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[ENTRETIEN]: Romain BENITEZ


Lauréat des Audi Talents Awards 2016 pour la musique à l’image, Romain Benitez a un parcours atypique. Il a la trentaine, très ouvert, chaleureux ; comme ses prédécesseurs il s’est plié avec beaucoup de gentillesse à l’exercice de l’interview à deux pas de la galerie d’Audi Talents qui offre des manifestations tout le long de l’année.

Comment êtes-vous venu à la musique de film ?

Très progressivement, il n’y a pas eu de révélation particulière en regardant des films, je suis musicien depuis l’âge de dix ans, j’ai une formation de batteur ; Stuart Copland du groupe Police me fascinait, je n’avais pas la culture jazz, plus pop, mais quand j’écoute les rythmiques de Miles Davis je suis fan ; je ne mets pas de nom sur ses musiciens, j’apprécie aussi Tony Allen, c’est toute mon adolescence, ainsi que tous ces batteurs afros.

Cette batterie vous l’avez apprise tout seul ? Non, c’est le seul instrument que j’ai appris avec un prof.

Vous aviez monté des groupes ? À ce moment là j’étais au collège et peu de gens avaient la même vision de la musique que moi, j’étais attiré par les musiques très syncopées, les musiques afro-caribéennes, le reggae, la musique jamaïcaine, le ska, ce sont des musiques très complexes, j’avais fait un mémoire sur ces musiques.

Vous avez fait des études musicologiques ? Oui, à Marne-la-Vallée, cela s’appelait matériaux sonores, très orientés musiques concrètes, mais à la base on apprenait la musique du Moyen Âge, de la renaissance, etc., etc.

Et la batterie dans tout cela ? Je n’en faisais plus trop car j’étais passé à la basse, l’instrument que je maîtrise le mieux ! C’est vraiment la colonne vertébrale du reggae.

Je suppose qu’à cette époque vous aviez eu des groupes ? Oui bien sûr, le premier c’était à 17 ans, le Crazy Cow ! Le guitariste était un fan de métal et le batteur aimait les rythmes afro, brésilien, je chantais aussi ; après il y a eu le vrai groupe avec lequel j’ai tourné, Nomas. C’était de 2004 à 2008, nous avons joué dans de belles salles comme l’Elysée Montmartre.

A vingt ans on sait ce que l’on veut faire ? Pas trop, de plus j’étais d’une timidité maladive et sur scène j’avais un torticolis car je n’osais pas croiser un seul regard !

Vous composiez ? Oui, mais j’étais toujours influencé par ce que j’écoutais, je n’arrivais pas à prendre de la distance, c’était très compliqué, je m’enfermais, je voulais composer de la musique, ce n’est que très récemment que je me suis cultivé musicalement, m’imposant d’écouter chaque jour des musiques nouvelles.

Je suppose que vous écoutiez de la musique classique ? Dès 18 ans avec mes cours de musicologie j’étais dedans !

Qu’aimiez-vous ? Bach est très important mais ce n’est pas celui que j’écoute spontanément, j’apprécie la musique à partir de Beethoven même si ce n’est pas celui que je préfère, j’aime Chopin, Liszt…

Les romantiques ? Les post romantiques aussi, l’École française avec Debussy, Saint Saëns, Satie,

Cela vous a permis à comprendre la composition ? J’ai eu des cours d’orchestration, d’arrangement, je sais comment ça marche, mais j’ai toujours tout fait à l’oreille, c’est un gros travail de mémoire.

Vous êtes comme un autodidacte ? Oui totalement, je n’ai jamais eu de cours d’écriture ; harmoniser je ne sais pas le faire ; quand nous avions des devoirs sur table et qu’il fallait harmoniser une partition, j’étais nul !

Peut-être que cela ne vous intéressait pas ? Peut-être, mais c’est un regret, c’est la bêtise de la jeunesse, parce que maintenant cela m’aiderait pas mal,

Ce n’est pas trop tard. Non, mais je m’entoure de très grands musiciens qui font le travail à ma place ; par exemple le trompettiste Fabrice Martinez pour le morceau que j’ai écrit en hommage à Spike Lee m’a demandé les partoches. Je lui ai dit que je n’en avais pas, je lui ai joué la musique au piano et il se l’est appropriée.

Vous jouez du piano ? Oui, un petit peu ainsi que de la guitare

Alors comment composez-vous ? Beaucoup au clavier et je séquence énormément, je ne vais pas partir dans un grand lyrisme.

L’ordinateur est alors important pour vous ? Oui, je pourrais faire sans, mais c’est plus compliqué parce qu’il faudrait compiler toutes les infos ; l’avantage de l’ordi est que dès que j’ai une idée, quelque soit l’instrument, je l’enregistre. Je fais mes arrangements comme cela aussi ; parfois je mets deux jours pour trouver la mélodie, puis je travaille par séquences parce que je ne sais pas écrire. Quelques fois j’ouvre des cessions que j’enregistre,

Vers quel style de musique voulez-vous vous orienter ? Mon problème est que j’aime toutes les sortes de style, mais ce serait bien que je me spécialise. Ça ne me déplairait pas d’écrire de la musique symphonique comme la musique de film mais aussi de la musique de variétés style funk, soul, jazz.

Vous EN êtes encore à vos balbutiements ? Totalement je ne suis pas encore arrivé à maturité.

Lorsque vous étiez plus jeune y-avait-il des musiques qui vous ont frappé ? Enfant, j’étais bercé par les musiques des films de Spielberg, par les compositions de Williams ; à dix ans je regardais « Jurassic Park » ; à cet âge, je ne regardais pas la télé, je ne jouais pas trop aux jeux vidéo, il n’y avait que la musique qui me passionnait.

Baignez-vous dans un environnement musical ? Mon grand père était saxophoniste et clarinettiste à l’Orchestre de Madrid sous Franco. Il a dû fuir le régime, cela a été pour lui un traumatisme ; il a un peu joué pour quelques chanteurs français mais il a terminé sa vie sur un chantier ; mon père était amateur de musique, très rock seventies.

D’où votre fascination pour Police ? Non, il n’écoutait pas forcément le groupe mais il avait un CD « Ghost into the Machine » c’est comme cela que j’ai découvert Police, lui c’était plus Led Zep, Pink Floyd… On entendait pas de jazz ni de reggae à la maison…

Et pas de musique de film ? Non je l’entendais dans les films. Je détestais ce que faisait Michel Legrand ! Il me met mal à l’aise…

Comment êtes-vous arrivé sur le concours Audi, c’est la deuxième fois que vous le présentez ? C’est un exercice qui m’amusait ; je n’avais pas fait d’études de musique comme beaucoup de compositeurs, comme Thomas Karagiannis. Me présenter aux Audi Awards, m’obligeait travailler, je suis arrivé comme ça, assez bêtement.

En 2013, vous êtes arrivé en finale qu’aviez-vous présenté ? C’était très électro.

Qui avait eu le prix ? Laurent Graziani ! Un hard Rocker !

C’est question de jurés je pense. Et cette année pour gagner vous leur avez proposé une nouvelle forme musicale ? C’était pop électro différent, moins technique, avec plus d’émotion.

Ce n’est pas votre culture au départ? J’y suis arrivé plus tard, après ma culture jamaïcaine, mais je suis un grand admirateur de cette vague électro française de Laurent Garnier en passant par Daf Punk, Air. Au fur et à mesure je me suis intéressé à ce monde là, je suis remonté loin vers la scène de Detroit, Chicago, George Clinton, les précurseurs, mais dans mes études j’ai écouté aussi de Steve Reich, Phil Glass, Ligeti, Messiaen, tout est bon à prendre…

Pouvez-vous vous définir par rapport à la musique que vous aimez inventer ? Ce que j’aime faire, quand ce n’est pas une commande, c’est prendre des sons et les travailler. L’ordinateur peut être un art, ce n’est pas qu’un enregistreur, avec une note on peut faire mille choses.

En tant que lauréat, vous devez écrire des musiques ? Oui, une quinzaine de musiques pour leurs films institutionnels

Ce prix est une bonne carte de visite ! Oui, car aujourd’hui on m’appelle !

Comment gagnez-vous votre vie ? Dernièrement j’ai fait un gros coup, une musique pour une boîte de cosmétique, je n’ai pas le droit d’en parler… Je me suis fait la main même si j’ai dû faire des concessions, puis j’ai composé quelques musiques par ci par là, une pour le Festival de carnettistes ! C’est un gros festival de dessinateurs.

Pour la vidéo-hommage aux musiques de Terence Blanchard des films de Spike Lee, vous avez composé une musique très réussie, vous pouvez nous en parler ? Là aussi c’était très séquentiel En fait il y a eu des approches totalement différentes; d’abord la composition des thèmes, il fallait de la trompette, du jazz hard bop assez cool, j’ai travaillé avec Fabrice Martinez. C’était une musique très new-yorkaise, même si Blanchard est originaire de la Nouvelle Orléans. J’ai écrit quatre thèmes et puis il y avait de la musique transition, un peu plus cinéma, j’ai été un peu frustré parce qu’il a fallu couper très sec dans les musiques, le film a été raccourci, j’aime quand les musiques se résolvent d’elles-mêmes

En vous écoutant, je me pose la question, à savoir, si vous avez vraiment envie de faire de la musique de film ! Oui, pas comme celles qu’on entend dans la plupart des grosses productions ; sans tomber dans l’expérimental, j’aimerais qu’il y ait un concept ; au niveau musical je suis plus attiré en ce moment à ce que fait Chassol avec son projet d’harmoniser les bruits et les sons de la rue, dans un genre qu’il qualifie d’« ultrascore », c’est un fan de Reich je pense.

Et quel est le projet que vous avez proposé à Audi en tant que lauréat cette année ? Quand j’étais en musicologie, il y avait un style particulier que j’aimais dans la musique de répertoire, c’était la symphonie ; il y a des tableaux, c’est formaté, j’ai eu envie de proposer une symphonie ; mais je n’ai pas les armes pour le faire, alors je me suis dit comment reprendre les standards d’une symphonie et de les adapter à quelque chose de plus moderne, en partant de l’électro mais sans faire du Vangelis ? Je ne veux pas remplacer des violons par des synthés, ne pas faire des nappes, je trouve cela ridicule, je veux utiliser les sons pour ce qu’ils sont et les mélanger avec de vraies cordes. Cette composition durera 20 minutes. J’espère la présenter l’année prochaine sur scène quelque part !

Au plaisir de l’entendre !

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