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« SALLE SAINT-AMBROISE » : CORINNE KLOSKA, piano

Salle Saint-Ambroise, 1 bis rue Lacharrière 75011 Paris 

Récital du 22 mai 2019

Corinne Kloska, piano

Johannes Brahms : Sept Fantaisies, op 116

Serguei Rachmaninov : Variations sur un thème de Corelli, op 42

Jean Sébastien Bach : Chaconne pour violon BWV 1004

Transcrite pour le piano par Ferruccio Busoni

Le label Soupir Musique est en quête d’une salle pour faire entendre ses artistes en concert. Ce soir, première expérience à la salle Saint Ambroise. Cette salle paroissiale, annexe de l’église, est un grand parallélépipède aux murs nus, orné de quelques vitraux blancs.  Au milieu, trône un magnifique piano à queue Fazioli éclairé par deux projecteurs à la lumière rouge vif. Une centaine de chaises en plastique bleu attendent les spectateurs qui sont au rendez vous. La salle se remplie. Arrive Corinne Kloska.

Elle s’installe lentement, se concentre, ajuste ses lunettes blanches et attaque les Sept Fantaisies de Johannes Brahms.

Après un coup de foudre pour le clarinettiste Richard von Mühlfeld et son instrument, Brahms revient à la composition pour piano en intégrant une dimension tragique à ces sept pièces probablement destinées à Clara Schuman. Il est obligé « d’en réduire la  voilure », la pianiste (mère de huit enfants) se trouvant passablement fatiguée. Mais dans cette version, Brahms réussit à intégrer la matière orchestrale de ses concertos ou de ses symphonies.

Corinne Kloska s’y attelle avec passion, n’omettant pas de faire ressortir ces temps décalés entre les deux mains (trois temps pour la main droite et deux pour la main gauche). Les graves qui sont si importants chez Brahms sonnent bien, le Fazioli encaisse à la perfection et le tempo de presto est parfaitement assumé. Cette tonalité de mineur, symbole du drame chez Brahms concourt à l’ambiance de l’œuvre, faite non pas de ruptures mais de vraies cassures au rythme tranchant, avec une espèce de noirceur animale chère au compositeur.

Jusqu’à la dernière fantaisie, Corinne Kloska s’imprègne du drame, de la mélancolie de l’œuvre sans jamais verser dans la mièvrerie. Son jeu reflète plus l’avis du critique musical de la Neue Freie Press Eduard Hanskil (1864-1904) qui la qualifiait de bréviaire du pessimisme tandis que le chirurgien Theodor Billroth, virtuose du violon, l’ami fidèle de Brahms, estimait « qu’on ne devrait plus s’amuser à jouer ce genre de plaisanteries ».

Des plaisanteries qui nous ont touché par la plénitude du jeu et de l’écriture jusqu’à la dernière note.

Des Variations sur un thème de Corelli, Rachmaninov raconte une savoureuse anecdote. « Lorsque j’interprétais ces Variations, je me guidais sur les toux du public, s’ils toussaient de plus en plus, je sautais la variation suivante. S’ils cessaient, je les jouais normalement mais je crois ne les avoir jamais jouées entièrement. »

Dans la salle Saint Ambroise, tout le monde se porte bien, pas de toux et les variations peuvent se succéder sans anicroche.

Ce cycle est inspiré d’un thème de Corelli, le thème de la Folia, lui-même emprunté à « Les Folies d’Espagne » un très vieil air fréquemment utilisé.

Le thème est baroque à souhait et dès la première variation, Rachmaninov met sa patte postromantique (comme l’est tout le répertoire de ce concert). Corinne Kloska respecte l’alternance entre les variations pianissimo et les autres forte. Ses mains collent au clavier, se jouant des difficultés insidieuses de la partition, pas de gestes intempestifs. Certains traits rappellent les concertos, d’autres des danses slaves et  quand d’autres encore sonnent très jazzy, Corinne Kloska n’oublie pas de les swinguer. Jusqu’à l’apothéose de l’avant dernière variation, véritable déchaînement de notes où la puissance de son toucher électrise le piano avant de revenir au thème de Corelli calme et serein.

Avec la Chaconne de Bach transcrite par Ferrucio Busoni se pose la question récurrente : fallait-il la transcrire ? Le problème se simplifie avec Bach puisque lui-même a pratiqué la transcription pour ses propres œuvres, le concerto pour deux violons par exemple. Busoni pouvait donc se le permettre, Brahms et Liszt l’ont fait avant lui.

Du thème initial, calqué fidèlement sur la partition de Bach, Busoni le postromantique ajoute graduellement un accompagnement d’accords à la main gauche comme le fit Brahms (qui avait écrit pour un pianiste amputé de la main droite !) avant d’ajouter au fil des variations un déluge de notes, particulièrement des suites de basses en  octaves qui ne sont pas sans rappeler une pédale d’orgue. Busoni a dû se souvenir qu’à l’origine la Chaconne était une danse espagnole rythmée par les castagnettes, tant cette musique est chargée (certains critiques vantent même « son caractère magnifiquement orchestral » ).

Devant une telle technique, l’émotion n’est pas toujours au rendez-vous, mais dans cette profusion de notes qui rappelle de temps en temps l’inspiration de Bach, Corinne Kloska fait magnifiquement sonner les graves, soutenue par la clarté et la puissance du piano. (Bach n’a jamais dû entendre des graves de cette ampleur, lui qui n’a disposé que deux ou trois fois dans sa vie de jeux de 32 pieds dans les orgues qu’il a jouées).

Cette musique est plus proche de l’épreuve que du ravissement, heureusement la pianiste nous ramène avec le thème original, à la légèreté et à la simplicité.

Pour clore la soirée, Corinne Kloska offre trois bis de pure musique avec Schuman, Szymanovwski et à nouveau Rachmaninov.

Souhaitons à Soupir Musique de souvent mettre en lumière ses artistes, pourvu que la lumière soit moins rouge !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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