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[ENTRETIEN] : Marie SABBAH

Musicienne, superviseur, agent de compositeurs de grande qualité, c’est une vraie artiste qui nous a reçu cordialement dans la cuisine de son bureau, où autour d’un café, elle nous a parlé de son expérience autour de la musique à l’image et des compositeurs qu’elle défend.

Comment s’intéresse-t-on à la musique de film ?
D’abord on s’intéresse à la musique.

Vous avez été professeur de musique ?
Je l’ai été mais très peu de temps. J’ai une formation classique et jazz ; j’ai fait le conservatoire de Dijon, puis à Paris j’ai fait un deug de musicologie ; être professeur de musique était en fait pour me payer mes études.

Jouiez-vous d’un instrument ?
Je faisais du piano, dans ma famille tout le monde fait de la musique, cela fait partie de notre culture ; je viens d’une famille juive marocaine, on était des amateurs, mes frères avaient monté un groupe de Rythm & Blues dans les années 70, à l’époque j’avais 14 ans ! Par la suite j’ai joué dans des groupes de tous les styles, ensuite à Paris j’ai fait ma licence, mais je n’ai pas terminé mon Master, puis un mémoire sur l’improvisation en jazz (que je n’ai pas tout à fait terminé), parallèlement j’étudiais au Cim pour le jazz, le piano jazz avec Michel Précastelli, et avec Ivan Julien, Lagrène, le guitariste, j’étais dans la classe d’orchestration pour big band; puis à l’Institut Catholique de Paris, j’ai suivi une formation pour laquelle j’ai obtenu le diplôme de « pédagogie musicale active » une formation musicale active ; c’est Carl Off qui avait mis au point cette méthode, qui, quelque soit l’âge, permet d’apprendre la musique, non pas avec le solfège, mais à travers le corps, une gestuelle extrêmement complexe, c’est une méthode d’apprentissage assez efficace qui peut aller jusqu’à un niveau très pointu d’interprétation de la musique pour un ensemble instrumental et vocal assez important .

Et la musique de film ?
Dans la partie musicologie, j’avais choisi l’option cinéma ; les circonstances de la vie ont fait que je devais travailler pour payer mes études, donc le soir j’étais ouvreuse dans un cinéma; un multiplex à Dijon. J’avais accès à six ou sept salles gratuitement et je me régalais chaque semaine à voir des films de tous les genres.

Ecoutiez-vous la musique ou juste l’entendiez-vous ?
En tant que musicienne, au début je faisais attention à la musique ! Mais plus tard j’ai beaucoup appris à analyser les liens et le rapport de la musique à l’image.

Et quelles musiques vous interpellaient ?
J’ai découvert à la fac tout le cinéma expressionniste, Murnau, Lang, etc.. par rapport à la musique de film à la fin de ma deuxième année j’ai présenté un mémoire sur le « Don Giovanni » de Mozart mis en scène par Losey; c’est à partir de ce film que je me suis plongée dans la musique de film même si c’était à partir de celle de Mozart. Depuis cette expérience j’ai toujours été attirée par le lien étroit entre la musique et l’image. Plus tard j’ai découvert un métier par hasard, vraiment par hasard, le métier de musicien-copiste ; il a pratiquement disparu aujourd’hui à cause des ordinateurs ou parce que les copistes sont beaucoup moins chers dans les pays de l’Est. Pour les groupes semi-professionnels avec lesquels je jouais, je devais souvent transcrire sur partitions les morceaux à l’oreille parce qu’on ne trouvait pas dans le commerce les partitions récentes, les tubes. Je copiais transcrivais donc toutes les parties. Un jour mon frère m’a dit que c’était un métier et qu’il avait rencontré quelqu’un dont le métier était, en autres, de retranscrire d’oreille des partitions de musiques ou de chansons de tous styles, et qu’il en vivait. J’ai rencontré cette personne, elle m’a testée en m’envoyant des relevés qui étaient d’une grande simplicité à faire, des morceaux de Chantale Goya ou de rock par exemple ; petit à petit ce monsieur m’a formée et m’a envoyée des choses de plus en plus compliquées et même du jazz, du Petruciani, des grandes musiques d’orchestre ou de piano concertant de Pierre Porte, parce qu’il fallait à l’époque, pour protéger une musique, déposer les partitions à la Sacem. Puis cette personne m’a formée à la copie pure, c’est-à-dire recopier à partir d’un score, chaque partie instrumentale pour chaque musicien. Grâce à ce métier j’ai pu travailler et me former à tous les genres de musique (y compris contemporaine, ethnique etc…) La première musique de film que j’ai relevée était pour Gabriel Yared, celle d’ «Hanna K ». Les partitions avaient disparu, été perdues je crois et il fallait refaire le dépôt Sacem; Puis j’ai rencontré Gabriel Yared et je suis devenue sa copiste jusqu’au « Patient Anglais » ! J’avais relevé aussi pour lui tout un album (le 1er volume) sur les voix Bulgares. J’ai aussi été la copiste de Philippe Sarde, Georges Delerue, Ennio Morricone etc…j’adorais ce travail car il était en même temps une formation personnelle permanente tellement enrichissante !

La musique de film est donc arrivée par hasard dans votre vie !
Oui à 28 ans, grâce à la copie et aux relevés !

Comment est arrivé le fait que des gens vous ont appelée pour les aider à choisir un compositeur ?
C’est arrivé dans les années 90 ; en fait j’ai arrêté d’être copiste parce que passer à l’ordinateur cela ne m’intéressait pas du tout ; auparavant j’avais aussi effectué une incursion dans le domaine de l’orchestration ; la copie et les relevés d’oreille m’avaient appris beaucoup de choses dans ce domaine et j’ai eu envie de pousser plus loin cette attirance. Alors Gabriel par exemple, et son orchestrateur Maurice Coignard m’ont beaucoup poussée à orchestrer ; mes premières orchestrations ont été une commande de l’Orchestre National d’île de France, sur des negro spirituals interprétées par Wilhelmenia Fernandez (la chanteuse du film DIVA); mais ma vie de famille a repris le dessus. J’ai fait un break pendant quelques mois, et puis un compositeur pour qui je faisais de la copie, Pierre Adenot, m’a demandé d’être son agent, à l’époque il était arrangeur pour Cosma, Yared et l’Affaire Luis Trio, mais il avait aussi des commandes de compositions pour ses propres films..

Ce métier existait-il en France ?
Non ! J’ai découvert ce métier d’agent de compositeurs de films, et il n’existait pas non plus de superviseur ; je l’ai donc fait pour lui et puis pour d’autres. A l’époque on disait au compositeur voilà 50 000 francs et démerdez-vous ! Pierre n’avait pas besoin qu’on lui trouve des films, il lui fallait quelqu’un qui gère toute la partie contractuelle et logistique de son travail, on était dans les années 90.

Comment cela a évolué ?
Progressivement le bouche à oreille aidant j’ai pris de plus en plus d’artistes.

On vous appelait seulement pour vos artistes ?
On début oui, mais petit à petit des sociétés de production m’ont contactée pour m’occuper d’autres compositeurs pour faire de la supervision musicale.

Est-ce facile de proposer un compositeur à un réalisateur ?
En général le réalisateur arrive avec un compositeur, on ne va pas aller contre son choix, puis il reste toute la partie contractuelle, les négociations et la production, la logistique à s’occuper ; il y a vingt ans les réalisateurs entendaient quelques notes sur un piano et lui faisaient confiance aujourd’hui ils exigent d’avoir toute la musique avant le mixage et que cela sonne bien.

Il vous arrive quand même de proposer un compositeur qui ne soit pas de votre agence !
En général ce sont des réalisateurs ou des producteurs qui viennent sur mon site et qui désirent quelqu’un de chez moi, mais s’ils hésitent entre les compositeurs, on les aide à choisir.

Sur votre site il y a des affiches de films dont les compositeurs ne sont pas de chez vous !
Ce sont des films où j’ai fait de la supervision musicale !

Il y en a beaucoup !
Oui j’en ai fait pas mal.

Je vois que vous avez fait quatre films avec Philippe Rombi
Oui, il n’est pas dans mon agence mais j’aime beaucoup ce compositeur et je suis contente de travailler avec lui. Aujourd’hui je fais moins de supervision musicale, c’est trop prenant d’avoir sur le dos et le producteur et le réalisateur avec des discussions interminables, ces métiers sont très prenants et j’ai gardé une préférence pour le métier d’agent que je continue de développer, mais par contre un couple comme Rombi / Ozon, et avec des producteurs comme Mandarin Cinéma, j’adore.

Alors qu’est-ce qu’être agent ? On vous appelle ou vous vous bougez pour faire travailler vos compositeurs ?
95% du temps c’est le réalisateur qui amène son compositeur ; quand ce n’est pas le cas, il y a un superviseur musical qui est engagé pour l’aider à choisir ; il y en a une, Varda Kakon, qui apprécie bien le talent de mes compositeurs elle est très professionnelle et choisit toujours le compositeur qui est le mieux pour le film et ne place pas ses amis. Et il y en a d’autres qui sont aussi très compétents. Mais bien sûr il nous arrive, dans l’agence, de faire de la prospection, soit parce que les compositeurs souhaitent travailler sur certains films ou avec certains réalisateurs et nous allons chercher à les mettre en contact, soit parce que de nous-même nous faisons des recherches sur les projets et nous essayons de placer des compositeurs.

Alors comment avez vous choisi vos compositeurs. Le premier était Adenot, il n’avait pas composé grand chose à l’époque…
Si, les films longs métrages de Jean Pierre Amèris ; il m’avait demandé de m’occuper de lui, parce qu’il faisait des téléfilms et il n’arrivait pas gérer tous ses projets (films, Tv films et chansons)., Cyrille Aufort est arrivé ensuite, un peu par hasard, parce que c’est un ami de Pierre, Christophe Lapinta je l’ai choisi (parmi toutes les demandes que je recevais) parce que ce que son écriture était différente de celles des autres compositeurs tout en étant de qualité égale et de bonne production, je voulais avoir des personnalités différentes et intéressantes et pas seulement pour de l’orchestre, la partie programmation commençait à prendre de l’ampleur, puis beaucoup de gens nous ont appelé et on a fait des choix.

Ils ne sont pas nombreux dans votre agence ?
Ils sont 14 !

Vous avez une compositrice, il n’y en a pas beaucoup dans le métier,
Oui, Selma Mutal fait de très belles musiques.

Le statut de compositeur est très spécial.
Oui et il est très fragilisé, pour la musique en général, avec les problèmes de droits remis en question régulièrement par l’union européenne. Le président de la SACEM travaille beaucoup pour les auteurs et tente de les aider.

Aujourd’hui vous n’êtes plus que dans les papiers, plus dans les partitions ?
J’ai quand même encore un rôle artistique de temps en temps ; il arrive qu’un réalisateur ne sait pas qui prendre, donc il y a des compétitions où participent mes compositeurs ; par exemple pour Les Aventuriers de l’Art Moderne  qu’a écrit Pierre Adenot j’avais appelé Silex et par hasard, leur compositeur venait juste de les lâcher, j’ai eu le brief et je leur ai proposé plusieurs compositeurs en leur envoyant des sélections ; mais la prospection ne représente qu’1% de notre travail ; cela n’a pas été simple, cela a pris beaucoup de temps avant que les réalisatrices et les productrices du projet se décident. Elles ont essayé de nombreux compositeurs (et pas seulement les miens) avant de choisir Pierre.

Faites-vous des bandes démo de tous vos compositeurs.
Bien sûr, mais pour un film il faut être plus précis dans ce que l’on envoie, et nous avons des dizaines d’heures de musique de chaque compositeur. Il faut faire des choix dans les sélections. Il m’arrive d’aller voir des agents d’autres compositeurs qui correspondent à ce que cherche des réalisateurs ou leur demander de mettre en relation des compositeurs de notre agence avec leurs artistes. Pour revenir sur les compétitions, on vérifie ce qu’envoient nos compositeurs. Ils me font entendre leurs maquettes avant de les envoyer et me demandent mon avis ; par exemple pour  Un Homme Idéal , il y avait un temp tracks référence pour la compétition ; il y avait quatre compositeurs, dont Cyrille Aufort ; c’était Varda Kakon qui s’en occupait, j’ai écouté la référence et ensuite la maquette de Cyrille, j’ai dit à Cyrille que c’était bien ce qu’il avait fait mais en lui suggérant de pousser un peu plus les graves pour aller dans le sens de la référence, sans faire du copier-coller, il a modifié un tout petit peu sa maquette et il a été choisi…….

Et lorsque la BO du film est sortie, j’ai écrit : c’est grâce à Cyrille Aufort que les scènes du film fonctionnent !
Merci pour lui, je n’impose pas du tout ce côté « conseil » avec les compositeurs mais lorsqu’ils sont demandeurs bien sûr je réponds et ça me fait bien plaisir….

Il faut donc que vous ayez en plus d’une bonne oreille, des qualités musicales !
Il faut être musicien avant tout et même sans plus pratiquer on ne perd jamais complètement les bases.

Et en face des jeunes compositeurs comment êtes-vous musicalement et professionnellement ?
Beaucoup de gens nous contactent ; avec Guillaume Clément mon associé on écoute beaucoup de bandes musiques, il est lui-même musicien et en même temps juriste donc très carré, donc il sait recadrer les compositeurs qui souvent font n’importe quoi partent dans tous les sens, et il a une très bonne oreille pour faire des sélections.

Etes-vous souvent sollicitée ?
Tous les jours, souvent on ne peut pas tout écouter ; sur le site nous disons que nous sommes complet mais les gens continuent à nous envoyer des choses. Quelques fois on reçoit des compositeurs qui ont une vraie personnalité et beaucoup de talent, et même si on est complet, on leur dit que dans le cadre de projet ponctuel nous pourrions les représenter, et nous occuper d’eux ; en ce moment nous en avons quatre comme cela ! Cela fait donc quatorze compositeurs plus ces quatre.

Disons plutôt treize !
On en a effectivement treize vivants, car François-Eudes Chanfrault est décédé récemment. Ses musiques étaient assez expérimentales, depuis quelques temps il était beaucoup contacté, sollicité, pour des films d’auteurs, dont le film prémonitoire de Fabienne Berthaud, Sky . A l’agence nous continuons à gérer ses droits et nous plaçons même ses musiques sur d’autres projets. Il y a une synchro par exemple dans un film documentaire d’un journaliste  Vous n’aurez pas ma haine  (qui va bientôt sortir) avec extrait du score de  Qui a Tué Bambi . Nous essayons d’exploiter ses musiques et donc François-Eudes Chanfrault est toujours là !

Et donc ils sont 14 ! Alors bonne chance pour que la musique à l’image soit de mieux en mieux considérées!

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