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[ENTRETIEN] : BAPTISTE LOPEZ : UN COLLECTIONEUR FRUSTRÉ !

Galerie Nathalie Gas : Un entretien avec Baptiste Lopez

182 Rue du Faubourg Saint Honoré

75008 Paris

« L’art est un investissement accessible à tous les portefeuilles, et nous mettons un point d’honneur à trouver les œuvres qui vous correspondent le mieux. Notre objectif est de vous aider à constituer un patrimoine sûr, rentable et présentant un intérêt à la fois culturel et esthétique. » (Investir dans l’art – Galerie Nathalie Gas)

Dans les années 1950, le marché de l’art en France représentait 80% du marché mondial de l’art. Soixante dix ans plus tard, il ne représente qu’à peine 5% ! Inconséquence des politiques publiques, amateurisme, clientélisme, prédations diverses ont eu raison de ce marché, ouvrant les portes à la concurrence dans ce domaine où elle n’existait pas. C’est dans les années 1960 que Madame Sylvia Blatas, la femme du peintre et sculpteur Arbit Blatas, ouvre la galerie Galerie René Drouet. Elle était peintre elle-même, mais avait abandonné les pinceaux pour se consacrer aux artistes. C’est dans la galerie de sa grand mère que Nathalie Gas poursuivit sa formation commencée à la prestigieuse école Sotheby’s de New-York, puis elle effectuera de nombreuses expériences en galeries françaises.

©DR

Aujourd’hui elle a décidé de s’associer avec son fils, Baptiste Lopez, pour prolonger cette tradition familiale, et continuer à exercer en tant que galeriste en appartement. C’est la Galerie Nathalie Gas.

La rencontre avec Baptiste Lopez s’est faite sous un parasol, un jour de pluie, à la terrasse d’une pizzéria, déconfinement oblige. Il mangeait à ma table voisine en compagnie de son frère, excellent guitariste de jazz, et par un concours de circonstance nous avons engagé la conversation. En apprenant que ce jeune homme de 28 ans tenait une galerie d’art moderne, ma curiosité n’a fait qu’un tour et je lui proposais de le rencontrer. Rendez-vous pris, c’est donc dans un appartement cossu, entouré de toiles de Hartung, Combas, Zao Wou-Ki, Frize, Combas, Verdier, qu’il m’a offert un café dans la Galerie Nathalie Gas. Avec décontraction, il a répondu à mes questions, sa première interview m’a-t-il confié.

Vous dites que vous travaillez avec votre mère, vous n’étiez pas dans la peinture ?

Je suis né dans la peinture, mes parents étaient marchands de tableaux, j’ai fait des études de commerce, je voulais travailler dans la finance, la gestion de patrimoine, j’en ai fait en art, et puis j’ai continué mes études en histoire de l’art.

Où l’avez-vous faites ?

Á la Sorbonne. C’était intéressant, j’y ai appris des choses que je ne connaissais pas du tout, mes parents vendaient que de l’art moderne, c’est ce que je connaissais le mieux.

Vous dites vendaient ? Ils ne le font plus ?

Mon père est décédé, ma mère, elle, continue. J’ai fait la Sorbonne pour créer avec ma mère une société et me lancer dans le métier de marchand de tableaux, avoir une galerie en appartement, essayer de soutenir des artistes contemporains, de trouver de nouveaux clients et les fidéliser.

Donc il y a deux problématiques à résoudre : trouver des artistes et se faire une clientèle, cela ne doit pas être facile aujourd’hui ?

Difficile oui, mais passionnant. Il faut aller sur le terrain, dans les galeries, aux vernissages, dans les ventes publiques…

C’est par les galeries que vous trouvez des œuvres à vendre ?

Oui et c’est comme cela que je me renseigne sur tels ou tels artistes. Souvent les peintres travaillent en exclusivité avec les galeries, du coup je n’ai pas le contact direct avec les artistes, alors j’essaye de créer des partenariats avec certaines pour avoir des prix acceptables sur leurs artistes et finalement pouvoir les recommander à mes clients.

Avez-vous une clientèle ?

Je commence à en avoir une et ainsi je peux lui conseiller des artistes auxquels je crois.

Sont-ils tous des collectionneurs ?

Ma clientèle est assez jeune, en premier lieu elle cherche la rentabilité.

Y-a-t-il un marché jeune pour des artistes vieux, ou trouvez-vous des artistes jeunes ?

Les deux. Par exemple il y a un artiste qui est très apprécié, c’est Combas (63ans), le chef de file de l’art contemporain français, bon il n’est plus très jeune, mais il est facile à vendre à de nouveaux investisseurs qui ne connaissent pas grand chose à la peinture. Ils sont faciles à convaincre car la figuration libre est le mouvement français qui voit le jour dans les années 80 au moment où le graffiti naît aux USA avec des artistes comme Keith Haring ou Jean-Michel Basquiat. Ses récents records en vente publique sont également un élément qui rassure les investisseurs.

Au fait, comment se fait-on une clientèle ?

Par réseau, déjà avec les anciens de mon école de commerce et ensuite le bouche à oreille et les recommandations.

Ce sont des gens qui sont dans la finance, donc ils veulent investir !

Pas forcément, ils ne sont pas très au fait de l’art en général ; j’essaye de répondre à leur volonté de rentabilité, mais surtout je tente d’ouvrir leur esprit, leur curiosité, pour que justement ils aillent sur internet se renseigner sur un artiste, qu’ils aillent assister à des vernissages, voir des expositions. Le premier investissement est important, au départ ils ne sont pas des amateurs d’art, au moment où ils vont engager de l’argent, ils vont y voir un intérêt financier, mais aussi cela va les ouvrir sur un champs plus large, sur l’artiste qu’ils ont découvert, sur le mouvement auquel il appartient.

Par exemple ?

En ce moment je suis sur le mouvement du street art et avec un ami on essaye de trouver le nouveau Basquiat. Je pousse mes collectionneurs à investir intelligemment, et je me fais aider par les galeristes qui en principe soutiennent l’artiste que je propose.

Ce n’est pas évident de croire à un nouvel artiste non ?

Malgré mon jeune âge, j’ai un œil assez aiguisé du fait de mon passé et grâce aux conseils de mon père. Mon but est que mes nouveaux clients se fassent des collections. Ils achètent un premier tableau, ils vont s’y attacher, et puis ils vont venir me revoir et me demander de leur trouver autre chose.

Comment faites-vous pour dénicher des artistes aujourd’hui, des peintres, des sculpteurs, qui ont quelque chose à dire ? Sur votre site ils ont tous un âge certain…

Il faut faire confiance aux galeristes, ce sont souvent eux qui dénichent les nouveaux talents

Ce n’est donc pas votre rôle ?

Dénicher je peux le faire, bien sûr, mais par rapport aux galeristes je ne suis pas en position de force et je ne peux pas promettre à un jeune artiste de l’aider dans sa carrière ou de lui promettre la carrière qu’il mérite.

Avez-vous des artistes qui vous appellent en direct ?

Cela m’est arrivé, j’ai fait une exposition pour faire connaître un artiste, cela représente des frais énormes. Vu le marché actuel cela coute énormément d’argent sans avoir un retour sur investissement. Faire une notoriété, c’est aussi le faire connaître à l’international, sa cote se fera ressentir plus rapidement. Je n’ai pas les moyens.

Avez-vous des galeries qui vous donnent une priorité sur des peintres qui commencent à avoir une cote ?

Oui, avant de les mettre sur internet elles me sollicitent. Elles savent que j’ai une clientèle qui peut être intéressée.

En France le marché de l’art ne va pas bien dit-on.

Depuis la deuxième guerre mondiale on a perdu des parts de marché, elles ne représentent plus que 5%, alors tabler sur des artistes français c’est compliqué. Mais faut soutenir nos artistes français.

Il faut être très attentif alors.

Oui, une sorte de veille active sur le marché pour bien conseiller mon réseau est essentielle.

Allez-vous donc dans toutes foires ?

On est obligé, ce qui me permet de voir le prix des artistes, voir comment ils sont soutenus..
Sur le plan international la FIAC a-t-elle encore un rôle ?

Elle a encore un intérêt ; l’année dernière nous avons apprécié un artiste qui s’appelle Bruno Perramant (58 ans), bien sûr il y a toutes les galeries importantes qui affichent des De Staël, Picasso, des artistes intouchables, et ce n’est pas là que je trouverai des œuvres pour ma clientèle, mais on peut développer son réseau et trouver différentes opportunités.

Sur votre site vous mettez que le rapport sur l’investissement d’une peinture est entre 4 et 15%  en terme de rentabilité…

C’est Thierry Ehrmann, le fondateur d’Artprice, qui le dit, c’est une moyenne, mais il y a des artistes contemporains qui peuvent atteindre 30% annuellement. Avec la coronavirus cela risque d’être particulier. Le marché américain ne va pas bien, celui des chinois repart, le nationalisme chinois fait que leurs artistes sont soutenus. Wang Keping (71ans) qui vit en France voit le prix de ses œuvres flamber en quelques années ; il est soutenu par le marché chinois, mais aussi par les galeries. Le fait qu’il soit présenté à toutes les foires internationales, l’a rendu mondialement connu. Aujourd’hui Opéra Galery l’expose alors qu’il y a à peine trois ans elle n’avait aucune œuvre de cet artiste.

Á mon avis Opéra Galery est plutôt un hall d’exposition, qu’une galerie.

Ils n’achètent que des signatures et les prix sont très élevés, mais elle est soutenue par des fonds d’investissements ce qui fait qu’elle se positionne sur toutes les œuvres, elle n’a pas de problème de trésorerie.

Bon alors comment se déroule une journée de Baptiste Lopez ? Après le café du matin que fait-il ?

Beaucoup de téléphone, de contacts avec des galeries..

Alors vous faites comme dans l’immobilier!

C’est un peu plus compliqué quand même! Il y a une relation de confiance à instaurer et j’ai mis beaucoup de temps à l’installer. Je travaille avec quelques courtiers, c’est un milieu assez complexe, il y a des opportunistes, des menteurs, des voleurs, comme il y a beaucoup d’argent en jeu, ma confiance ne peut se faire qu’avec peu de personnes. Quand j’ai une demande, j’appelle d’abord mes collectionneurs, pour savoir s’ils veulent vendre l’œuvre qu’ils possèdent. J’essaye d’avoir le tableau chez moi pour le présenter à mon client, avec le moins d’intermédiaire possible.

Avez-vous un fond de tableau ?

Oui, j’ai une trentaine de tableaux.

Ce fond le vendez-vous ?

Oui, mais sur certains artistes je préfère attendre, je patiente. Nous avons un Combas qui n’est pas à vendre par exemple.

On a des Fabienne Verdier (58ans), c’est une artiste qui fait des œuvres gigantesques mais aussi des plus petits formats sur papier. C’est une peinture qui était peu chère, mais qui aujourd’hui, soutenue par de très grandes galeries comme Lelong, Alice Pauli en Suisses, Waddington à Londres. Cette artiste qui a suivi des études en Chine est soutenue par le marché chinois ; ce qui lui permet d’avoir une renommée internationale qui a impact évident sur sa cote qui a pris énormément de valeur ; une œuvre de 1,30 sur 2 mètres vaut dans les 200000 euros ! L’intérêt d’avoir un show room avec ma mère, comme ici où vous êtes, c’est de pouvoir montrer les œuvres dans le contexte, et de donner envie.

Lorsque l’on va sur votre site – galerienathaliegas.com – on voit des noms d’artistes très connus comme Picasso, Miró, Hartung, Utrillo, Vallotton, Zao Wou-Ki, Poliakoff…cela veut dire que vous pouvez trouver une œuvre de ces peintres ?

Oui, ce n’est pas un souci. J’ai des collectionneurs privés qui ont des œuvres de ceux qui sont sur notre site. Miró, j’en ai un ici, sinon j’ai la main sur d’autres peintures de lui. On peut vous trouver un Soulages, ce n’est pas forcément des œuvres que j’ai en stock mais que je peux me les procurer très facilement.

Seront-elles moins chères ici, qu’en galerie ?

Toujours ! Ici, les frais de fonctionnement sont pratiquement nuls. Les prix de galerie sont des prix souvent plus élevés !

Vous êtes en société je suppose ?

En SAS, l’appartement pour une partie est une galerie.

Si je vais dans votre chambre, je risque d’y voir de très beaux tableaux.

Joker ! (rires)

Quels sont les artistes qui vous fascinent ?

Il y en a plein, je dirais Rothko, mais j’aurai jamais les moyens de m’en offrir un…c’est hors de prix ! Ce sont des dizaines et des dizaines de millions ! Je suis aussi un grand fan de Hartung des années cinquante, je trouve cela somptueux ; il y avait des papiers de lui qui sont passés il y a un an et demi à Drouot, avec une estimation de 150000 euros pour des 50 sur 60 cm ! Ce sont des œuvres que j’aurais aimées avoir mais pas tout de suite, il y en a plein. Nous avons ici une aquarelle de Zao Wou-Ki qui est un peintre que j’adore, l’exposition au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris il y a deux ans était magnifique.

Quel est votre statut dans la société ?

Je suis à mon propre compte, je suis à la commission, le rôle du commercial de base, faire une estimation, un mandat de vente, un mandat de dépôt..

Est-ce la société qui achète ?

Cela dépend, on peut l’acheter, mais parfois, on fait le courtage, vendre en fait, on vend le tableau de notre client.

Y-a-t-il des surcotations ?

Bien sûr, parce que les collectionneurs veulent beaucoup de leurs tableaux ; ma mère a un très grand collectionneur qui surestime ses tableaux, il va jusqu’à tripler le prix de ses toiles ! C’est invendable. Bien connaître le marché du moment avec ses fluctuations et être tout à fait transparent avec ses clients sont les maître mots de notre métier.

Vous parlez de peintures, de sculptures, mais pas de la photo ni de la gravure.

Ce n’est pas trop mon truc, je préfère les œuvres uniques. Il y a des gens qui sont spécialisés dans les estampes, les gravures, la litho, ce n’est pas mon monde. Bon il peut y avoir des demandes, j’ai eu un collectionneur qui adore Soulages mais qui n’avait pas le budget pour une œuvre originale, donc j’étais obligé de lui proposer de la gravure. Dans ce cas là nous sommes allés chez Cornette de Saint Cyr qui fait de très belles ventes de gravures, je l’ai conseillé sur le choix, mais ce n’est pas ma spécialité. Conseiller le client comme si c’était moi qui achetais, c’est ce qui est le plus important.

Vous n’êtes pas un marchand, vous êtes un vrai amateur d’art.

Tous les marchands sont des amateurs, ils collectionnent. Souvent cela m’ennuie de vendre des œuvres. Si j’étais milliardaire j’achèterais, j’achèterais, j’achèterais. Quand j’ai des artistes en dépôt, comme en ce moment Schlosser, Frize, Saul, j’en profite pendant deux ou trois semaines, j’aimerais les acheter.

Quel tableau aimeriez-vous avoir en face de votre lit, que vous auriez le plaisir de voir tous les matins en vous levant, et qui vous mettrait de bonne humeur ?

C’est une nature morte de pommes de Van Gogh ! J’adore Van Gogh. Un Zao Wou-Ki ce serait pas mal non plus, mais il y a aussi le petit Cézanne de l’Orangerie, un lac avec plein d’arbres, magnifique, c’est très dur un seul !

Si je comprends bien vous êtes un collectionneur frustré ! (rires)

©DR

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