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[ENTRETIEN] : Benoît BASIRICO

Benoît Basirico, créateur du premier site francophone de musique de film www.cinezik.org/

Benoît Basirico est un homme jeune, à la trentaine à peine passée. Dynamique, au verbe haut et clair, dès qu’on lui parle cinéma, et en plus musique de film, il a le regard qui brille. Inutile de lui poser mille questions, il suffit de lui demander pourquoi Cinezik et aussitôt il s’exprime sans s’arrêter et aisément sur son « bébé », qui va tranquillement sur ces huit printemps déjà !…Alors moteur ! ça enregistre :

J’ai fait mes études à la fac de Poitiers en cinéma, théâtre, arts du spectacle et j’avais plein d’activités en dehors. J’ai créé une revue de cinéma qui s’appelait Détour, un collectif de vidéo avec lequel on avait fait Poitiers vu par . En 1997, j’avais une émission de radio qui m’a amené à la musique. Pendant la première année, j’avais une heure et je parlais de l’actualité du cinéma. Je n’avais pas souvent des réalisateurs. Poitiers ce n’est pas Paris, mais je me souviens d’une interview de Vecchiali, et une de Catherine Breillat…Après, j’ai demandé deux heures. Au début, je ne faisais pas que du « Talk », je passais de la musique et je faisais entendre des extraits de films que je prenais sur des cassettes vidéo. Je passais donc, mixés, des dialogues, des sons et de la musique. C’est comme cela que je me suis intéressé à la musique. Alors, la deuxième heure je l’ai consacrée à la musique et je faisais des spéciales polars, westerns… Je me suis vite rendu compte qu’il existait des compositeurs qui avaient un œuvre, et donc, je passais une heure de Morricone, de Williams, de Bernstein. J’avais une formation musicale. Jusqu’à l’âge de dix-huit ans j’ai fais du solfège et du saxo. Ce qui est curieux, du fait de mes études, c’est que j’étais plus passionné par le cinéma que par la musique, alors que j’avais une formation musicale ! Grâce à la radio je me suis donc intéressé à la musique de cinéma par le biais du film. J’ai eu ainsi plusieurs périodes : une plus musicale que cinéma, puis une plus cinéma que musicale ; çà s’est équilibré par la suite. Cinezik est arrivé parce qu’après mes années de cinéma, je me suis spécialisé dans le web, j’ai fais un master et du coup, dans le cursus de mes études, j’ai fais un site et un stage à la cinémathèque française, lorsqu’elle s’est installée à Bercy, en 2005. C’était ma première expérience parisienne, et j’ai pu rencontrer des journalistes, des personnalités du cinéma. J’ai pu développer Cinezik, mais il n’était pas ce qu’il est aujourd’hui, car je n’avais pas fait d’études informatiques. Je ne connaissais pas le langage, j’avais seulement appris comment être journaliste sur le web. Il a fallu que j’apprenne en autodidacte pour faire évoluer le site. De 2006 jusqu’en 2008, j’ai été journaliste à Studio Magazine à la fois sur le papier et sur le web. Je tenais la rubrique BO. Je suis parti quand ils ont fusionné avec Cinélive.

Indépendant, je me suis installé en auto entrepreneur. Je ne vis pas de Cinezik, c’est un loisir, qui me prend beaucoup de temps. Je dois le développer sur tous les fronts, informatique, éditorial, partenarial… Grâce à Studio et Cinezik, au cours des projections privées, j’ai pu rencontrer les attachés de presse qui m’ont permis d’être en relation direct avec les réalisateurs avec qui je pouvais parler musique, et rencontrer, par leur intermédiaire, les compositeurs. C’est ainsi que j’ai pu avoir en binôme François Ozon et Philippe Rombi, Benoît Jacquot et Bruno Coulais…Aujourd’hui je fais beaucoup d’interventions dans les festivals, je vis en faisant des tables rondes, des master classes, et Cinezik profite de cela parce que je transcris tout ce que j’anime dans ces lieux. Avant Cinezik, il y a eu un site qui s’appelait Trackzone, et il y a beaucoup de blogs de passionnés ou de groupe de passionnés. Mais un site comme Cinezik avec des bases de données, des répertoires de compositeurs, çà n’existe pas ailleurs. Tous les jours, il y a des critiques de nouveautés, des infos sur l’actualité du cinéma. Je me suis toujours demandé pourquoi ceux qui s’intéressent au cinéma ne parlent que des réalisateurs, des acteurs, mais jamais de la musique. Cinezik est spécialiste par défaut. C’est parce qu’on ne s’intéresse pas à la musique de film que nous en parlons. On annonce la sortie des films en donnant aussi le nom du compositeur, et je vais interviewer les réalisateurs et les compositeurs des films à l’affiche. C’est bien le seul site du web qui s’intéresse à la sortie des films en parlant ainsi, et du réalisateur et du compositeur. Ensuite, il y a la chronique des BO qui sont dans les bacs. On est le seul site où il y a des archivages des BO par dates, par compositeurs. Tous les jours j’entre des données historiques, pour devenir le plus complet possible. A l’origine, j’ai été aidé par un ami pour la conception graphique, puis j’ai eu amicalement des aides pour des textes. En 2013, Cinezik est fait par moi et par des contributeurs occasionnels ou réguliers. Cette année j’ai trois ou quatre personnes qui m’envoient des textes régulièrement. Je ne les connais pas personnellement, je lis leur texte, je les fais réécrire, on en discute, il y a un vrai travail éditorial, de contenu. Les internautes peuvent aussi faire des commentaires. Il y a les outils sur facebook aussi.

Je suis très attentif au référencement naturel pour être dans les premiers à la rubrique musique de film. Pendant longtemps on était numéro un, maintenant on est troisième parce qu’Allo Ciné, Wikipédia, Amazon, ont fait des pages musique de films. On a 5.000 à 10.000 visiteurs par jour ! On a une régie qui s’occupe de la pub, mais qui ne rapporte pas grand chose car c’est un pourcentage par clique. Par contre, on a des échanges pour de la visibilité, mais je ne suis pas très commercial. Je fais la différence entre Cinezik et Benoît Basirico, qui fait des conférences, et est créateur de site internet pour des compositeurs. C’est ce qui me permet de vivre correctement.

Pour parler musique de film, je trouve que chaque semaine il y a des films dont la musique est adéquate. En France, il y a une sorte de schizophrénie avec, d’un côté, le monde du cinéma, Studio, Les Cahiers, Positif, qui ne parle jamais de musique, n’interviewe jamais de compositeur, et de l’autre, le monde de la musique, qui ne connaît pas la musique de film. Mais c’est lui qui va s’intéresser à la musique de film et non au cinéma. La preuve : l’expo que j’attendais depuis des années, n’a pas eu lieu à la cinémathèque mais à la Cité de la musique. Autre preuve, ma première interview, et je vous en remercie, ce n’est pas pour une revue de cinéma ! Il y a bien deux mondes. Que ce soit la musique qui s’intéresse à la musique de film n’est pas pour me plaire entièrement, parce que, pour moi, la musique de film à plus à voir avec le cinéma qu’avec la musique. Je m’explique. La musique de film, c’est comme un costume, un acteur, comme pour l’image : ils sont au service d’un film. C’est un langage au service d’un film. Moi, j’aime les grandes musiques, les grands compositeurs, et j’apprécie lorsque c’est bien écrit. Mais une musique mal écrite peut être bien dans un film, mieux qu’une musique bien écrite et à côté de la plaque. C’est vraiment pour un film, pour un réalisateur, et ainsi la musique a-t-elle sa place dans l’appréciation du film. Quand Martinez fait Drive, ce n’est pas forcément bien écrit, c’est de la texture. Mais elle fonctionne vraiment bien dans le film de Refn. Le travail de Tyler Bates, par exemple, pour Killer Joe de Friedkin, est une des BO qui m’a beaucoup plu l’année dernière. On est dans la tête de la jeune fille. Avec cette musique, il y a quelque chose de céleste.

Je préfère écouter les musique dans les films. Je viens du cinéma, je suis un mélomane, j’adore le rock, le jazz, le classique, mais la musique de film c’est dans le film que je préfère l’écouter. Après, je peux avoir un plaisir à l’écouter toute seule parce que ça me prolonge l’expérience de spectateur, mais je ne vais pas forcément essayer de retrouver la musique sur un disque. Lorsque j’étais étudiant ou animateur de radio, c’est vrai que je passais mon temps à faire des compilations de compositeurs sur CD. Là on était plus dans le cinéma. Je collectionnais les BO de Morricone, de Goldsmith, de Bernstein. J’étais un « geek ». Je faisais toute la filmo d’un compositeur, et ça m’aide encore parfois à voir l’évolution de la carrière du musicien. Par rapport à l’évolution du public, amateur de musique de film, on est arrivé à un stade où tout est clivé. Avant on écoutait la musique d’un film de Sergio Leone, aujourd’hui les aficionados vont écouter une réédition d’une musique de Newman, d’Alex North, sans avoir vu le film correspondant. D’un côté, il y a des journalistes de cinéma qui ne se préoccupent pas de la musique de film, de l’autre, des spectateurs qui vont retenir une chanson sans savoir de qui elle est, alors qu’à l’époque, ils se souvenaient que c’était de Morricone ou de Cosma. Tout est ainsi clivé aujourd’hui. Je milite, avec Cinezik, pour que le film soit une entité, et pour dire qu’il y a un compositeur qui a fait son travail, et que le réalisateur a sa place dans la chaîne et est aussi responsable de la musique du film. Le cas Tarantino est exemplaire. C’est parce que le spectateur a vu le film que la BO marche. Il va l’écouter pour se souvenir des scènes d’actions, sachant très bien que cette musique n’est pas originale, mais de la compilation comme pour un DJ. Pour qu’une BO marche en dehors du film, il faut qu’il y ait le plaisir « tripant » dans le film. Ce n’est pas question de succès du film; mais une sorte d’alchimie entre séquence et musique. C’est le cas de Bullit et Schifrin, Drive et Martinez, Leone et Morricone. Le grand talent de Tarantino est de communiquer ce plaisir là. C’est l’adéquation entre image et musique qui fait, en fin de compte, le succès de la musique de film. Et c’est ce dont on parle, et que l’on peut trouver sur le site Cinezik.

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