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«REMÈDE Á LA MÉLANCOLIE » : AVEC QUELQUES MUSIQUES SUR CD

Cessez lumières vaines, ne brillez plus sur moi

Nulle nuit ne peut être assez sombre pour ceux

Qui pleurent leur fortune perdue dans le désespoir.

La lumière ne révèle que honte.

Pour lutter contre la bile noire – autre appellation de la mélancolie – il faut la traiter par le mal, d’où une écoute attentive et merveilleuse de ce Lachrime chez La Musica. Cette musique de Dowland est superbement interprétée par le ténor américain Zachary Wilder avec sa voix maîtrisée, moelleuse et d’une musicalité raffinée. Il est accompagné avec bonheur par La Chimera. La musique de Dowland fait du bien à l’âme. En ce début d’automne où nous allons vers des jours incertains, cet album arrive à point. Laissons-nous emporter par ces délicieuses paroles où pleurs, portraits de sentiments exacerbés, coulent à nous faire frémir de douleurs masochistes ! Lachrime est le récit d’un homme à son propre chevet et des comptes qu’il fait avec son destin s’exprime Margherita Pupulin la violoniste de l’ensemble La Chimera dirigé par le luthiste Eduardo Egüez. Oh combien elle a raison à l’écoute de ce bel objet qu’est cet album !

Pour continuer dans ce mode mélancolique, écoutez ÉLÉGIE (IL3107) et le piano d’Irina Lankova. Avec son touché soyeux, animé de couleurs très personnelles Irina crée ici un univers musical plein de grâce et de musicalité. Ces pages de Rachmaninov sont douloureuses, sombres, envoutantes, nous sommes bien là dans l’intime, du grand art à nous faire fondre de plaisir….

On  n’y entend aussi du Schubert un grand mélancolique dans des transcriptions de Liszt, On peut aller entendre cette magnifique artiste à Gaveau le 15 octobre prochain.

C’est avec trois sonates pour violon et piano qu’on peut continuer avec cette sorte de mélancolie romantique fin de siècle qu’appréciait tant Proust (laquelle est celle du roman ?).  Saskia Lethiec au violon et Jérôme Granjon au piano ont enregistré la sonate n°1de Fauré, celle n°1 de Saint-Saëns et celle de Franck dans la salle mythique du facteur de piano Evrard. Dans ce décor XIXème, de nombreux compositeurs sont venus interpréter leurs œuvres. La mélancolie n’existerait-elle plus dans cet espace un peu oublié ?

Le duo la fait revivre dernièrement et on peut la retrouver dans cet album (Cascavelle VEL 1654).. « …ces trois sonates, parmi les plus belles de la musique française, ont surgi sur une période finalement assez brève. Elles ont d’ailleurs rapidement pris place comme autant de sommets du répertoire pour violon et piano, même si celle de Saint-Saëns est aujourd’hui moins jouée que les deux autres. Au-delà de leurs identités très fortes et de leurs différences, qui sont d’ailleurs à l’image des personnalités de leurs créateurs, liés mais tellement différents, elles dialoguent esthétiquement par un esprit, une forme et les influences croisées que l’on trouve entre elles » s’exprime la violoniste Saskia Lethiec. Tout le charme de cette musique est bien rendu par ce duo. Qui ne se prendrait pas pour Madame de Vinteuil, Odette ou Swann en les écoutant…ahhhh serions-nous pas un peu atrabilaires depuis le confinement ?

De la musique de chambre on passe à une autre mélancolie, d’un temps passé où François Guye, le violoncelliste exceptionnel, multi-récompensé internationalement, élève du maître du violoncelle, André Navarra, avec l’Orchestre de la Suisse Romande interprétait Ernest Bloch Schelmo B.39 (enregistré en 1990) – Henri Dutilleux Tout un Monde Lointain – sous la direction de ce grand chef d’orchestre, peut-être un peu oublié qu’était Armin Jordan. Cet album permet de le retrouver (Cascavelle VEL 1620). 15 ans après sa disparition, on est frappé de l’émotion qui transparaît dans le souvenir qu’il laisse. Un ancien de l’OSR, nostalgique en parle : « Avant lui, il n’y a jamais eu d’Armin Jordan ; après lui il n’y en aura plus jamais. ». Un bel hommage pour que ce monde lointain de Dutilleux et de Jordan soit toujours présent (enregistré en 1991 !)…Sois sage ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille écrivait Baudelaire le poète préféré et source d’inspiration de Dutilleux. Voilà un bel exemple de remède à la mélancolie !

S’il y en a un qui la cultiva à en devenir fou et à en mourir c’est bien Schumann ! Et sous les doigts d’ Ali Hirèche on ne peut que la ressentir. Ce pianiste atypique qui aime autant Thelonious Monk, Charles Mingus que Brahms ou Chopin, qui a eu la chance de rencontrer des grands pianistes comme Ciccolini, Pollini ou Lortie, qui l’ont conseillé, avec les Davidsbündlertänze opus 6 et les Kreisleriana opus 16 il nous entraîne dans ce monde mélancolique de Schumann atteint de profonds problèmes dépressifs . Ces pièces reflètent l’état d’âme du compositeur, elles sont des œuvres auto-psychologiques qu’ Ali Hirèche arrive fort bien à analyser et à interpréter. Dans cette invitation au voyage qu’il nous offre, rien n’est ordonné, calme, seule la beauté des traits pianistiques est présente.

La mélancolie de sa jeunesse, c’est Philippe Entremont qui nous l’offre du haut de ses 87 ans en enregistrant les Quatuors pour piano n°1 KV 478 et n°2 KV 493 de Mozart (Forlane FPM 2104): « Les deux Quatuors de Mozart ont tenu une part très importante dans ma vie. Particulièrement le Quatuor en mi bémol, car je l’ai joué au premier concert que j’ai donné en public à l’âge de 10 ans dans la grande salle de la Chambre de Commerce de Reims (ma ville natale) avec le Quatuor Entremont dont mon père, violoniste, était le fondateur. J’en ai gardé un souvenir très précis car ce premier contact avec le public m’a marqué d’une manière indélébile…76 années se sont écoulées entre ce premier concert et ce disque que j’ai désiré faire avec des musiciens hors pair, qui sont de très bons amis. ». C’est avec le Fontainebleau Quartet – Klara Flieder, violon – Pierre Henri Xuereb, alto – Christophe Pantillon, violoncelle que Philippe Entremont a interprété ces œuvres qui sont de véritables remèdes à cette sorte d’état. La tonalité en mineur est bien celle du spleen non ?…Écoutez l’Allegro du KV 493Mozart nous annonce, après quelques minutes d’enchantement triste, qu’il va falloir se quitter avec l’Andante du KV 478 ou le Larghetto du KV 493. C’est ce que nous faisons après ces éloges à la mélancolie en compagnie de superbes artistes et de leur disque.

L’Espoir, Vaincu pleure et l’Angoisse atroce, despotique, sur mon crâne incliné plante son drapeau noir…(Baudelaire)

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