Le musée national d’art médiéval et moderne de Basilicate à Matera s’est réouvert il y a un an et mérite le détour car autre la beauté du lieu on peut voir des salles d’exposition consacrées à Carlo Levi (Turin, 1902 – Rome, 1975) et Luigi Guerricchio (Matera, 1932 – 1996).
Carlo Levi n’est pas que le célèbre écrivain du Christ s’est arrêté à Eboli et d’autres livres, mais avant il était un peintre. Entre le scalpel du médecin et le pinceau du peintre il avait préféré le pinceau et bien avant la plume. Et c’est ça qu’on oublie. Dans les années 20, il traîne du côté de Turin, fréquente Piero Gobetti, Luigi Einaudi, les agitateurs d’idées. L’Italie est fasciste, Mussolini bombe le torse, et Levi choisit la toile comme champ de bataille.
Son pinceau refuse le réalisme sirupeux de la propagande ; il trace des visages fatigués, des silhouettes paysannes, une humanité cabossée. Ses portraits ont ce quelque chose de sec, de brutal, qui rappelle que la misère n’est pas un concept, mais une peau, une ride, un regard.
Envoyé en relégation en Lucanie par le régime fasciste, il peint ce qu’il voit : des villages oubliés, des femmes aux mains rugueuses, des enfants qui ont déjà des yeux de vieux. Plus tard, il transformera tout cela en littérature, mais la première captation, c’est la peinture qui l’a donnée. Levi regardait comme un peintre, pas comme un sociologue. Ses toiles ne sont pas jolies. Elles grattent. Palette sombre, visages fermés, silhouettes épaisses. Rien de décoratif. On peut aimer ou détester, mais impossible de rester indifférent. Le succès littéraire a un peu écrasé le peintre.
On lit Levi, on cite Levi, on oublie de le voir. Pourtant, jusqu’à la fin, il n’a jamais cessé de peindre. Des autoportraits, encore et encore, comme pour vérifier qu’il était bien toujours là, que son regard n’avait pas été avalé par la politique et les mots. Si ses livres parlent de la condition humaine, ses toiles, elles, la montrent. Brutalement. Sans fard. Sans littérature. La grande toile Lucania ’61, cette œuvre monumentale, créée pour célébrer le centenaire de l’unification de l’Italie, est un hommage visuel à la Basilicate, une région à laquelle Levi était profondément attaché. Levi peignait pour résister !
Parallèlement, la section consacrée à Luigi Guerricchio, rend hommage à l’un des artistes les plus importants de Matera au XXème siècle. Il est connu pour sa relation intense avec le territoire lucanien. Il fréquente l’Académie des Beaux-Arts de Naples et rejoint le mouvement des Jeunes Réalistes. À Portici, il rencontre Rocco Scotellaro : « Si tu veux être peintre, il faut regarder nos gens en face, ceux de nos villages, parcourir les villages, arpenter les Sassi. ». Ces mots précieux lui furent adressés par le poète quelques mois avant sa mort, non sans lui avoir présenté Carlo Levi. Après des expériences, à travers l’Italie et l’Europe, il retourne à Matera et en fait le centre de son œuvre.
« J’ai revu les grottes de la Murgia, ouvertes comme des bouches de nouveau-nés, les humbles demeures, les mères et les enfants des Sassi. Où pourrais-je trouver un lieu plus plein de caractère, de beauté et d’imagination que cette ville ? » Guerricchio décrit sa terre natale avec la perspicacité émotionnelle de quelqu’un profondément ancré dans sa communauté et dans les lieux qui lui ont toujours appartenu. Il fut un témoin critique et désabusé des changements marquants de la société du milieu du XXème siècle.
Après avoir fait un tour dans la ville c’est là qu’il faut terminer la visite pour comprendre ce qu’était la Basilicate et l’Italie au siècle dernier !