Est-ce votre premier roman ?

Jules-François Ferrillon : J’ai écrit un livre sur l’Inde préfacé par Alain Daniélou – L’Inde Millénaire face à l’Occident ndlr – c’était un début de thèse parce que j’étais destiné à être un professeur de philosophie et puis j’ai trahi la philosophie et le professorat !

J’ai l’impression  que vous avez eu une vie très brouillonne?

JF.F: Ma vie est brouillonne comme l’époque et comme le livre. Je n’ai pas de certitude s’en est le résultat.

Est-ce un livre autobiographique ? 50 / 50 non ?

JF.F: C’est une façon de voir ce qu’aurait pu être ma vie. Il y a des éléments autobiographiques ; j’ai rencontré des gens un peu bizarres, suspects, on va dire par rapport au pouvoir en place, du pouvoir en général ; ils n’ont pas fait Polytechnique ni Normal Sup pour la plupart.

Sans raconter le livre, « Faussaire » m’a fait penser à la célèbre expression du vrai faux passeport de Pasqua, votre livre est-il un vrai faux roman ?

JF.F: Il y a une expression de Deleuze qui parle de la narration falsifiée, c’est à peu près cela ce livre.

Vous nous entraînez dans une histoire et on s’aperçoit vite que cette histoire est aussi l’histoire d’une histoire et que le héros se confond à un moment avec l’auteur, qui lui est en train de se rêver et qui se raconte des histoires ?

JF.F: , il y a une confusion avec le narrateur, l’écrivain et le personnage.

On ne se sait plus si on est dans une vie rêvée ou une vie de fiction, ou une sorte de reportage sur un monde bien réel, celui du business des œuvres d’art en général.

JF.F: Exactement, c’est de temps en temps la vie que j’ai pu vivre qui se confond avec le roman ; oui ce roman c’est 50/50, c’est ma vie romancée. On peut parler d’ un roman d’une vie possible, c’est un jeu là-dessus d’où l’origine du titre. « Faussaire » ce n’est pas uniquement les faux tableaux, mais il y a aussi cet aspect ; dans une époque où le vrai est un moment du faux, c’est une phrase de Debord je crois,  dans une époque comme celle-là, on ne peut écrire que des livres approximatifs !

Approximatif, encore une pirouette de votre part ; la construction du livre est assez complexe ; Vous nous entraînez sur un chemin, puis on se retrouve dans une impasse, ou dans un labyrinthe ; vous vous amusez à nous perdre et c’est ce qui fait l’intérêt que l’on porte à votre roman.

JF.F: On s’aperçoit au fur et à mesure que c’est une dé-réalisation, que le personnage entre peu à peu dans une espèce de psychose, et que le récit a une structure psychotique ; on peut même penser que le personnage entre dans une schizophrénie.

Le seul personnage qui paraît réel, c’est Giordano, le vrai faussaire.

JF.F: Oui il est au début du livre, puis il est oublié parce qu’il fait partie de la narration, il peut donc être biffé ; puis il revient comme le retour du refoulé et il entraîne le personnage dans une histoire de faux tableaux, de bidonnages.

Il est évident que c’est un monde que vous avez connu ; on est dans une réalité tangible, mais est-ce qu’on est dans la réalité de la fiction face au héros du roman ?

JF.F: C’est un jeu ; je vais faire prétentieux, un jeu philosophique, c’est le rapport au réel, il y a une dimension effectivement schizophrénique, même dans l’écriture. On peut raconter de belles histoires, c’est un objet qui est mis à distance par rapport au sujet qui écrit, et moi j’ai voulu qu’il y ait une confusion, comme il y a une confusion entre ma vie réelle et celle annoncée dans ce livre ; ça pourrait être moi effectivement, il est philosophe, il est marchand d’art, il drague les filles etc…en fin de compte c’est l’exacte traduction d’une époque qui est approximative. Cela me fait penser au bouquin de Tzara, « l’homme approximatif », c’est déjà l’annoncée du vingtième siècle, c’est où se situer. Tout à l’heure nous parlions, off micro, de nos endroits de prédilection, où nous avons passé notre enfance, d’ailleurs le personnage du roman écrit un récit qui est constitué de bribes qui pourrait se passer en Nouvelle Calédonie où il rencontrerait une suédoise et finalement il vit effectivement avec une suédoise ; il y a l’emprise non pas du rêve, mais c’est comme un rêve, c’est le récit. Le récit déborde le réel, récit où cette chose écrite là, le bouquin, est un jeu, un jeu de l’esprit mais aussi un jeu dangereux, un jeu où l’on triche, c’est ça « Faussaire ».

C’est un livre qu’il faut lire d’une traite si on ne veut pas perdre le fil de la narration.

JF.F: C’est la pensée moderne je crois. Le roman définit et redéfinit comme le roman du XIXème siècle, avec une histoire, linéaire, moi ça m’ennuie un peu ; j’aime l’approche surréaliste qui ne voulait pas de roman, mais où la part de poésie, de rêve, interagit, vient, s’imbrique, parce qu’une journée passée ce n’est pas une journée linéaire, ce n’est pas la raison qui travaille, qui œuvre, ce sont des moments ; je peux penser à la Nouvelle Calédonie, ça vient se superposer avec la mort de ma mère, avec une couleur, une espèce de phénoménologie, de bribes, de patchwork. Il y a eu cette tentative dans le nouveau roman de casser la narration.

Vous ne cassez pas la narration, je trouve plutôt que l’on est avec les poupées russes ?

JF.F: Ca s’imbrique effectivement, puis on se perd ; je vais vous dire une chose très personnelle, ma vie se structure ainsi, mon mode de pensée aussi, peut-être que je perds peu à peu la mémoire, le prolégomènes d’un début d’Alzheimer, mais depuis l’adolescence il y a des moments qui viennent, qui s’interfèrent qui changent, qui se bousculent ; je suis dans la rue et il y a des paysages de Madagascar qui viennent se mêler, confondus à des odeurs d’ailleurs, je pense qu’on est aussi ainsi.

Cela voudrait dire que Jules-François Ferrillon est déstructuré ?

JF.F: Oui déstructuré si la structure du réel est ce qu’on nous donne à voir ; je préfère me déstructurer, c’est sûr, ou peut être suis-je une symphonie cassée, mais comme tout le monde puisqu’il n’y a plus un Dieu, c’est à dire une vérité pour nous réconcilier ; on est des notes de musiques, un peu disparates et dispersées et qui essayent de se rassembler, on est des appogiatures, des silences, des moments d’intenses émotions confondus avec un récit si vague qui est notre vie plus ou moins linéaire, mais il y a la mémoire de ce qui s’est passé, d’un livre qui a été lu, voilà tout est là.

Je ne sais pas si c’est voulu, mais en le lisant on se pose la question de comment au départ est-il parti pour construire cette déconstruction du récit !

JF.F: C’est un livre extrêmement construit pour écrire cette déconstruction. Depuis Heidegger et Derrida ce n’est pas nouveau. C’est une attitude philosophique. Face à la structure du pouvoir et de la raison et d’un type de pensée, on sait et vous aussi qui avait vécu dans d’autres pays, qu’il y a d’autres modes de pensées où les émotions priment sur la rationalité où les chants confondus avec les odeurs etc etc façonnent le réel.

Vous avez donc apprécié Deleuze je suppose quand vous avez fait vos études ?

JF.F: Oui mais surtout Heidegger, « l’acheminement vers la parole », la poésie, des choses comme ça ; on est bloc d’émotions et ce n’est pas écrit avec la tête.

Il ne faudrait pas penser que votre livre est un livre de philosophie.

JF.F: Surtout pas, on est dans la banalité du quotidien ; il drague les filles, il va au cinoche, il baise, il bouffe, il tombe amoureux, il déconne…

Avez-vous rencontré dans votre vie, ces femmes comme elles sont décrites dans votre roman ?

JF.F: Il y a des femmes complexes, des femmes complices, il y a des femmes qui ont une grande largesse d’esprit, il y a des femmes plus étroites, il faut donc pénétrer l’étroitesse de leur esprit différemment…

Les deux femmes que vous décrivez sont quand même extra-ordinaires?

JF.F: J’ai connu des femmes aussi détonantes.

 Je ne sais pas si vous l’avez voulu mais à la fin de la lecture on s’aperçoit que l’histoire que vous racontez, est de la même veine que les faux tableaux ; on mélange des tas d’ingrédients pour fabriquer de vrais faux tableaux anciens, on fabrique par couches successives un faux vrai tableau et votre roman est construit de la même façon et moi lecteur je suis mené en bateau comme l’expert, je suis dans un faux tableau.

JF.F: Il y avait une démarche semblable chez Orson Welles ; quand il manipule dans « F comme Fake »,  on ne sait plus si celui qui a écrit l’histoire est une vraie histoire de ce faussaire, si ce film a été monté avec sa copine qui était sa maîtresse de l’époque ; ici il y a une démarche un peu similaire ; Marcel Duchamps disait qu’il y a cinquante pour cent des tableaux dans les musées qui sont faux, très bien ; je montre dans le livre comment on fait des faux, non du XIXème siècle, car c’est assez facile à faire ; peindre des Matisse et des Chagall ce n’est pas compliqué, mais faire un Caravage ou un Titien c’est déjà plus complexe ; cela pose une question : est-ce qu’il y a un être unique, un génie qui a fait des tableaux comme on nous le fait croire ? Non ça s’apprend, c’est une technique ; évidemment ces types là ont fait quelque chose de différent à une époque où ça n’avait jamais été fait ; mais après, au XIXème siècle, il y avait des tas de peintres qui copiaient et qui copiaient très bien ; et donc des Breughel j’ai dû en voir des dizaines.

Il y a une escroquerie que vous racontez dans le roman, l’avez-vous vécue ?

JF.F: Je l’ai pratiquée une ou deux fois, ça fonctionne très bien et c’est Giordano qui me l’a apprise ; il y a un vrai Giordano dont je tairai le nom.

Avez-vous eu des problèmes par rapport à ce que vous racontez dans le livre ?

JF.F: Pour l’instant non, le livre n’est pas sorti, mais j’ai été mis en examen pendant six ans, j’ai eu à rembourser des tableaux que j’ai su faux après, je m’étais fait avoir aussi. Les certificats je les avais tous, j’avais tous les faux papiers en règle et ce n’est pas de la mauvaise foi des experts, parce qu’eux-mêmes s’abusent, se trompent, ce sont les maîtres du vrai et du faux, ils savent ! Leur œil décide, déclare, et leur jugement est sans appel, c’est comme ça ! C’est comme notre époque, « c’est comme ça », qui ne veut rien dire ! Il y a derrière effectivement une rationalité, on a fait des analyses, on a vérifié si le panneau était bien d’époque, si les pigments sont bons etc, etc…tout cela est bon ; effectivement les faussaires ne sont pas des imbéciles, mais en même temps tout cela est fait à « la mode de », « fabriqué comme » !

L’important c’est quand même le plaisir de regarder un tableau non ?

JF.F: Bah voilà c’est ce qu’il faut dire à tous les collectionneurs qui se sont laissés abuser depuis cinquante ans, et il y en a beaucoup, beaucoup ; c’est aussi cette jouissance toute narcissique et cette vanité de posséder l’unique et de pouvoir le dire ; je me réfère toujours par rapport à des tableaux avant le XIXème, parce qu’il y en a eu beaucoup de faux au XIXème et XXème mais finalement  la signature, c’est facile. Il y a trois lieux où on fait des faux génialement : la Chine, la Russie et l’Italie, parce qu’on a encore conservé la technique d’avant ; dans les écoles d’art en France on a perdu la technique. On fait trois points, un vague discours, parfois un semblant de figure humaine, la blague est faite et on peut exposer si on a un peu de combines. Faire un Titien c’est plus compliqué et ce n’est pas faire une copie, c’est peindre un Titien comme Titien l’aurait pensé, c’est quand même faisable ; faut prendre des bouts, une histoire, bricoler un moment de la vie de l’artiste qui l’aurait amené à une réflexion pour peindre de cette manière. J’en ai vu des faux fabriqués ainsi, par exemple les Velázquez étaient signés au final, non pas signé parce que c’est l’expert qui la donne  mais Velázquez essuyait son pinceau à la fin sur la toile ; l’expert crédule dira : ah là le pinceau est essuyé à la façon du maître !

Bon tout ce dont vous nous parlez n’est pas le livre,

JF.F: Non, vous avez dit le livre c’est la narration falsifiante et l’interrogation sur le réel !

Et pour le lire il faut se laisser embarquer

JF.F: Séduire, comme draguer une fille…

Avec vous, avec votre livre, on va regarder sous les jupes des filles !

JF.F: On va essayer, mais il faut faire gaffe, on risque de se prendre une claque !

Une vraie claque en lisant « Faussaire », là est la vérité!