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« SALLE GAVEAU » : VADYM KHOLODENKO

Salle Gaveau,

45 Rue la Boétie, 75008 Paris

mardi 3 mars 2020

Wolfgang Amadeus Mozart : Sonate n°14 en do mineur K 457

Franz Schubert : Sonate n°13 en la majeur

Kaija Saariaho : Ballade

Alexandre Scriabine : Préludes op 13 et 15

Serguei Rachmaninov : Sonate n°2 en si bémol mineur

Vadym Kholodenko, pianiste

©DR

Vadym Kholodenko entre sur la scène d’un pas franc. En costume noir cravate colorée, c’est un Ukrainien trapu au charme puissant des slaves de cette contrée.

Il s’assied devant le Steinway et se concentre longuement avant d’attaquer fermement les premiers accords de la sonate n° 14 en ut mineur de Mozart. Une sonate qu’on a qualifiée d’équivalente à la Sonate Pathétique de Beethoven. Car il s’agit bien là d’une sonate dramatique, même si elle alterne révolte et résignation. On a cherché à savoir pourquoi un tel drame. Un drame sentimental entre la dédicataire Thérèse von Trattner et le musicien ? Aucun document n’étaye cette hypothèse. Un autre évènement pourrait confirmer cette tendance au drame. Cette sonate a été écrite juste après que Mozart ait rejoint la Franc-maçonnerie où il espérait trouver une réponse aux questions existentielles qu’il se posait alors. Vadym Kholodenko accentue les temps forts du drame autant que ceux de la résignation, les tourments de Mozart sont là, la main gauche est extraordinairement puissante tandis que la droite est capable de ruptures entre les forte et les pianissimos. C’est une lutte entre le premier thème développé en majeur et le second en mineur. Tout le premier mouvement, (il est long, huit minutes) est traité de cette façon véhémente où le pianiste ne se départit jamais de cette puissance qu’il a imprimée à son jeu dès les premiers accords. L’Adagio rappelle le Mozart délicat des années de jeunesse, espèce de cantilène douce interrompue par des silences et reprise jusqu’à cette lente montée chromatique superbe stoppée par trois accords secs, comme une supplication qui viendrait troubler la douceur de tout ce second mouvement. Vadym Kholodenko respecte ce Mozart là, tout en vélocité (non en virtuosité) et en finesse. Le final sera celui des paroxysmes. Le thème initial repris avec une véhémence plus farouche que dans le premier mouvement permet au pianiste de montrer la clarté de son jeu, surtout dans la fluidité de la ligne des basses et sans faire ce que Mozart tolérait : « Dans les passages difficiles on peut laisser de côté quelques notes sans que personne ne le remarque ! »

Ici Mozart est intégralement sublime.

En 1819, Schubert, fasciné, étudie les sonates de Beethoven. En vacances, il dédicace la sonate en la majeur D664 à Joséphine von Koller, une jeune fille de dix huit ans, une bonne pianiste « remarquable de beauté », on n’en saura pas plus, sinon que Schubert en écrivant cette sonate a du mal à se plier dans le carcan de la musique viennoise, trop épris de liberté. Sonate printanière, il ne faut pas y voir qu’une contemplation romantique de la nature, même si ce ton printanier du premier mouvement Allegro semble léger et insouciant, les galops légers de Vadym Kholodenko le prouvent. Vers la fin une succession d’octaves se relaie avec des gammes plus agressives. Morceau réputé difficile à cause de cette alternance de douceurs et de violences que le pianiste maîtrise fort bien. Il ne s’attarde pas sur les descriptions champêtres des paysages de Haute Autriche, mais sa retenue dans certains traits est exemplaire. Cette musique de Schubert mérite mieux que de la contemplation, elle a une âme tourmentée comme fut celle de Schubert.

Á Schubert succède une courte Ballade de Kaija Saariaho. Cette compositrice finlandaise a dit-elle, voulu écrire une musique avec une mélodie qui grandit à partir de textures avant de retourner dedans de nouveau. Le piano sonne bien, reste à démêler la texture de la mélodie et à s’y complaire, de courts moments ont la grâce, le jeu de Vadym Kholodenko y contribue, nous n’avons pas forcément entendu la texture, mais peu importe, l’ensemble ne manque pas d’un charme quasi exotique.

Les nombreux préludes qu’a composés Scriabine étaient souvent motivés par le besoin de gagner quelque argent, aussi il fut prolixe avec plusieurs opus (ici l’opus 13 et l’op 16). Morceaux souvent très courts qu’on sent proches de l’improvisation virtuose où Vadym Kholodenko se lance à corps perdu. Nous entendrons un clair hommage aux 24 préludes de Chopin, certains presque calqués sur ceux du Polonais, mais aussi des prémonitions de Debussy et d’autres de Rachmaninov. Aucun n’effraie Vadym Kholodenko, qui avec son tempérament slave se plie aussi bien à l’un qu’aux autres, dans des déferlements de virtuosité qui vont continuer avec la Sonate n°2 op36 de Serguei Rachmaninov. Là Vadym Kholodenko se lâche ; la folie du premier mouvement lui ouvre la porte à tous les déchaînements. Foisonnement des thèmes, richesse des harmonies, éblouissante virtuosité, tout y est pour que le pianiste atteigne ses propres sommets, et il les atteint. Rachmaninov qu’on a longtemps taxé de compositeur sentimental et facile, donne ici la pleine mesure de sa profondeur et de la modernité de sa musique. S’il nous semble entendre un ouragan, il n’en est rien. Cette musique est construite et même s’il faut posséder une technique quasi acrobatique pour la jouer, elle a du sens et Vadym Kholodenko l’a compris. Il l’interprète avec une extrême concentration et une extrême sûreté, d’ailleurs toute la durée du morceau, il a la tête inclinée vers le clavier comme s’il voulait manger le piano tout entier.

Ce mardi soir, à Gaveau, nous avons entendu avec un vrai plaisir ce pianiste toujours aussi impressionnant.

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