Maison de la Radio, Festival Présences
Du 10 au 16 février 2020 – suite –
Le Festival Présences – voir article précédent – à la Maison de la Radio a dans son ensemble offert de très belles surprises.
Il s’est terminé avec bien sûr du Benjamin mais surtout avec une commande – URBAN SONG – de Bastien David. Cette œuvre impressionnante de ce jeune compositeur – né en 1990 – a été interprétée magnifiquement par l’Ensemble Intercontemporain dirigé de main de maître par l’excellent Pierre Bleuse. URBAN SONG est comme une sorte d’énergie musicale qui s’effondre sur elle-même, comme un trou noir et où, à la fin, il n’y a plus que silence et obscurité. Rarement une œuvre nous a saisi, englouti, ainsi pendant 15 minutes. D’un abord réservé, lorsque nous avons dit à David, tout le bien que l’on pensait de sa pièce, il nous a répondu combien il était difficile de composer aujourd’hui et de ne pas être sévère avec eux, les jeunes compositeurs. Oh combien il a raison et en écoutant tout ce que nous proposait le Festival, on pouvait se rendre compte de la difficulté d’amener à bien une écriture, pour qu’elle ait du sens, et d’avoir un haut niveau d’exigence vis à vis d’elle-même. De nombreuses œuvres commandées n’avaient pas ce niveau et le masquait souvent à l’aide de trucs souvent entendus depuis si longtemps, dans la création contemporaine, comme faire souffrir les instruments, à les détourner de leur usage au profit du rien, d’un manque cruel de créativité.
Ce n’était pas le cas de FIVE STAGES OF A SCULPTURE POUR DEUX ALTOS ET ENSEMBLE de Cécile Marti. Cette jeune artiste écrit le matin et sculpte l’après midi. L’ensemble Multilatérale sous la direction de Léo Warynski avec les brillants altistes Adrien La Marca et Sindy Mohamed, nous ont fait vivre le principe de cette création musicale pour une création sculpturale ; un bloc de pierre, petit à petit aux sons des altos, se transformait en une sculpture. Cette commande de Radio France était étonnante et l’on pouvait vivre totalement ces deux conceptions. Il y avait beaucoup d’émotion, d’énergie, aux cours de ces 15 minutes de musique. De l’émotion, de l’énergie, il y en a eu dans deux concerts magnifiques.
L’un offert par l’impressionnant pianiste Florent Boffard. Il a concocté un récital mélangeant très intelligemment, dans un ordre très conceptuel, des études de Debussy, Stroppa, Chopin, Ligeti, Benjamin, chacune se répondaient, avec des effets miroirs ; quel modernisme structurellement chez les anciens et on pouvait se remémorer à l’écoute des ces compositions la fameuse phrase de Lavoisier si souvent citer dans ce genre de Festival, « …rien ne se perd, rien ne se crée tout se transforme ».
L’autre c’était le récital de violes de l’ensemble Sit Fast accompagné par la mezzo Sarah Breton. On a pu entendre des œuvres de Tye, Byrd, Lupo, Purcell, qui accompagnaient des compositions contemporaines d’Alexandre Goehr, Grégoire Lorieux, George Benjamin. Là aussi ce retour aux fondamentaux, la musique anglaise appréciée par Benjamin, montrait combien ces musiques étaient modernes. La composition de Grégoire Lorieux , LIGNES DE LUMIERE, toute de retenue avec des sons sublimes des violes, habitait le Studio 104 de manière mystique.
Le jour d’avant le GRM s’était installé dans ce studio. Des sons et des mélanges électroacoustiques avaient toujours ce parfum d’avant garde que nous apprécions depuis longtemps. Benjamin en 1985 s’y était essayé, pendant trois minutes.
On a entendu des expérimentations astucieuses du jeune élève de Benjamin, Laurence Osborn avec le pianiste Zubin Kanga, une composition très sombre d’Ivo Malek. Ici aussi ces découpages-collages-formatages de sons, de bruits et autres ambiances demandent énormément d’exigence. On a pu la découvrir dans l’œuvre de la jeune Argentine Rocio Cano Valiño – OKNO – qui pose la question de manière sensible, ironique même, de la relation humain/automatisme. C’est de cet ordre qu’a été composé ce petit chef d’œuvre – MORTUOS PLANGO VIVOS VOCO – de Jonathan Harvey (1939 , 2012). En manipulant le son de la cloche ténor de la cathédrale de Winchester, et un texte chanté par son fils – texte écrit sur la cloche, et titre de l’œuvre – il a écrit cette composition électroacoustique il y a plus de 40 ans et elle est de toute beauté formelle.
De la beauté (sans jeu de mot) on a pu l’entendre dans la création mondiale de Julien Beau et Mokuhen : PAYSAGE ACCIDENTÉ #3. Ils se sont inspirés des dessins de Chloé Poizat. D’une forme libre, sans contrainte, ils nous ont offert un étrange voyage électroacoustique. L’Orchestre National de France et l’Orchestre Philharmonique ont participé à cet évènement.
Le National sous la direction de Pascal Rophé a interprété du George Benjamin – SUDDEN TIME – et la magnifique pièce, classique, de Boulez – FIGURES, DOUBLES, PRISMES – Avec un orchestre important et une disposition des instruments peu habituelle, cette œuvre est un mélange des timbres, typiques d’une certaine époque dans la composition de l’auteur (1963-68). Le Philhar sous la direction de Kent Nagano avait fait le plein dans l’auditorium avec la présence du Chœur et de la Maîtrise de Radio France.
Le public a soutenu par ses applaudissements la représentante du Chœur qui est venue parler de leur décapitation ! Malgré sa profonde émotion le Chœur de Radio France a magnifiquement accompagné le baryton Gyula Orendt dans SOMETIMES VOICES de Benjamin, une composition aux accents Britteniens. Ondřej Adámek a eu un franc succès avec MAN TIME STONE TIME, une sorte de raccourcis de son opéra SEVEN STONES qui avait été interprété à Aix en 2018.
Le concert s’était terminé par TROIS PETITES LITURGIES DE LA PRESENCE DIVINE d’Olivier Messiaen, compositeur qui a beaucoup influencé Benjamin. La Maîtrise de Radio France comme toujours était parfaite. Kent Nagano a dirigé avec élégance et précision ce concert, un grand moment du Festival. Dans tous les nombreux concerts George Benjamin soit par sa présence, soit par ses œuvres, soit par ses choix des compositeurs était bien présent et tous les concerts étaient dignes d’intérêt. On peut le dire 2020 est un grand millésime ! Outre le compositeur choisi, l’équipe du Festival Présences a elle aussi du talent. Pierre Charvet, Bruno Berenguer, Amélie Burnichon, Justine Mergnac-Hertenstein, Audrey Taieb, Vincent Lecocq…Allez les petits pour 2021 avec Pascal Dusapin (il n’a pas déjà eu son portrait en 1999 ?)