’hui ! C’était une autre époque, c’était quand même super de rencontrer cette équipe, j’avais fait des courts-métrages avant de travailler avec Confortés. [ Dans le studio de Nicolas Errèra il y a un dessin original de Wolinski et un de Reiser dédicacés à son attention ! ]

 

Pourquoi « Le Papillon » pour votre naissance en tant que compositeur de musique de film ?

C’est le producteur du film Patrick Godeau qui m’a fait rencontrer  le réalisateur Philippe Muyl. J’avais travaillé pour ce producteur sur « Cravate Club » de Frédéric Jardin. J’avais composé la musique de son film précédent, « Les Frères Sœur ». Philippe est venu au studio, il a écouté ce que j’avais composé et il a apprécié. Il est assez dans le feeling. J’ai composé la musique de la chanson avec Michel Serrault et une petite fille.

Et donc la chanson  »Pourquoi » !

Effectivement. Michel est venu dans ce studio, c’était un fou de musique, il adorait venir ici. On a passé plus de temps que prévu, il jouait du bugle ; il en joue d’ailleurs sur la chanson. On avait un projet de cirque. C’était une rencontre formidable. C’est cela qui est passionnant dans la musique de film, on arrive à la fin du processus…

C’est rare de rencontrer les acteurs !

Oui c’est lorsqu’on les fait chanter qu’on les rencontre ! La petite fille, Claire Bouanich, a été formidable, très professionnelle. La chanson a bien fonctionné et c’est grâce à elle – qui a eu un énorme succès en Chine – que le film a fait plus de 15 millions de spectateurs et que j’ai pu travailler en Chine. J’ai toujours été fasciné par le cinéma de Hong Kong que j’allais voir adolescent sur les Grands Boulevards…J’ai envoyé mes musiques à une productrice qui travaillait chez Warner à Hong Kong. Elle les a fait écouter à un réalisateur, qui les a appréciées.

Pourquoi le succès d’un film fait-il le succès de tout ce qui le compose et ici de la musique ?

C’est très particulier; la musique est mise en évidence par le succès du film ! Cela n’a pas un rapport avec la qualité musicale. Aujourd’hui avec des compilations, par exemple celles de Morricone, on s’aperçoit que pour des films qui n’ont pas marché, il a été écrit de superbes musiques. C’est peut-être pour les amateurs de films, qui ne sont pas encore trop nombreux ! La notoriété d’un compositeur est liée au succès d’un film !

Pourquoi est-ce si différent de travailler avec des réalisateurs chinois ?

Je ne parle pas leur langue, donc tout se fait en anglais. De plus, ces réalisateurs sont très sensibles à la musque, ils vivent vraiment la musique. En Russie j’avais aussi rencontré cette sensibilité. Lorsque j’avais mes groupes de musiques électroniques, une note pouvait les faire pleurer d’émotion. En Asie la musique est très importante : c’est une musique qui doit générer un impact ; on est dans des univers très organiques. Ils n’ont pas de référence. Il faut que la musique touche ; on est dans le premier degré. Les réalisateurs avec qui je travaille ont entre 40 et 50 ans, donc ils ont vécu avec le cinéma américain.

Vous avez travaillé d’abord avec Benny Chan…

J’ai fait trois films à Hong Kong avec lui. Il est considéré comme un des maîtres des films d’action, des films policiers. J’ai composé en 2008 « Connected », en 2011 « Shaolin », un film d’arts martiaux avec Dany Lau et « The White Storm » en 2013 avec Nick Cheung.

De se retrouver dans cet univers cela a dû vous faire un certain effet !

Le rêve était devenu réalité ! La première fois que je suis arrivé à Hong Kong, je suis allé sur le tournage, c’était magique. C’est quand même le haut lieu du cinéma asiatique. Ils produisaient jusqu’à 400, 500 films par an pour toute l’Asie ! Maintenant un peu moins. Il y a là une vraie histoire du cinéma. Les équipes sont très professionnelles. C’était pour un film où il y avait beaucoup de cascades, c’était très impressionnant ! Les films hongkongais sont les meilleurs du monde dans l’action, bien supérieurs aux films américains, parce qu’ils sont poétiques, pas toujours avec une happy end.  Les films coréens ont des scénarios qui vont bien plus loin et il n’y a pas de happy end du tout ! Il n’y a pas la pirouette de fin énervante qu’on a dans le cinéma américain.

 Actuellement vous travaillez sur un nouveau film chinois…

C’est un drame qui s’appelle « Mountain Cry » du réalisateur chinois Larry Yang. C’est américano-chinios parce que il est produit par Village Roadshow qui a produit MadMax. Il y a du piano solo extrêmement travaillé, presqu’électronique, et à la fois un grand orchestre qu’on a enregistré à Londres, plus classique.

Pourquoi vous ne dirigez pas tout le temps ?

Je me suis aperçu que c’est mieux pour suivre quand je ne dirige pas. Mais pour le plaisir j’adore le faire.

Pourquoi n’avez-vous pas pris un orchestre chinois ?

Ils avaient voulu, mais c’était très compliqué parce qu’en Chine ils ne font pas des prises de son avec tout l’orchestre mais par pupitres. Moi je préfère avoir tous les instruments en même temps.

Avez-vous reçu des récompenses pour vos compositions ?

Pour « The White Storm » j’ai reçu un prix à Changchun, un des festivals les plus importants de Chine ; une ville qui était le Hollywood des Japonais à l’époque ; maintenant c’est Pékin, c’est un festival du type Cannes. J’étais le seul européen là-bas !

Un  Français compositeur c’est assez unique quand-même ?

Oui. En général ce sont des compositeurs japonais et beaucoup de coréens qui sont très bons en musique. Johnnie To travaille avec un Français qui s’appelle Xavier Jamaux, qui vient du monde de l’électronique. Il n’y en a pas beaucoup mais je pense que cela va venir parce qu’ils commencent à s’ouvrir. J’ai commencé fin 2007 et j’ai vu la différence, il y avait moins de salle de cinéma à l’époque que sur toute la France, et maintenant ils construisent un Imax par semaine ! Je crois que cela devient le plus grand marché du monde !

Pourquoi votre production chinoise n’a-t-elle pas de résonance sur votre carrière  ?

Les films chinois, sauf auprès des cinéphiles, n’ont pas encore touché le grand public, alors qu’un compositeur qui travaille aux États-Unis est mieux considéré ! Le cinéma coréen est pourtant un des plus beaux cinémas du monde !

Pourquoi n’avez-vous pas encore écrit pour eux ?

Je suis en pourparlers, grâce à « Mountain Cry » qui a été projeté pour la clôture du festival de Busan en Corée. C’est le plus grand festival d’Asie. Il est à la dimension des pays asiatiques. La salle est faite pour six mille personnes, c’est impressionnant. La musique sort magnifiquement et j’ai rencontré des producteurs…

Et vous arrivez quand même à composer en France !

L’année dernière j’ai fait le film de Vincent Garenq « Au Nom de Ma Fille ». C’est un supervisor musical qui me l’avait fait rencontrer. Et je termine un film de Nicolas Boukhrief qui s’appelle « La Confession ». Je l’avais rencontré pour une pièce de théâtre de Gilles Gaston-Dreyfus qui s’appelait « Mon Ami Louis ». La composition pour le film est avec un quatuor un peu particulier. Il y a un piano, un aspect électronique, un violoncelle, du cristal Baschet pour montrer la fragilité des sentiments, et j’ai ajouté des ondes Martenot. La musique de film permet ce genre de mélange.

Pourquoi êtes-vous resté mélodique ?

Bizarrement même si j’aime faire des mélanges, je suis très attaché à un aspect mélodique. C’est toujours assez long à trouver, c’est pourquoi je ne fais pas beaucoup de musique de film. Il y a différentes manières de composer : soit on fait de la musique d’ascenseur qui est là sans être là, qui peut être très belle aussi, mais qui est moins marquante parce que la mélodie marque un peu ; soit on fait de la musique avec une vraie mélodie et dans ce cas là, on accroche un peu plus l’image. Et moi j’aime bien cela, j’essaye de travailler dans ce sens.

Pourquoi refusez-vous de faire des films ?

J’ai la chance de travailler suffisamment. Mais je fais aussi des téléfilms qui souvent sont intéressants

Vous venez d’être récompensé pour un téléfilm !

Oui, j’ai fait dernièrement un téléfilm de Xavier Durringer, « Ne m’abandonne pas » dont la musique a reçu le prix de l’UCMF. Ce film va être diffusé dans les écoles car il parle de la radicalisation d’une jeune fille… C’est un beau prix parce qu’il est donné par des gens de la profession qui ont une oreille.

Comment avez-vous travaillé sur ce sujet ?

Xavier Durringer est très sensible à la musique, il voulait un leitmotiv envoûtant, il n’avait pas peur de la répétition du thème. On l’a joué au violoncelle, il est émouvant, touchant. Le violoncelliste est Jean Philippe Audin

Pourquoi d’après vous on ne parle jamais de la musique de film ?

En France la parole prime, on est obnubilé par le texte et on perd l’atmosphérisation d’un film, contrairement à la Chine ou aux États-Unis, où la musique crée cette atmosphère. C’est tellement différent à l’étranger. C’est un supervisor qui m’a expliqué le pourquoi. Tout l’organigramme est basé sur les années 60, 70, où tout est en fonction du tournage ; la préparation, le tournage proprement dit, le making off…et après le tournage, la post production. Mais à l’époque c’était assez court ; maintenant elle dure six mois, parfois un an ! Donc bien plus long que le tournage. Il n’y a pas eu un vrai update. Il y a encore des réflexes comme le making off du montage, du mixage, de l’enregistrement de la musique. C’est bien dommage parce que le public est très sensible à la musique. C’est bien qu’on parle de la musique de film. Dans les bonus des DVD, on ne fait jamais allusion à la musique de film !

Dernière question : Pourquoi le diable et le bon Dieu?

Serrault a déjà répondu à cette question : C’est pour faire parler les curieux !

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