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« MUSÉE GUIMET » : LES PIANISSIMES – ARSENII MUN

Musée Guimet Paris 16ème

15 mai 2019

Robert SchumannCarnaval op 9

Maurice RavelOndine

Wang Jian-Zong :Musée Guimet Paris 16ème: Silver clouds chasing the moon

Serguei ProkofievSonate n°7

Arsenii Mun, piano

Arsenii Mun a vingt ans. Le jeune pianiste, russe, méticuleux et vigilant essuie soigneusement le clavier avant de jouer comme s’il voulait débarrasser son piano de toutes les scories d’autres concerts et d’autres époques, il essuie aussi son visage et ses mains, esquisse un petit mouvement de la main qui détend ses doigts et commence à jouer.

Dès les premières mesures du Carnaval de Schumann, l’influence du jeu “à la russe“ se fait sentir, le contraste entre les pianissimo et les fortissimo est intense. La virtuosité époustouflante impressionne plus qu’elle n’émeut, Arsenii Min exploite brillamment les contretemps chers à Schuman qui a pris un malin plaisir à décaler le jeu de chaque main, l’une joue forte et l’autre pianissimo.

Pour Freud, cette musique difficile à jouer est au-delà du principe de plaisir, elle se situe plus du côté de la douleur et de la détresse. Aux figures mélodiques de Chopin, Schuman oppose une violence dans le rythme qui contredit celui de la mélodie et ce Carnaval censé évoquer les personnages de la comedia dell’arte va plus fouiller dans les symptômes de la folie de Schumann que dans la joie d’une fête populaire, ce qui rend son écoute ingrate, plus intellectuelle que jubilatoire. Mais ne boudons pas notre plaisir, la maestria de l’interprétation de Arsenii Mun ne peut laisser indifférent.

Avec Gaspard de la nuit, Maurice Ravel a dit avoir voulu “exorciser le romantisme“. En s’inspirant de trois poèmes d’Aloysius Bertrand, il a donc composé son œuvre la plus sombre, comme l’était sa vie durant cette période (son père était à l’article de la mort).

Ravel caresse de près les Jeux d’eau de Debussy qu’il débarrasse du fouillis de notes qu’il reprochait à son prédécesseur et il introduit ses fameuses dissonances dans la mélodie. Arsenii Mun lui aussi caresse le clavier lorsqu’il s’agit d’évoquer les perles d’eau chères à Ondine la nymphe, mais il retrouve sa frappe russe et franche dans les forte. L’ensemble ne manque pas de panache mais nous français, avons un peu de peine à pénétrer cette interprétation très slave.

Avec Silver clouds chasing the moon de Wang Jian-Zhong, Arsenii Mun fait une incursion dans la musique chinoise contemporaine, une musique inédite. Mélange de musiques du monde, où la main gauche viendrait d’europe et la main droite de chine, avec un thème pentatonique typique. Etrange morceau aux titres différents, il s’appelle tantôt “Silver clouds, mais aussi Pink clouds… ou encore Colourfull clouds. Cette oeuvre “composite“ bien qu’inspirée par la révolution culturelle, semble être l’adaptation d’une chanson traditionnelle cantonaise, elle ne manque pas de charme et Arsenii Mun la nuance joliment. Nous l’avons appréciée pour sa légèreté, mais nous n’en saurons pas plus.

Le concert se termine par la sonate n°7 de Sergei Prokofiev, la plus connue. Crée en 1943 par Sviatoslav Richter, on la classe dans les sonates de guerre. L’ambiance est à la guerre et on l’entend. Avec ce morceau, Arsenii Mun est chez lui, Prokofiev lui parle plus que Ravel ou Schumann.

D’emblée nous voilà plongés dans le conflit, le canon tonne, les bottes défilent, le peuple marche. Le premier mouvement est noté Allegro inquieto , nom qu’il mérite et le premier thème joué à l’octave suinte d’angoisse et de fébrilité. Arsenii Mun s’y engouffre avec délectation, ponctuant le mouvement d’un leit-motiv de quatre notes : le martellement des tambours. L’atmosphère s’adoucit avec l’andantino, la plainte devient déchirante tandis que le les quatre mêmes notes continuent à marteler le clavier jusqu’à la violence. Arsenii Munse se complaît dans ce mélange des genres, mais à la fin du premier mouvement, le piano émet d’étranges harmoniques venues on ne sait d’où. Après le concert, le pianiste confirmera l’étrangeté de ce phénomène, peut-être dû à un retrait trop lent du pied sur la pédale. Ce piano allemand, un Bösendorfer, a longtemps été considéré comme un des meilleurs instruments du monde, un piano réputé pour sa frappe franche et claire. Le mystère de ces harmoniques restera un mystère.

Dans le dernier mouvement, on peut déceler certaines connotations venues du jazz, bien vite évacuées dans un déluge d’octaves et d’harmonies diatoniques. Ce final en forme de toccata convient parfaitement à Arsenii Mun qui peut se déchaîner sur son clavier avec une incroyable force musculaire et un mouvement du poignet qui lui permet une rare précision dans ces octaves répétées jusqu’au final d’où même le spectateur sort épuisé.

N’oublions surtout pas de saluer l’initiative de Les pianissimes qui organisent un concert où l’on peut entendre chaque mois, un nouveau talent du piano.

Pour toutes les informations sur ces concerts : https://www.pianissimes.org/paris/

Le prochain concert aura lieu le 5 juin 2019 à l’Eglise Saint Eustache :

Requiem de Brahms dans sa version intimiste pour 2 pianos, solistes et choeur,

2 pianos, 2 solistes & choeur

Geoffroy Couteau &Tanguy De Williencourt, pianistes

et

Dans la seconde quinzaine de juin, le Festival de Saint-Romain-au-Mont-d’Or

 

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